Note Pastor, AJDA 2019, p. 1374

Note Hasquenoph, RDI 2019, p. 583.

Conseil d'État

N° 416735   
ECLI:FR:CECHR:2019:416735.20190628
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP BOULLOCHE ; SCP GADIOU, CHEVALLIER ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


lecture du vendredi 28 juin 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 


 

Texte intégral



6. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, dans sa version applicable au litige : " I. - Le maître de l'ouvrage peut recourir à l'intervention d'un conducteur d'opération pour une assistance générale à caractère administratif, financier et technique. / II. - La mission de conduite d'opération exercée par une personne publique ou privée est incompatible avec toute mission de maîtrise d'oeuvre, de réalisation de travaux ou de contrôle technique portant sur le ou les mêmes ouvrages, exercée par cette personne directement ou par une entreprise liée au sens de l'article 4 de la présente loi (...) ". Il résulte de ces dispositions que le maître de l'ouvrage peut confier au conducteur d'opération, dans le cadre de sa mission d'assistance générale, une mission d'assistance lors des opérations de réception de l'ouvrage. Lorsque le contrat de conduite d'opération prévoit une telle mission d'assistance et en cas de méconnaissance, par le conducteur d'opération, des obligations contractuelles qui s'y rattachent, sa responsabilité contractuelle peut être engagée sans que puisse y faire obstacle la circonstance que le maître d'oeuvre soit également tenu, à l'égard du maître de l'ouvrage, d'un devoir de conseil lors des opérations de réception ou que le contrat de conduite d'opération stipule que la responsabilité du conducteur d'opération ne se substitue pas à celle de la maîtrise d'oeuvre.

7. La cour a estimé, au terme d'une appréciation souveraine des stipulations contractuelles qui n'est pas entachée de dénaturation, que l'article 4 du cahier des clauses administratives particulières du marché de conduite d'opération et l'article 4.3.1. du cahier des clauses techniques particulières de ce marché confiaient à la société Icade Promotion une mission d'assistance au maître de l'ouvrage qui s'étendait notamment aux opérations préalables aux levées de réserves. En estimant que la société Icade Promotion avait, en s'abstenant d'appeler l'attention du GIP Vitalys sur les désordres affectant l'ouvrage, nonobstant leur caractère grave et persistant, lors de sa réception définitive, manqué à ses obligations contractuelles, la cour n'a pas procédé à une qualification juridique inexacte des faits qui lui étaient soumis.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la cour n'a pas, dans ces conditions, commis d'erreur de droit en condamnant solidairement la société Icade Promotion et le groupement de maîtrise d'oeuvre au titre d'un manquement à leur devoir de conseil. C'est par une appréciation souveraine des faits, exempte de dénaturation, que la cour a estimé que l'imprudence commise par le GIP Vitalys en procédant à la levée des réserves n'était pas la cause exclusive de son préjudice mais était seulement de nature à entraîner un partage de responsabilité et à n'exonérer le groupement de maîtrise d'oeuvre et la société Icade Promotion qu'à hauteur d'un tiers de leur responsabilité solidaire.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Icade Promotion n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

En ce qui concerne le pourvoi incident et le pourvoi provoqué du GIP Vitalys :

10. Ainsi qu'il a été dit au point 3, les désordres affectant le revêtement des sols étaient apparents lors de la réception définitive de l'ouvrage. Par suite, la cour administrative d'appel de Nantes n'a ni dénaturé les pièces du dossier ni procédé à une inexacte qualification juridique des faits en jugeant que le GIP avait commis une faute d'imprudence en levant les réserves le 5 mars 2004, alors que les désordres étaient toujours apparents à cette date et que l'état du revêtement des sols souples ne présentait pas la moindre perspective d'amélioration. En laissant à la charge du groupement un tiers de la responsabilité encourue et du préjudice correspondant, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation.

11. Dès lors que les conclusions du pourvoi principal de la société Icade Promotion ne sont pas accueillies, le GIP Vitalys n'est pas recevable à demander, par la voie d'un pourvoi provoqué, l'annulation de l'arrêt attaqué.

