Une lettre de mise en demeure ne peut être assimilée à une demande en justice, une mesure conservatoire ou un acte d'exécution forcée
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 21-19.309
- ECLI:FR:CCASS:2022:C300831
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 30 novembre 2022
Décision attaquée : Tribunal de commerce de Chaumont, du 10 mai 2021
Président
Mme Teiller (président)
Avocat(s)
Me Balat, SCP Claire Leduc et Solange Vigand
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 novembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 831 F-D
Pourvoi n° X 21-19.309
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2022
La société L'indispensable, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 21-19.309 contre le jugement rendu le 10 mai 2021 par le tribunal de commerce de Chaumont, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [X], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à M. [V] [X], domicilié [Adresse 2], pris en qualité de liquidateur de la soiété [X],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société L'indispensable, de Me Balat, avocat de la société [X] et de M. [X], après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de commerce de Chaumont, 10 mai 2021), rendu en dernier ressort, suivant devis accepté du 17 avril 2014, la société L'Indispensable a commandé à la société [X] la pose d'une porte d'entrée à deux vantaux dans le local commercial qu'elle exploite.
2. Contestant la conformité au devis de la porte installée, faisant valoir notamment que les vantaux n'étaient pas d'égale largeur, la société L'Indispensable a, le 25 mars 2019, assigné la société [X] pour demander sa condamnation sous astreinte à poser une porte à deux vantaux identiques. La société [X] a formé une demande reconventionnelle en paiement du solde du prix de la porte, suivant facture du 15 octobre 2014.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. La société L'Indispensable fait grief au jugement de la condamner au paiement d'une certaine somme au titre du solde du prix de la porte, alors « que l'envoi d'une lettre, même recommandée, n'interrompt pas la prescription ; qu'en retenant, pour condamner la société L'indispensable à payer à la société [X] la somme de 2 387 euros, que la lettre de Me [D], pour le compte de la société [X], de mise en demeure à la société L'indispensable pour le règlement du solde de leur facture d'un montant de 2 387 euros est intervenue le 19 décembre 2018 interrompant le délai de prescription de cinq ans entre commerçants, le tribunal a violé les articles 2241 et 2244 du code civil. » Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société [X], représentée par son liquidateur, conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la société L'Indispensable ne soulevait pas la prescription de son action en paiement.
6. Cependant, dans le dispositif de ses conclusions, la société L'Indispensable demandait au tribunal de déclarer prescrite la demande en paiement de la société [X].
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 2241 et 2244 du code civil :
8. Selon le premier de ces textes, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.
9. Le second dispose que le délai de prescription est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures d'exécution ou un acte d'exécution forcée.
10. Pour condamner la société L'Indispensable au paiement du solde du prix de la porte, le tribunal retient que la lettre de l'avocat de la société [X], mettant en demeure la société L'Indispensable de régler ce solde, a interrompu le délai de prescription de cinq ans entre commerçants.
11. En statuant ainsi, alors qu'une lettre de mise en demeure ne peut être assimilée à une demande en justice, une mesure conservatoire ou un acte d'exécution forcée, le tribunal a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. La société L'Indispensable fait grief au jugement de la condamner à payer à la société [X] une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en retenant, pour condamner la société L'Indispensable au paiement d'une somme de 2 500 euros pour procédure abusive, que celle-ci a refusé tout aménagement et tout arrangement commercial, le tribunal a statué par des motifs impropres à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice en violation de l'article 1240 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1240 du code civil :
13. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
14. Pour condamner la société L'Indispensable à payer à la société [X] des dommages-intérêts pour procédure abusive, le jugement retient que la première a refusé tout arrangement commercial proposé par la seconde, qui a livré une porte conforme à la réglementation relative à l'accessibilité des locaux recevant du public, et qu'elle a ainsi démontré sa mauvaise volonté sinon sa mauvaise foi.
