Le sous-traitant du sous-traitant est tenu, à l'égard de ce dernier, d'une obligation de résultat emportant présomption de faute et de causalité
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 21-20.971
- ECLI:FR:CCASS:2023:C300240
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du jeudi 30 mars 2023
Décision attaquée : Cour d'appel d'Agen, du 05 mai 2021
Président
Mme Teiller (président)
Avocat(s)
SARL Le Prado - Gilbert, SCP Krivine et Viaud
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 mars 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 240 F-D
Pourvoi n° D 21-20.971
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 MARS 2023
La société Castel et Fromaget, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 21-20.971 contre l'arrêt rendu le 5 mai 2021 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile, section commerciale), dans le litige l'opposant à la société Coner Costruzioni SRL, société à responsabilité limitée de droit italien, dont le siège est [Adresse 1] (Italie), défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brun, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Castel et Fromaget, de la SCP Krivine et Viaud, avocat de la société Coner Costruzioni SRL, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Brun, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 5 mai 2021), la société GMT (l'entrepreneur principal), chargée de la construction d'un stade de rugby, a confié à la société Castel et Fromaget, par contrat de sous-traitance conclu le 20 juillet 2015, la réalisation d'une charpente métallique.
2. Par contrat de sous-traitance de second rang conclu le 20 août 2015, la société Castel et Fromaget a confié à la société de droit italien Coner Costruzioni (la société Coner) l'assemblage sur site par soudage et boulonnage des éléments de la charpente.
3. Par lettre recommandée du 5 février 2016, la société Castel et Fromaget a notifié à la société Coner la résiliation du contrat de sous-traitance les liant.
4. Par lettre recommandée du 24 février 2016, l'entrepreneur principal a résilié le contrat de sous-traitance conclu avec la société Castel et Fromaget.
5. Le 24 février 2017, la société Coner a assigné la société Castel et Fromaget afin d'obtenir le paiement des sommes restant dues au titre du marché.
6. Après signature d'une transaction avec l'entrepreneur principal relative aux préjudices subis par celui-ci, la société Castel et Fromaget a formé une demande reconventionnelle en remboursement d'acomptes, de dépenses engagées pour pallier sa carence, de l'indemnité transactionnelle versée à l'entrepreneur principal, outre paiement des pénalités de retard et des dédommagements accordés à d'autres sous-traitants.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et sixième branches
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La société Castel et Fromaget fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle, alors « que le sous-traitant est tenu envers son commettant d'une obligation de résultat ; que, pour écarter la responsabilité de la société Coner Costruzioni, sous-traitant de second rang, la cour d'appel a énoncé que la société Castel et Fromaget « ne peut imputer des manquements à son sous-traitant sans en justifier par des éléments techniques précis et objectifs, eu égard à la complexité de la construction en litige, prenant en compte les tâches respectives, les contraintes et l'ensemble des interventions sur le chantier », que, faute d'avoir appelé la société Coner Costruzioni à l'expertise judiciaire, elle « s'est privée d'apporter des éléments techniques objectifs sur les causes des défaillances invoquées », que « le rapport de l'Institut de soudure établi le 7 juin 2016 (?) identifie des défauts dans les soudures mais n'en indique pas les causes précises, la technique choisie, le responsable de ce choix, et ne permet pas de les imputer à des fautes commises par la société Coner », pour en conclure que ses « griefs » à l'encontre de la société Coner « ne reposent sur aucun élément technique objectif » ; qu'en statuant ainsi, tout en constatant une « mauvaise prestation d'assemblage et soudures », cependant qu'il appartenait à la société Coner Costruzioni, sous-traitant de second rang, tenue envers la société Castel et Fromaget d'une obligation de résultat emportant présomption de faute et de causalité, de démontrer que les défauts de l'ouvrage constatés provenaient d'une cause étrangère, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
9. La société Coner conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le grief de la première branche est nouveau et mélangé de fait et de droit.
10. Cependant, le grief est de pur droit en ce qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.
11. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
12. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
13. Le sous-traitant du sous-traitant est tenu, à l'égard de ce dernier, d'une obligation de résultat emportant présomption de faute et de causalité (3e Civ., 15 janvier 1992, pourvoi n° 90-16.081, Bull. 1992, III, n° 21), dont il ne peut s'exonérer, totalement ou partiellement, qu'en démontrant l'existence d'une cause étrangère (3e Civ., 17 décembre 1997, pourvoi n° 95-19.504, Bull. 1997, III, n° 227).
