La clause d’inaliénabilité est la clause par laquelle le donateur (celui qui donne) impose au donataire (celui qui reçoit) de ne pas vendre ni donner le bien reçu.
Cette clause est usuelle en matière de donations : ces dernières sont quasi-systématiquement liées à un cadre familial et il est donc logique que les donateurs fassent le nécessaire afin que le bien donné ne se retrouve pas dans les mains d’un tiers.
Pour être valable, une telle clause doit cumulativement être temporaire et justifiée par un intérêt sérieux et légitime (article 900-1 du Code civil, alinéa 1er).
Lorsqu’elle est valable, une telle clause peut néanmoins être mise en échec lorsque le donataire prouve que l’intérêt sérieux et légitime a disparu ou qu’un intérêt plus important l’exige (article 900-1 du Code civil, alinéa 2).
Les contentieux relatifs aux clauses d’inaliénabilité portent donc traditionnellement sur ces quatre sujets.
1. Sur le caractère temporaire de la clause d’inaliénabilité
Il est impératif que le gratifié puisse un jour disposer du bien donné. Il en résulte que, si la durée de l’inaliénabilité coïncide avec l’espérance de vie du gratifié, la nullité de la clause doit être prononcée. La jurisprudence en la matière est bien ancrée puisqu’elle a maintenant plus de 140 ans : « n’a pas de caractère temporaire la prohibition d’aliéner qui doit s’appliquer pendant toute la vie du gratifié » [1].
Une clause d’inaliénabilité « à vie » n’est cependant pas nécessairement nulle : si la durée de la clause est fonction de la vie du donateur, et non de celle du donataire, il est permis de penser que le gratifié pourra un jour disposer du bien donné. La jurisprudence en la matière est là-aussi fixée de longue date : « est temporaire l’inaliénabilité stipulée pour la durée de la vie du donateur » [2].
Afin d’assurer sa pleine efficacité à la clause, les parties veilleront à ce qu’elle ne soit pas amphibologique (construction grammaticale conduisant une même phrase à avoir deux sens différents) : ils ne stipuleront donc pas que « les donateurs imposent aux donataires de ne pas vendre durant leur vie » car, en pareille hypothèse, « leur » pourrait renvoyer tant à la vie des donateurs (clause valable) qu’à celle des donataires (clause nulle).
2. Sur l’intérêt sérieux et légitime
L’intérêt sérieux et légitime qui préside à l’établissement des clauses d’inaliénabilité peut être relatif au donateur. Il est par exemple sérieux et légitime de stipuler une inaliénabilité lorsque seule la nue-propriété des biens est donnée et que le donateur en conserve l’usufruit ou lorsque le donataire n’a pas de descendant et que, de ce fait, le droit de retour (retour du bien dans le patrimoine du donateur en cas de décès du donataire) a vocation à jouer.
L’intérêt sérieux et légitime peut également être relatif au donataire. Il est par exemple sérieux et légitime de stipuler une inaliénabilité destinée à protéger le donataire contre son caractère dispendieux (clause dite de « sage protection » : cas de l’interdiction faite de vendre avant ses 40 ans ou son mariage par exemple).
Enfin, l’intérêt sérieux et légitime peut n’être relatif, ni au donateur, ni au donataire : tel est pas exemple le cas de l’inaliénabilité stipulée pour préserver le caractère familial d’un patrimoine (cas de l’appartement situé dans un immeuble appartenant intégralement aux donateurs).
Afin d’assurer sa pleine efficacité à la clause, les parties veilleront à ce que l’intérêt sérieux et légitime soit expressément stipulé à l’acte. Il ne s’agit pas d’une condition requise ad validitatem : il s’agit d’une sage précaution qui pourra être salutaire en cas de procès.
