Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, du 21 juin 2022, N° 20-86.857 apporte des précisions concernant l’organe ou le représentant devant être identifié afin de permettre la condamnation de la personne morale auteur d’une infraction.

Pour rappel, les personnes morales peuvent être reconnues coupable d’une infraction au même titre que les personnes physiques.

Cela n’a pas toujours été le cas. En 1810 le code pénal ne vise que les personnes physiques

Dans un premier temps, avec la réforme du code pénal entrée en vigueur en 1994, les personnes morales, sauf l’Etat, peuvent être poursuivies pénalement, mais uniquement dans les cas prévcus par des lois ou réglements, c'est à dire lorsque l'infraction le prévoyait.

A compter de l’entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2004 (loi dite Perben) le 31 décembre 2005, les personnes morales, sauf l’Etat, sont devenues pénalement responsables de toutes les infractions.

Les conditions de cette responsabilité pénale sont prévues par les dispositions de l’article 121-2 du Code pénal :

« Les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public.

La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3. »

S’agissant d’une société de droit privé il suffit, mais il faut, que l’infraction ait été commise pour son compte et par un de ses organes ou représentants.

La juridiction pénale doit identifier précisément cet organe ou représentant.

Dans le cas soumis à l’examen de la Cour de cassation deux sociétés étaient concernées.

Une société holding (société 1) et une société exploitant une filière textile, (société 2).

La Cour d'Appel de PARIS avait condamné les deux sociétés des chefs de blessures involontaires et infractions à la réglementation sur l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail.

Pour entrer en voie de condamnation, la Cour d'Appel avait indiqué que l’organe ou le représentant de la société 2 ayant commis l’infraction était la société 1.

En ce qui concerne la société 1, la Cour d'Appel avait identifié un préposé, directeur sans délégation de pouvoir valide

Un pourvoi est formé par les deux sociétés.

La société 2 soutenait que le préposé de la société 1 ne bénéficiant pas d’une délégation de pouvoir valide, il ne pouvait pas être identifié comme le préposé des sociétés.

Poursuivant leur raisonnement en l’absence de préposé identifié, aucune condamnation ne pouvait intervenir.

La Cour de cassation adopte la réponse suivante :

Concernant la société 2 la Cour de cassation juge qu’une personne morale peut être le préposé ou l’organe représentant la société. Il n’est pas nécessaire d’identifier une personne physique.

Ainsi pour confirmer la condamnation de la société 2 la Cour de cassation motive sa décision en ces termes :

« 10. Pour déclarer la société [2] coupable de blessures involontaires et d'infractions à la réglementation sur l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail, l'arrêt attaqué énonce, d'une part, qu'il appartenait à l'employeur de prévoir la présence sur le site d'un délégataire ou bien d'exercer lui-même la surveillance indispensable à l'application effective de la réglementation relative à l'hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail, d'autre part, qu'en l'absence de toute délégation valable donnée à son directeur d'usine, le chef d'entreprise conservait seul la responsabilité pénale en cette matière.

11. Les juges ajoutent, par ailleurs, que la société [1], présidente de la société [2], est sa représentante légale et son organe au sens de l'article 121-2 du code pénal.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucune des dispositions visées aux moyens.

13. En effet, l'organe de la société [2], pour le compte de laquelle l'infraction a été commise, a été identifié comme étant la société [1], personne morale assurant sa présidence. »

En revanche, en ce qui concerne la société 1, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d'Appel.

La motivation de la Cour de cassation est la suivante :

« 15. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

16. Pour déclarer la société [1] coupable de blessures involontaires, l'arrêt attaqué retient qu'aucune délégation valable n'ayant été consentie à M. [X], salarié de la société [2], non pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens suffisants, la société [1] qui est la représentante légale et la société mère de cette dernière, aurait dû s'assurer de l'application effective de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité sur le site.

17. Les juges ajoutent que le simple fait de se reposer sur une délégation imparfaite signe une faute d'organisation managériale ayant une répercussion directe sur la sécurité dans l'entreprise restée à la charge des responsables espagnols.

18. Ils retiennent enfin que l'infraction commise par la société [2] a été faite au nom et pour le compte de la société [1], présidente de la société [2].

19. En se déterminant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres constatations que la société [1] était la représentante légale de la société [2], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef. 

Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation sera limitée à la déclaration de culpabilité de la société [1], à la peine prononcée contre celle-ci et à la condamnation civile la concernant, toutes autres dispositions de l'arrêt étant expressément maintenues. »

Arrêt de la Cour de cassation en pièce jointe