Dans un arrêt en date du 4 octobre 2023 n° 21-25.421, La Cour de Cassation apporte des éclaircissements importants sur l'étendue des pouvoirs des employeurs de sanctionner les salariés, après qu'ils ont commis une série d'infractions. La question clé ici est de savoir si des infractions au Code de la route, commises par un salarié au volant d'un véhicule de service en se rendant sur son lieu de travail, peuvent être rattachées à sa vie professionnelle, même si son temps de travail effectif n'a pas encore commencé.
 

Maître Johan Zenou expert en droit du travail à Paris 20ème répond aux questions des différentes situations dans lesquelles un salarié peut se retrouver sans permis de conduire, sur les droits et obligations des employeurs, ainsi que les possibilités de licenciement.

Le Code du travail stipule que, en principe, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, à moins qu'il ne constitue un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail. Les infractions au Code de la route, dans ce contexte, soulèvent des interrogations quant à leur relation avec la vie professionnelle du salarié.
 

Pour que le licenciement soit jugé irrégulier, les juges ont évalué plusieurs facteurs cruciaux. Ils ont considéré que les infractions au Code de la route avaient été commises pendant les trajets domicile-travail, un moment où le salarié n'était pas sous la supervision de l'employeur. De plus, le véhicule de fonction mis à sa disposition n'avait subi aucun dommage. Le retrait ou la suspension du permis de conduire peut avoir des conséquences importantes pour un salarié et son employeur.

I. Retrait du permis pour une infraction commise en dehors du travail

Si un salarié voit son permis de conduire retiré ou suspendu en raison d`une infraction commise en dehors de son temps de travail, l'employeur ne peut pas le sanctionner uniquement pour cette raison. Un fait commis dans le cadre de la vie privée du salarié ne peut pas justifier une sanction disciplinaire, et un licenciement basé sur cette seule raison serait considéré comme abusif (Cass. soc. 3-5-2011 n° 09-67.464).

Cependant, l'employeur a le droit d'exiger que le salarié lui présente son permis de conduire pour s'assurer qu'il n'est ni suspendu ni annulé, notamment si les fonctions du salarié exigent la détention d'un permis de conduire valable. Des clauses du contrat de travail précisent que la possession d'un permis de conduire valide est requise pour effectuer le travail et que le salarié doit aviser l'employeur en cas de révocation ou de suspension.

Dois-je maintenir mon contrat de travail ou être licencié ?

Un salarié est incapable d'effectuer tout ou une partie de son travail en raison de la perte de son permis de conduire, une solution provisoire doit être trouvée en accord avec l'employeur. Les employés peuvent chercher des alternatives au fait de se présenter au travail, d'être temporairement affectés à d'autres tâches ou de prendre un congé. Toutefois, si la perte de votre permis de conduire risque d'avoir des conséquences néfastes sur votre capacité à exercer correctement vos fonctions, un licenciement peut être envisagé.

 

 Il y a trois scénarios à considérer :

 

  • Si l'objet principal du contrat de travail du salarié est la conduite d'un véhicule (chauffeur routier, livreur, ambulancier, etc.) et qu'il n'est plus en mesure d'exercer le travail pour lequel il a été embauché en raison d'une révocation ou suspension de son permis de conduire, il pourra être licencié par l'employeur.
  • Par contre, si un employé n'a pas besoin d'un permis de conduire pour exercer son travail, la perte de son permis de conduire ne justifie pas son licenciement.
  • Le salarié exerce un travail qui nécessite la conduite et les déplacements sont essentiels à l'exercice de l'emploi (comme par exemple un VRP), alors le licenciement sera envisageable seulement si la suspension ou la révocation du permis de conduire rend impossible l'exercice du travail. Dans l'hypothèse inverse, si le salarié est en mesure de continuer à travailler normalement (par exemple en utilisant les transports en commun), l'employeur ne peut pas résilier le contrat.

