Dans le cadre de son action dirigée contre l’employeur, le salarié dispose de plusieurs leviers d’action pour obtenir gain de cause.
Parmi les possibilités qui s’ouvrent à lui, le salarié peut former son action sur le terrain des manquements commis par l’employeur quel qu’en soit le terrain, contractuel, conventionnel ou légal.
Cependant, un obstacle et pas le moindre peut s’ériger face à lui : celui du délai.
Le délai qui court est d’abord celui de la prescription affirmé comme étant le prix de la paix sociale après l’écoulement d’un certain délai, voire d’un délai certain.
Un an en matière de licenciement, trois années en matière de rémunération, cinq années pour ce qui est de la discrimination.
Parallèlement, la Chambre sociale de la Cour de cassation a développé une seconde voie, une approche plus originale du délai qui court, une nouvelle forme de prescription.
Celle de l’ancienneté du grief. Si les griefs opposés par le salarié sont établis mais qu’ils sont anciens, ils seront tout de même écartés par les juges au motif de leur ancienneté.
Point de prescription, l’argument ne tient pas à ce moyen juridique que les conseils des employeurs ne manquent pas de soulever. Il s’agit d’autre chose, d’une approche audacieuse qui n’emporte pas mon agrément.
Cette problématique est mise en avant, notamment, en matière de résiliation judiciaire et/ou de prise d’acte de la rupture.
Par un arrêt encore récent du 14 novembre 2018, pourvoi n°17-18.890, la Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que le non-paiement des heures supplémentaires, qui était établi, ne justifie pas systématiquement la résiliation judiciaire du contrat de travail car le manquement était ancien et que le salarié avait attendu plusieurs années pour en réclamer le paiement.
Les Hauts magistrats en ont déduit que, dans une telle situation, le manquement de l’employeur ne serait pas suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail.
Ce mouvement peut être rapproché de plusieurs décisions antérieures, notamment une décision rendue le 26 mars 2014 (n°12-23634), au terme de laquelle la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que :
« (…) Mais attendu que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a retenu que les manquements de l'employeur étaient pour la plupart anciens, faisant ainsi ressortir qu'ils n'avaient pas empêché la poursuite du contrat de travail, a légalement justifié sa décision (…) ».
Dans une autre décision qu’elle a rendue le 19 novembre 2014 (n°13-17729), elle a également considéré ce qui suit :« (…) Mais attendu qu'ayant rappelé les termes de la lettre de démission, qui ne comportait aucune réserve, et constaté, d'une part, que les faits de harcèlement s'étaient produits plus de six mois avant la rupture, d'autre part, que l'employeur y avait rapidement mis fin, la cour d'appel a pu décider que la démission du salarié n'était pas équivoque ; que le moyen n'est pas fondé (…) ».
Par un autre arrêt du 15 avril 2015 (n°13-24333), la Cour de Cassation a estimé que la Cour d’Appel qui a motivé sa décision de faire produire à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié les effets d’une démission, dès lors qu’elle a relevé d’une part que si le salarié s'était parfois trouvé sans activité, il lui avait aussi été reproché de ne pas avoir effectué telle ou telle mission et que ces faits devaient être replacés dans le contexte particulier des relations du salarié avec son employeur, et d'autre part, que les agissements caractérisés au titre de la discrimination syndicale étaient isolés, remontaient à plusieurs années et n'avaient pas eu d'incidence sur le déroulement de carrière de l'intéressé, faisant ainsi ressortir que les manquements invoqués par le salarié n'avaient pas empêché la poursuite du contrat de travail, a justifié sa décision.
Même si parfois, l’ancienneté des faits est noyée dans d’autres considérations tenant au fond de chacun des dossiers, il apparaît clairement que la notion du délai qui s’écoule constitue, à la fois, un avantage pour l’employeur et un fardeau pour le salarié qui verra la gravité des faits voire le cumul des manquements commis par l’employeur balayés par le seul fait de leur ancienneté.
Ne s’agit-il pas d’une interprétation de la réalité des faits contra legem, puisque juridiquement la seule notion de délai susceptible d’interférer dans la défense des intérêts du salarié est celui de la prescription.
Que deviendra donc la logique de la discrimination, de l’évolution de carrière inégalitaire qui ne peuvent exister qu’à travers un examen de la situation du salarié sous le prisme du temps qui a passé ?
Il est, heureusement, jugé que si le délai d’action en matière de discrimination est encore quinquennal, le salarié peut se prévaloir de précédents actes de discrimination sans limitation dans le temps.
Au final, il est une étrange contradiction dans la position de la jurisprudence en matière de griefs opposables à l’employeur. D’un côté il est réclamé des griefs forts dans leur consistance, de l’autre il est imposé au salarié d’agir rapidement après la réalisation.
Douce complexité quand tu nous tiens.
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