ou conduire après consommation de CBD = conduite d’un véhicule après usage de produit stupéfiant

Un arrêt important de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation du 21 juin 2023, n° 22-85.530, signalé par nos confères Franck BERTON et @Avokayon, vient affirmer que la conduite d’un véhicule après consommation de CBD est une conduite sous stupéfiants.

Cet arrêt est un véritable « coup de tonnerre » pour le droit routier.

Quels sont les faits, quels sont les arguments de l’avocat général et quel est l’argumentaire de la cour ?

La cour de Cassation a joint à la publication de cette décision le rapport de Mme la Conseillère référendaire et l’avis de Mme l’avocate Générale référendaire.

Les arguments échangés et qui ont aboutis à cette prise de position sont donc connus.

Quels sont les faits ?

Une condamnation est prononcée par le Tribunal Correctionnel du havre pour une conduite d’un véhicule en ayant fait usage de produits stupéfiants et excès de vitesse ;

Le prévenu relève appel de ce jugement et la Cour d'Appel de Rouen réforme partiellement ce jugement en relaxant le prévenu des faits de conduite après usage de produits stupéfiants.

Le Procureur Général a relevé appel de cette décision de relaxe.

C’est cette décision de relaxe que la cour de Cassation vient de censurer.

Le prévenu soutenait n’avoir consommé que du CBD, retrouvé lors du contrôle, et reprochait l’absence de recherche taux de tétrahydrocannabinol (THC) du CBD et qu’aucune investigation n’a été menée afin de savoir si le CBD consommé par M. [J] dépassait ou non la teneur admise en THC, fixée à moins de 0,20% à la date des faits.

La Cour d'Appel de ROUEN avait été sensible à cet argumentaire et avait relaxé le prévenu de ce chef.

Quels sont les arguments juridiques de Madame l'Avocate Générale ?

Dans son avis, Madame l’Avocate Générale pose clairement le problème juridique soumis à l’appréciation de la Cour de Cassation avant de reprendre les différentes dispositions applicables applicable et de dérouler son raisonnement.

« Le présent dossier pose ainsi la question de savoir si les évolutions relatives à la réglementation sur les produits stupéfiants doivent avoir des conséquences sur la manière dont les dispositions pénales qui la prolongent doivent être appliquées. »

Après le rappel des dispositions applicables et leur évolution chronologique (pages 3, 4 et 5 de son avis ci-joint) elle indique :

«  Les dispositions actuellement en vigueur permettent ainsi la commercialisation6 : - d’extraits de chanvre et de produits en contenant, si la teneur en delta-9- tétrahydrocannabinol n'est pas supérieure à 0,30 %, - des fleurs et feuilles de variétés de cannabis présentant une teneur en delta-9- tétrahydrocannabinol ne dépassant pas 0,30 %7 et, sans doute, ne contenant pas plus de 0,30 % de delta-9-tétrahydrocannabinol. La commercialisation de CBD, sous quelque forme que ce soit8 , paraît autorisée9 dès lors que le produit vendu ne contient pas plus de 0,30 % de delta-9- tétrahydrocannabinol. ».

Elle poursuit en rappelant que «  Tirant les conséquences de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 novembre 2020, la Direction des affaires criminelles et des grâces a déjà indiqué dans une circulaire (27 novembre 2020 - REF : 2020/0083/FD2) que « s’agissant des  infractions à la législation sur les stupéfiants, celles-ci ne pourront être retenues qu’en cas de découverte dans le produit présenté comme du CBD, de delta-9- tétrahydrocannabinol dans des proportions supérieures à l’existence de seules traces ».