 

Avant de prendre une décision, l'employeur doit vérifier si la convention collective ou l'accord d'entreprise applicable prévoit des dispositions régissant le licenciement en cas d'infractions au Code de la route. Il faudra consulter ces accords pour déterminer les obligations et les droits des parties en présence. Des possibilités de réaménager son poste de travail sont envisageables comme également de reclasser le salarié dans un poste sédentaire ou de participer au financement de stages de récupération de points ou enfin envisager un télétravail si le poste le permet.

 

Attention de bien motiver la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige

Un licenciement est envisagé en raison de la perte du permis de conduire, il est primordial que l'employeur puisse justifier les perturbations subies par l'entreprise en conséquence de cette perte. Le licenciement ne peut pas être fondé uniquement sur le retrait du permis, mais plutôt sur les perturbations causées par la perte du permis du salarié.

En cas de licenciement, vous disposez du droit à un préavis et à percevoir une indemnité de départ. Si l'annulation du permis de conduire rend impossible le respect du délai de préavis, le salarié n'a droit à aucune indemnité, notamment si celle-ci est nécessaire à l'exercice de ses fonctions (Cass. soc. 28-2-2018 n° 17-11.334). La situation est différente lorsqu'un employeur peut permettre au salarié l'accomplissement d'autres tâches ou renoncer au délai de préavis. Le retrait du permis résulte de raisons médicales, l'employeur doit orienter le salarié vers le médecin du travail.

Ce dernier peut recommander des mesures d'adaptation du poste de travail ou déclarer le salarié inapte à occuper son poste de travail. Si le reclassement s'avère impossible, l'employeur peut engager une procédure de licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement (Article Code du travail L 1226-2 et L 1226-10 suivants).

 

II. Permis de conduire suspendu pour infractions commises au travail

Un salarié qui commet une infraction au Code de la route pendant son temps de travail et/ou au volant d'un véhicule de l'entreprise, cette infraction peut constituer une faute disciplinaire. Dans de tels cas, l'employeur peut exercer son pouvoir disciplinaire et envisager des sanctions, y compris le licenciement. Il est important de noter que le retrait du permis de conduire du salarié n'est pas en soi la justification du licenciement, mais plutôt le comportement du salarié en relation avec l'infraction au Code de la route. Le comportement du salarié, tel qu'un excès de vitesse, la conduite en état d'ébriété ou sous l’emprise de produits stupéfiants, peut justifier la sanction. De plus, le fait de conduire un véhicule de l'entreprise sans avoir informé l'employeur de la suspension du permis peut également être considéré comme une faute.

 

III. Distinction entre vie personnelle et vie professionnelle

La distinction entre la vie personnelle et professionnelle d’un employé est essentielle. Les actes commis dans le cadre de la vie personnelle ne peuvent pas servir de motif de licenciement disciplinaire, sauf s'ils entraînent un manquement à une obligation contractuelle. Dans le cas des infractions au Code de la route, il est souvent nécessaire de déterminer si elles se rattachent à la vie professionnelle du salarié. En résumé, le retrait ou la suspension du permis de conduire peut avoir des répercussions sur le travail d'un salarié et sur les obligations de l'employeur. La réponse appropriée dépend des circonstances spécifiques, notamment de la nature des fonctions du salarié et de l'impact sur le fonctionnement de l'entreprise. Avant de prendre des mesures, il est recommandé de consulter les dispositions légales, conventionnelles et jurisprudentielles applicables.

Cet arrêt de la Cour de cassation fournit des informations concernant, la délicate question des licenciements en relation avec des infractions au Code de la route. Il met en évidence l'importance d'analyser attentivement les circonstances de chaque cas, pour déterminer si de telles infractions peuvent être liées à la vie professionnelle du salarié. En somme, cet arrêt rappelle que la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, servir de motif de licenciement disciplinaire, à moins qu'elle ne soit directement liée à son contrat de travail.