Selon une jurisprudence constante, la Cour de cassation considérait, conformément au principe de loyauté de la preuve, qu’était irrecevable la production d'une preuve recueillie à l'insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème (Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316 et 09-14.667).

La chambre sociale faisait application de cette règle (Cass. soc., 4 juill. 2012, n° 11-30.266).

Cette solution, qui était fondée sur la considération que la justice doit être rendue loyalement au vu de preuves recueillies et produites d'une manière qui ne porte pas atteinte à sa dignité et à sa crédibilité, avait toutefois un inconvénient : conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits.

Or, la CEDH ne retient pas, par principe, l'irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales.

Elle estime que, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l'article 6, § 1 de la Convention EDH entre en conflit avec d'autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence.

Elle ajoute que « l'égalité des armes implique l'obligation d'offrir, dans les différends opposant des intérêts à caractère privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ».

Elle souligne que ce texte implique notamment à la charge du juge l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre (CEDH, 13 mai 2008, req. n° 65087/01, N.N. et T.A. c. Belgique).

Sur cette base, l’assemblée plénière opère un revirement de jurisprudence et juge désormais qu’« il y a lieu de considérer (…) que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » (Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648, B+R).

La Cour de cassation admet donc que, dans un litige civil, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits.

Il en est ainsi notamment pour un employeur dans un procès en contestation par le salarié d’un licenciement pour faute grave.

La solution se rapproche ainsi de celle retenue en matière pénale, la Cour considérant déjà qu'aucune disposition légale ne permet au juge répressif d'écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale (Cass. crim., 11 juin 2002, n° 01-85.559). Avec l’arrêt du 22 décembre 2023, disparaît le risque que la voie pénale permette de contourner le régime plus restrictif des preuves en matière civile.

En l’espèce, l’employeur avait soumis au juge un enregistrement sonore, réalisé à l’insu du salarié, d’un entretien au cours duquel le salarié avait tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied.

La cour d’appel d’Orléans avait jugé irrecevables les pièces litigieuses après avoir relevé que celles-ci constituent des transcriptions d'enregistrements clandestins.

La cour d’appel avait retenu qu'ayant été obtenues par un procédé déloyal, elles devaient être écartées des débats.

Cette décision est donc cassée au visa de l'article 6, § 1 de la Convention EDH et de l'article 9 du Code de procédure civile.

La cour d’appel de renvoi devra vérifier, d’une part, que les enregistrements étaient indispensables pour prouver la faute grave du salarié, d’autre part, que l’utilisation de ces enregistrements réalisés à l’insu du salarié ne portent pas une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux.

(Source : Lexis360 du 19/01/2024).