Précisons enfin que l’intérêt s’apprécie au moment de la stipulation et non ultérieurement [3], ce qui est fondamental puisque les demandes judiciaires en dépendent :
- si l'intérêt n’existait pas au moment de l’acte, le plaideur sollicitera la nullité de la clause (article 900-1 du Code civil, alinéa 1er) ;
- si l'intérêt existait au moment de l’acte mais a depuis disparu, le plaideur sollicitera l’autorisation judiciaire de disposer du bien (article 900-1 du Code civil, alinéa 2).
3. Sur la disparition de l’intérêt sérieux et légitime
Les exemples d’intérêts sérieux et légitimes ayant disparu depuis la donation sont très nombreux en jurisprudence.
Si l’intérêt sérieux et légitime était la protection du droit de retour du donateur et que celui-ci a disparu depuis en raison de la naissance d’enfants du donataire, le juge ne doit pas annuler la clause (puisqu’elle est valable) mais il peut autoriser le donataire à disposer du bien [4].
Il en va de même lorsque l’intérêt était la protection du donataire contre son caractère dispendieux et que ce dernier justifie d’une gestion raisonnable de sa situation patrimoniale depuis de nombreuses années [5].
L’appréciation de la disparition de l’intérêt sérieux et légitime relève de l’appréciation souveraine des juges du fond : il appartient donc aux plaideurs d’identifier avec précision l’intérêt sérieux et légitime puis de produire les éléments de preuve nécessaires au succès des prétentions de leurs clients (des preuves de la disparition lorsqu’ils représentent le donataire ; des preuves de la survie lorsqu’ils représentent le donateur).
4. Sur l’existence d’un intérêt plus important
Lorsqu’aucun des trois sujets précédents ne permet au donataire de parvenir à ses fins, il lui appartient de démontrer qu’il existe un intérêt de vendre plus important que l’intérêt commandant l’inaliénabilité.
Cette question est elle-aussi soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond qui doivent donc se livrer à une délicate mise en balance des intérêts contradictoires en présence (d’un côté, celui du donateur qui dispose d’un intérêt sérieux et légitime à ce que le bien donné ne soit pas vendu ; de l’autre, celui du donataire qui soutient qu’il disposerait d’un intérêt à ce que le bien donné soit vendu plus important encore).
Quasi-systématiquement, le donataire plaide à ce stade le marasme économique : s’il n’est plus en mesure d’assumer financièrement le bien donné (taxes foncières ; charges de copropriété), il faut l’autoriser à le vendre car ne pas le faire le condamnerait à s’appauvrir plus encore. Il lui appartient alors de prouver ce qu’il allègue et, a contrario, il appartient au donateur de prouver que ces considérations économiques ne sont pas plus importantes que les raisons pour lesquelles l’inaliénabilité a été initialement stipulée.
Il existe néanmoins d’autres raisons d’autoriser un donataire à vendre un bien inaliénable et il faut ici s’en remettre à l’imagination des plaideurs. On pourrait par exemple citer le cas du donataire qui plaiderait l’existence de graves tensions familiales : à n’en pas douter, le donataire rapporterait la preuve d’un intérêt justifiant qu’il soit autorisé à vendre (faire cesser les tensions familiales avec les donateurs). Reste à savoir si un magistrat considérerait cet intérêt plus important que celui ayant présidé à l’établissement de la clause d’inaliénabilité…
Il ne nous reste plus qu’à plaider pour étayer la jurisprudence sur ces questions !
[1] (Cass. Req., 19 mars 1877 ; Cass. Civ, 8 novembre 1897 ; Cass. Civ, 24 janvier 1899 ; Cass. Civ, 16 mars 1903)
[2] (Cour de Cassation, Civ 1, 8 janvier 1975, RG n°73-11648)
[3] (Cour de cassation, Civ 1, 6 mars 2013, RG n°12-13340)
[4] (Cour de cassation, Civ 1, 8 décembre 1998, RG N°9615110)
[5] (Cour d’appel de Nancy, 3 février 2014, RG N°12-01280)