15. En statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, le tribunal a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société L'Indispensable à payer à la société [X] la somme de 2 387 euros au titre du solde du prix de la porte livrée et des dommages-intérêts de 2 500 pour procédure abusive, le jugement rendu le 10 mai 2021, entre les parties, par le tribunal de commerce de Chaumont ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal de commerce de Troyes ;
Condamne la société [X] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 novembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 831 F-D
Pourvoi n° X 21-19.309
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2022
La société L'indispensable, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 21-19.309 contre le jugement rendu le 10 mai 2021 par le tribunal de commerce de Chaumont, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [X], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à M. [V] [X], domicilié [Adresse 2], pris en qualité de liquidateur de la soiété [X],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société L'indispensable, de Me Balat, avocat de la société [X] et de M. [X], après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de commerce de Chaumont, 10 mai 2021), rendu en dernier ressort, suivant devis accepté du 17 avril 2014, la société L'Indispensable a commandé à la société [X] la pose d'une porte d'entrée à deux vantaux dans le local commercial qu'elle exploite.
2. Contestant la conformité au devis de la porte installée, faisant valoir notamment que les vantaux n'étaient pas d'égale largeur, la société L'Indispensable a, le 25 mars 2019, assigné la société [X] pour demander sa condamnation sous astreinte à poser une porte à deux vantaux identiques. La société [X] a formé une demande reconventionnelle en paiement du solde du prix de la porte, suivant facture du 15 octobre 2014.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. La société L'Indispensable fait grief au jugement de la condamner au paiement d'une certaine somme au titre du solde du prix de la porte, alors « que l'envoi d'une lettre, même recommandée, n'interrompt pas la prescription ; qu'en retenant, pour condamner la société L'indispensable à payer à la société [X] la somme de 2 387 euros, que la lettre de Me [D], pour le compte de la société [X], de mise en demeure à la société L'indispensable pour le règlement du solde de leur facture d'un montant de 2 387 euros est intervenue le 19 décembre 2018 interrompant le délai de prescription de cinq ans entre commerçants, le tribunal a violé les articles 2241 et 2244 du code civil. » Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société [X], représentée par son liquidateur, conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la société L'Indispensable ne soulevait pas la prescription de son action en paiement.
6. Cependant, dans le dispositif de ses conclusions, la société L'Indispensable demandait au tribunal de déclarer prescrite la demande en paiement de la société [X].
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 2241 et 2244 du code civil :
8. Selon le premier de ces textes, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.
9. Le second dispose que le délai de prescription est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures d'exécution ou un acte d'exécution forcée.
10. Pour condamner la société L'Indispensable au paiement du solde du prix de la porte, le tribunal retient que la lettre de l'avocat de la société [X], mettant en demeure la société L'Indispensable de régler ce solde, a interrompu le délai de prescription de cinq ans entre commerçants.
11. En statuant ainsi, alors qu'une lettre de mise en demeure ne peut être assimilée à une demande en justice, une mesure conservatoire ou un acte d'exécution forcée, le tribunal a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. La société L'Indispensable fait grief au jugement de la condamner à payer à la société [X] une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en retenant, pour condamner la société L'Indispensable au paiement d'une somme de 2 500 euros pour procédure abusive, que celle-ci a refusé tout aménagement et tout arrangement commercial, le tribunal a statué par des motifs impropres à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice en violation de l'article 1240 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1240 du code civil :
13. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
14. Pour condamner la société L'Indispensable à payer à la société [X] des dommages-intérêts pour procédure abusive, le jugement retient que la première a refusé tout arrangement commercial proposé par la seconde, qui a livré une porte conforme à la réglementation relative à l'accessibilité des locaux recevant du public, et qu'elle a ainsi démontré sa mauvaise volonté sinon sa mauvaise foi.
15. En statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, le tribunal a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société L'Indispensable à payer à la société [X] la somme de 2 387 euros au titre du solde du prix de la porte livrée et des dommages-intérêts de 2 500 pour procédure abusive, le jugement rendu le 10 mai 2021, entre les parties, par le tribunal de commerce de Chaumont ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal de commerce de Troyes ;
Condamne la société [X] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Pas de contribution, soyez le premier