En ce qui concerne le pourvoi provoqué des sociétés AIA Atelier de la Rize et AIA Ingénierie :

12. Pour le même motif que celui énoncé au point 11, les sociétés AIA Atelier de la Rize et AIA Ingénierie ne sont pas recevables à demander, par la voie du pourvoi provoqué, l'annulation de l'arrêt attaqué.

Sur le n° 416742 :

En ce qui concerne le pourvoi de la société Icade Promotion :

13. En premier lieu, il ressort des pièces de la procédure qu'en réponse à l'appel principal formé par le groupement de maîtrise d'oeuvre, la société Icade Promotion a présenté à la fois des conclusions d'appel provoqué, dirigées contre la société Lucas Gueguen, qu'elle considérait comme l'auteur exclusif des dommages subis par le GIP maître d'ouvrage, et, à titre subsidiaire, des conclusions d'appel incident dirigées contre les sociétés maîtres d'oeuvre appelantes, tendant à ce que la part de responsabilité mise à leur charge soit augmentée. Contrairement à ce qui est soutenu, la cour administrative d'appel de Nantes, qui a relevé, au point 4 de son arrêt, que la société Icade Promotion avait commis une faute en s'abstenant de conseiller le maître d'ouvrage et que, du fait de ce manquement, sa responsabilité pouvait être recherchée par le maître de l'ouvrage en même temps que celle des autres intervenants à l'opération litigieuse, et qui a ensuite estimé que le tribunal avait procédé à une juste appréciation des circonstances de l'espèce en condamnant les sociétés AIA et Cera Ingénierie à garantir la société Icade Promotion à hauteur de 50 % du montant des condamnations solidaires prononcées, ne s'est pas abstenue de statuer sur les conclusions d'appel incident de la société Icade Promotion tendant à ce que la part de responsabilité mise à sa charge soit réduite. La circonstance qu'elle ait rejeté ces conclusions d'appel incident dans la partie de l'arrêt portant le sous-titre " sur l'appel principal " et non dans la partie intitulée " sur l'appel incident " est à cet égard sans incidence.

14. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 de la présente décision que la société Icade Promotion n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel de Nantes aurait entaché son arrêt d'erreur de droit, d'erreur de qualification juridique ou de dénaturation des pièces du dossier en la condamnant solidairement avec le groupement de maîtrise d'oeuvre au titre d'un manquement à son devoir de conseil.

15. En dernier lieu, le rejet du pourvoi de la société Icade Promotion dirigé contre l'arrêt n° 16NT02708 du 20 octobre 2017 de la cour administrative d'appel de Nantes fait en tout état de cause obstacle à l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêt attaqué par le présent pourvoi.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Icade Promotion n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

En ce qui concerne le pourvoi incident du GIP Vitalys :

17. Les conclusions du pourvoi incident du GIP Vitalys doivent être rejetées pour les motifs exposés au point 10.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Icade Promotion la somme de 3 000 euros à verser, respectivement, aux sociétés AIA Atelier de la Rize et AIA Ingénierie, à la société Lucas Gueguen et au GIP Vitalys au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce que les conclusions présentées au même titre par la société Icade Promotion soient accueillies.




D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de la société Icade Promotion sont rejetés.
Article 2 : Les pourvois incident et provoqué dans l'affaire n° 416735 et le pourvoi incident dans l'affaire n° 416742 du GIP Vitalys sont rejetés.
Article 3 : Le pourvoi provoqué des sociétés AIA Atelier de la Rize et AIA Ingénierie dans l'affaire n° 416735 est rejeté.
Article 4 : La société Icade Promotion versera une somme de 3 000 euros aux sociétés AIA Atelier de la Rize et AIA Ingénierie, une somme de 3 000 euros à la société Lucas Gueguen et une somme de 3 000 euros au GIP Vitalys au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Icade Promotion, au groupement d'intérêt public Vitalys, aux sociétés AIA Atelier de la Rize et AIA Ingénierie et à la société Lucas Gueguen.
Copie en sera adressée à la société Novorest Ingénierie.




 


 

Analyse





[RJ1] Cf. CE, Section, 24 mai 1974, Société Paul Millet et Cie, n°s 85939 86007, p. 310 ; CE, 26 novembre 2007, Société Les Travaux du Midi, n° 266423, p. 450.