Désormais, dès lors que des produits ne contenant pas plus de 0,30% de delta-9- tétrahydrocannabinol sont autorisés à la commercialisation, il est évident qu’il n’est pas possible de continuer à poursuivre des faits relatifs à la vente, à la détention et à l’usage de ces produits. »

Avant de préciser, en ce qui concerne le droit routier, « S’agissant de l’infraction de conduite en ayant fait usage de stupéfiants, l’évolution de la réglementation relative aux stupéfiants ne peut avoir une conséquence aussi évidente. Cette infraction n’a en effet pas pour objectif la lutte contre les produits stupéfiants mais tend à garantir la sécurité routière »

Raisonnant par analogie elle ajoute, « L’autorisation de consommer un produit ne peut dès lors entraîner automatiquement celle de conduire après en avoir consommé. D’ailleurs, si la consommation d’alcool est autorisée, la conduite sous l’empire d’un état alcoolique10, elle, ne l’est pas. (…)

La libéralisation de la commercialisation de certains produits issus du cannabis ne peut entraîner ipso facto l’obsolescence des dispositions de l’article L.235-1 du code de la route relativement au cannabis. (…)

Il est en outre constant que le taux d’imprégnation importe peu. L’article L.235-1 du code de la route ne prévoit pas de seuil d’imprégnation pour caractériser l’infraction. Il incrimine le seul fait de conduire après avoir fait usage de stupéfiants, dès lors que cet usage résulte de l’examen pratiqué. »

Elle rappelle que cette absence de seuil d’imprégnation a été validé par le conseil constitutionnel dans une décision du 24 mars 2023.

Elle poursuit son raisonnement concernant en prenant en considération que, « dans la mesure où le CBD n’est pas considéré comme une substance stupéfiante, il peut en effet sembler sévère de retenir l'infraction de conduite après avoir fait usage de stupéfiants dans ces circonstances.

Cependant, il ne peut être ignoré qu'un produit contenant du CBD contient généralement aussi du THC, ne serait-ce qu'en traces. Les recherches effectuées montrent en outre que nombre de produits vendus comme étant du « CBD » mentionne aussi la présence de THC ainsi que le taux de THC contenu. Un conducteur contrôlé positif au delta-9-tétrahydrocannabinol ne peut donc raisonnablement soutenir ne pas avoir conscience d'avoir consommé du THC au motif qu'il ne consommerait que des produits affichés « CBD », surtout lorsque, comme en l’espèce, il était responsable d’un commerce de vente de CBD, et, quand bien même le CBD retrouvé auprès de lui serait exempt de THC, le contrôle positif au THC démontrerait alors qu'un autre produit en contenant a été consommé. »

Enfin l’Avocate Générale ajoute qu’il « est enfin possible de s'interroger sur la nécessité pour le conducteur d'avoir conscience de sa consommation de stupéfiant pour caractériser l'infraction.

L'article L.235-1 du code de la route réprime la conduite après usage de produits stupéfiants par référence au résultat du contrôle opéré. En intégrant le mode de preuve de l'infraction à sa caractérisation, le législateur semble avoir créé une infraction ne disposant pas d'élément intentionnel puisque la seule constatation du résultat positif entraîne la preuve de l'usage de stupéfiants. »

L’Avocate Générale considère que l’infraction prévue par l’article L 235-1 du code de la route appartient à la catégorie d’infraction pour lesquelles l’accomplissement de l’élément matériel suffit à caractériser l’infraction.

Ainsi toute personne qui conduira après avoir fait usage de CBD et sera testée positive au THC, sera considéré comme ayant conduit après usage de produit stupéfaint.

Quelle est la position retenue par la Cour de Cassation ?

La Cour de Cassation a été convaincu par ce raisonnement et censure l’arrêt de la Cour d'Appel de Rouen : « 10. En prononçant ainsi, alors que l'autorisation de commercialiser certains dérivés du cannabis, dont la teneur en delta 9 tétrahydrocannabinol, substance elle-même classée comme stupéfiant par l'arrêté susvisé, n'est pas supérieure à 0,30 %, est sans incidence sur l'incrimination de conduite après usage de stupéfiants, cette infraction étant constituée s'il est établi que le prévenu a conduit un véhicule après avoir fait usage d'une substance classée comme stupéfiant, peu important la dose absorbée, la cour d'appel a méconnu les textes précités. »