On n'est pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen incompatible avec la thèse développée devant les juges du fond

 

 

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 janvier 2021




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 132 F-D

Pourvoi n° N 19-15.635




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 JANVIER 2021

La société Esteva, anciennement dénommée Société nouvelle Vérandalor, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° N 19-15.635 contre l'arrêt rendu le 15 février 2019 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à M. S... G..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Esteva, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de M. G..., après débats en l'audience publique du 15 décembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 15 février 2019), M. G... a commandé à la Société nouvelle Vérandalor, devenue Esteva, la fourniture et la pose d'une véranda.

2. Se plaignant de désordres, il a, après expertise, assigné la société Vérandalor en résolution judiciaire du contrat et en indemnisation des préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société Esteva fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, de prononcer la résolution judiciaire du contrat et de la condamner au paiement d'une certaine somme au titre des conséquences de la résolution, alors « que les dommages qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation ou en résolution du contrat sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ; qu'en ne recherchant pas si les désordres dont elle constatait l'existence ne relevaient pas d'une garantie légale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Ayant soutenu, dans ses conclusions d'appel, que les conditions de la résolution judiciaire du contrat d'entreprise n'étaient pas réunies, la société Esteva n'est pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen incompatible avec la thèse qu'elle a développée devant les juges du fond.

5. Le moyen est donc irrecevable.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. La société Esteva fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le juge judiciaire n'est pas compétent pour apprécier la légalité d'un acte administratif individuel ; qu'en écartant la conformité de la construction litigieuse aux règles d'urbanisme quand cette construction avait été réalisée en conformité avec un permis de construire dont la légalité ne pouvait être appréciée que par le juge administratif en vertu d'une question préjudicielle, la cour d'appel a violé le principe de la séparation des pouvoirs et la loi des 16-24 août 1790 ;

2°/ qu'il résulte de l'article UB 11.3 du règlement du PLU de la commune de [...] que « pour les maisons individuelles, la pente de toit doit être comprise entre 25° et 35° » et que « les toitures terrasses sont autorisées pour les surfaces inférieures à 35% de la surface au sol du bâtiment correspondant » ; que le règlement du PLU autorise ainsi a fortiori la réalisation d'une toiture ayant une pente inférieure à 25° dès lors qu'il s'agit de la toiture d'une véranda ayant une surface au sol inférieure à 35% de la surface au sol du bâtiment correspondant ; qu'en énonçant que cette disposition concernerait uniquement l'autorisation de construction d'un toit-terrasse, la cour d'appel a violé l'article UB 11.3 susvisé ;

3°/ qu'il résulte de l'article UB 11.3 du règlement du PLU de la commune de [...] que « pour les maisons individuelles, la pente de toit doit être comprise entre 25° et 35° » et que « les toitures terrasses sont autorisées pour les surfaces inférieures à 35% de la surface au sol du bâtiment correspondant » ; qu'il appartenait au maître de l'ouvrage qui invoquait la responsabilité contractuelle de la société Esteva pour non-respect de l'article UB 11.3 du PLU de la commune de [...] de démontrer que la surface de la véranda serait supérieure à 35 % de la surface au sol du bâtiment correspondant et que dès lors la toiture de cette véranda ne pouvait échapper à l'exigence d'une pente de 25° ; qu'en faisant peser le risque de cette preuve sur la société Esteva, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que la conformité au PLU de la toiture au regard des exigences concernant les matériaux et couleurs n'était pas contestée par M. G... ; qu'en relevant d'office une violation des règles d'urbanisme concernant la couleur de la toiture litigieuse sans inviter préalablement les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

5°/ qu'en retenant une prétendue non-conformité de la toiture litigieuse en ce que le maire a attesté le 26 juillet 2011 que la réalisation d'une toiture blanche était interdite, sans avoir vérifié la couleur de la toiture litigieuse et après avoir constaté qu'elle était composée de plaques polytuiles à savoir d'un matériau imitant les tuiles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

6°/ que lorsqu'un bâtiment régulièrement édifié vient à être détruit ou démoli, sa reconstruction à l'identique est autorisée dans un délai de dix ans nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale, le plan local d'urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement ; que dès lors qu'elle avait été construite en vertu d'un permis de construire, la toiture de la véranda litigieuse régulièrement édifiée et dont la non-conformité au permis n'est pas constatée, pouvait être reconstruite à l'identique dans le cadre d'une remise en état ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 2.6 du règlement du PLU de la commune de [...] et l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme ;

7°/ qu'en énonçant que la déclaration de travaux déposée auprès de la commune de [...] pour la réfection de la couverture de la véranda faisant l'objet de non-opposition par arrêté du 16 novembre 2018 ne ferait état que de la conservation de la pente actuelle sans autre précision si ce n'est un respect des dispositions du PLU, quand la déclaration préalable qui a donné lieu à un arrêté de non-opposition comporte dans la notice explicative, un plan de l'existant mentionnant toutes les dimensions de la véranda existante nécessaires au calcul de la pente de la toiture litigieuse, la cour d'appel a dénaturé cette déclaration en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;

8°/ qu'en énonçant que la société Esteva ne démontrerait pas que la proposition réparatoire puisse se réaliser dans le respect des dispositions réglementaires d'urbanisme, après avoir constaté que par arrêté du 16 novembre 2018, le maire de [...] a déclaré au vu du plan local d'urbanisme, ne pas s'opposer à la déclaration préalable pour la réfection de la toiture de la véranda à l'identique, la cour d'appel a refusé de tirer les conséquences de ses propres constatations, en violation de l'article 1315 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

7. D'une part, ayant soutenu, dans ses conclusions d'appel, que la surface de la véranda était supérieure à 35 % de celle de la maison et que l'article UB 11.3 du plan local d'urbanisme ne pouvait s'appliquer, la société Esteva n'est pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen incompatible avec la thèse qu'elle a développée devant les juges du fond.

8. D'autre part, la cour d'appel a retenu que des fuites s'étaient produites dans la véranda et que la pente de sa toiture, de 10,26 %, était insuffisante au regard des prescriptions du plan local d'urbanisme, selon lequel, pour les maisons individuelles, la pente de toit doit être comprise entre 25 % et 35 %.

9. Elle a encore retenu que, si la société Esteva affirmait que la réparation qu'elle proposait était techniquement fiable puisqu'elle avait reçu l'accord du fabricant des matériaux de couverture, elle ne fournissait pas une étude détaillée des travaux ni un accord spécifique de ce fabricant.

10. Elle a pu, sans violer la séparation des autorités administratives et judiciaires, en déduire, abstraction faite de motifs surabondants tenant à la couleur de la toiture, l'impossibilité d'une reconstruction à l'identique et la teneur d'une déclaration de travaux faisant l'objet d'un arrêté de non-opposition du maire, que la société Esteva avait failli à ses obligations contractuelles et que ces défaillances étaient suffisamment graves pour justifier la résolution du contrat d'entreprise.

11. Le moyen, pour partie irrecevable, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Esteva aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Esteva et la condamne à payer à M. G... la somme de 3 000 euros ;