14. Pour rejeter la demande reconventionnelle de la société Castel et Fromaget en réparation de ses préjudices, l'arrêt retient que les griefs formés par elle à l'encontre de la société Coner tendant à lui imputer les préjudices résultant de la résiliation du contrat conclu avec l'entrepreneur principal ne sont pas démontrés.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'entrepreneur principal avait reproché à la société Castel et Fromaget des manquements commis dans la réalisation des soudures, réalisation qui relevait des prestations de la société Coner, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts présentée par la société Castel et Fromaget, l'arrêt rendu le 5 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société Coner Costruzioni aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 mars 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 240 F-D
Pourvoi n° D 21-20.971
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 MARS 2023
La société Castel et Fromaget, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 21-20.971 contre l'arrêt rendu le 5 mai 2021 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile, section commerciale), dans le litige l'opposant à la société Coner Costruzioni SRL, société à responsabilité limitée de droit italien, dont le siège est [Adresse 1] (Italie), défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brun, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Castel et Fromaget, de la SCP Krivine et Viaud, avocat de la société Coner Costruzioni SRL, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Brun, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 5 mai 2021), la société GMT (l'entrepreneur principal), chargée de la construction d'un stade de rugby, a confié à la société Castel et Fromaget, par contrat de sous-traitance conclu le 20 juillet 2015, la réalisation d'une charpente métallique.
2. Par contrat de sous-traitance de second rang conclu le 20 août 2015, la société Castel et Fromaget a confié à la société de droit italien Coner Costruzioni (la société Coner) l'assemblage sur site par soudage et boulonnage des éléments de la charpente.
3. Par lettre recommandée du 5 février 2016, la société Castel et Fromaget a notifié à la société Coner la résiliation du contrat de sous-traitance les liant.
4. Par lettre recommandée du 24 février 2016, l'entrepreneur principal a résilié le contrat de sous-traitance conclu avec la société Castel et Fromaget.
5. Le 24 février 2017, la société Coner a assigné la société Castel et Fromaget afin d'obtenir le paiement des sommes restant dues au titre du marché.
6. Après signature d'une transaction avec l'entrepreneur principal relative aux préjudices subis par celui-ci, la société Castel et Fromaget a formé une demande reconventionnelle en remboursement d'acomptes, de dépenses engagées pour pallier sa carence, de l'indemnité transactionnelle versée à l'entrepreneur principal, outre paiement des pénalités de retard et des dédommagements accordés à d'autres sous-traitants.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et sixième branches
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La société Castel et Fromaget fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle, alors « que le sous-traitant est tenu envers son commettant d'une obligation de résultat ; que, pour écarter la responsabilité de la société Coner Costruzioni, sous-traitant de second rang, la cour d'appel a énoncé que la société Castel et Fromaget « ne peut imputer des manquements à son sous-traitant sans en justifier par des éléments techniques précis et objectifs, eu égard à la complexité de la construction en litige, prenant en compte les tâches respectives, les contraintes et l'ensemble des interventions sur le chantier », que, faute d'avoir appelé la société Coner Costruzioni à l'expertise judiciaire, elle « s'est privée d'apporter des éléments techniques objectifs sur les causes des défaillances invoquées », que « le rapport de l'Institut de soudure établi le 7 juin 2016 (?) identifie des défauts dans les soudures mais n'en indique pas les causes précises, la technique choisie, le responsable de ce choix, et ne permet pas de les imputer à des fautes commises par la société Coner », pour en conclure que ses « griefs » à l'encontre de la société Coner « ne reposent sur aucun élément technique objectif » ; qu'en statuant ainsi, tout en constatant une « mauvaise prestation d'assemblage et soudures », cependant qu'il appartenait à la société Coner Costruzioni, sous-traitant de second rang, tenue envers la société Castel et Fromaget d'une obligation de résultat emportant présomption de faute et de causalité, de démontrer que les défauts de l'ouvrage constatés provenaient d'une cause étrangère, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
9. La société Coner conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le grief de la première branche est nouveau et mélangé de fait et de droit.
10. Cependant, le grief est de pur droit en ce qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.
11. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
12. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
13. Le sous-traitant du sous-traitant est tenu, à l'égard de ce dernier, d'une obligation de résultat emportant présomption de faute et de causalité (3e Civ., 15 janvier 1992, pourvoi n° 90-16.081, Bull. 1992, III, n° 21), dont il ne peut s'exonérer, totalement ou partiellement, qu'en démontrant l'existence d'une cause étrangère (3e Civ., 17 décembre 1997, pourvoi n° 95-19.504, Bull. 1997, III, n° 227).
14. Pour rejeter la demande reconventionnelle de la société Castel et Fromaget en réparation de ses préjudices, l'arrêt retient que les griefs formés par elle à l'encontre de la société Coner tendant à lui imputer les préjudices résultant de la résiliation du contrat conclu avec l'entrepreneur principal ne sont pas démontrés.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'entrepreneur principal avait reproché à la société Castel et Fromaget des manquements commis dans la réalisation des soudures, réalisation qui relevait des prestations de la société Coner, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts présentée par la société Castel et Fromaget, l'arrêt rendu le 5 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société Coner Costruzioni aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
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