Pour en savoir plus : voir « Traité de la responsabilité des constructeurs », par A. CASTON, F.-X. AJACCIO, R. PORTE et M. TENDEIRO, 7ème édition (960 pages), sept. 2013, éd. « Le Moniteur », page 826.

Cour Administrative d'Appel de Nantes

N° 11NT03154

Inédit au recueil Lebon

4ème chambre

lecture du vendredi 15 mars 2013

Vu la requête, enregistrée le 15 décembre 2011, présentée pour la commune de Lorris, représentée par son maire, par Me Landot, avocat au barreau de Paris ; la commune de Lorris demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 11-763 du 20 octobre 2011 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la société Forclum et du cabinet d'architecte SCP Sabin à lui verser la somme de 150 820,82 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice né des manquements commis dans l'exécution des marchés de travaux et de maîtrise d'oeuvre relatifs à l'installation du chauffage dans le groupe scolaire de la ZAC de La Noue ;

2°) de condamner solidairement la société Forclum et le cabinet d'architecte SCP Sabin à lui verser la somme de 163 170,68 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la société Forclum et du cabinet d'architecte SCP Sabin la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code des assurances ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 février 2013 :

- le rapport de Mme Tiger, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Martin, rapporteur public ;

- les observations de Me C..., substituant Me Landot, avocat de la commune de Lorris ;

- et les observations de Me A..., substituant Me Meunier, avocat du cabinet d'architecture SCP Sabin ;

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la commune de Lorris a réalisé, en 1993 et 1994, la construction d'un groupe scolaire sous la maitrise d'oeuvre de la SCP d'architecture Sabin ; qu'elle a conclu un marché public de travaux comportant plusieurs lots, dont le lot n° 15, chauffage, attribué à la société Forclum, dont l'acte d'engagement a été signé le 20 septembre 1993 ; que dans le cadre de ce chantier, la commune de Lorris a souscrit une assurance dommages ouvrage auprès de la société Groupama ; que les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 1er septembre 1994 ; que, toutefois, des insuffisances des installations de chauffage, ne permettant pas d'atteindre dans tous les bâtiments la température minimale de 19° C prévue au cahier des clauses techniques particulières, ont été constatées dès l'hiver 1995-1996 ; qu'après plusieurs expertises réalisées à la demande de l'assureur dans le cadre de la garantie dommages ouvrage, qui ont révélé des pincements des tubes de polyéthylène réticulés encastrés (PRE), empêchant la circulation de l'eau, et constaté l'embouage de l'installation du fait des conditions de maintenance, la commune de Lorris a fait procéder à un audit de l'installation de chauffage par le cabinet BED en juillet 2005 ; que le rapport d'audit a relevé que la chaudière installée était sous-dimensionnée ; que la collectivité a alors saisi le tribunal administratif d'Orléans aux fins de désignation d'un expert, qui a remis son rapport le 31 août 2010 ; que la commune de Lorris relève appel du jugement du 20 octobre 2011 par lequel le tribunal a rejeté ses conclusions tendant à titre principal à la condamnation solidaire de la société Forclum et du cabinet d'architecture SCP Sabin à lui verser la somme de 150 820,82 euros en réparation du préjudice né des manquements commis dans l'exécution des marchés de travaux et de maîtrise d'oeuvre relatifs à l'installation du chauffage dans le groupe scolaire de la ZAC de La Noue, et à titre subsidiaire, à la condamnation de la société Groupama à lui verser la somme de 150 820,82 euros en réparation du préjudice causé par les défaillances de la société d'assurance qui l'a privée d'agir à l'encontre des constructeurs ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que lorsque, postérieurement à la séance publique mais avant la lecture de la décision, le juge est saisi d'une note en délibéré, il lui incombe d'en prendre connaissance avant de rendre sa décision ; que s'il estime que la note en délibéré ne comporte l'exposé d'aucune circonstance de fait ou de droit rendant nécessaire la réouverture de l'instruction, le juge doit cependant, sous peine d'irrégularité, mentionner cette note dans la décision qu'il rend ;

3. Considérant que la note en délibéré que la commune de Lorris a produite le 7 octobre 2011, après la séance publique, a été enregistrée au greffe du tribunal administratif d'Orléans mais n'a pas été visée dans le jugement lu le 20 octobre 2011 ; qu'en omettant de mentionner cette note dans le jugement attaqué, le tribunal a entaché celui-ci d'irrégularité ; que dans ces conditions, le jugement doit être annulé ; que, dès lors, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par la commune de Lorris devant le tribunal administratif d'Orléans ;

Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative :

4. Considérant que les services d'assurances ont été soumis aux dispositions du code des marchés publics par l'article 1er du décret du 27 février 1998 modifiant le code des marchés publics, dont les dispositions figurent désormais sur ce point à l'article 29 de ce code ; que l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes à caractère économique et financier prévoit dans son alinéa premier que " les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs. Toutefois, le juge judiciaire demeure compétent pour connaître des litiges qui relevaient de sa compétence et qui ont été portés devant lui avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi " ; qu'il résulte de l'instruction que le contrat d'assurance dommages ouvrage souscrit par la commune de Lorris auprès de la société Groupama ayant été conclu en 1993, il n'était pas soumis au code des marchés publics et présente, par suite, le caractère d'un contrat de droit privé ; qu'il n'appartient qu'aux juridictions de l'ordre judiciaire de connaître de l'exécution dudit contrat ; que, dès lors, les conclusions de la commune de Lorris tendant à la condamnation de la société Groupama à lui verser la somme de 150 820,82 euros en réparation du préjudice causé par les défaillances de la société d'assurance qui l'auraient privée de la possibilité d'agir à l'encontre des constructeurs dans le cadre de la garantie décennale, doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ; qu'il en est de même des conclusions d'appel en garantie présentées par la société Forclum Val de Loire et la SCP d'architecture et d'urbanisme Thierry Sabin à l'encontre de la société Groupama ;

Sur la responsabilité de la société Forclum et de la société d'architecture SCP Sabin :

5. Considérant que l'expiration du délai de l'action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir, en cas de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat ; que, même sans intention de nuire, la responsabilité trentenaire des constructeurs peut également être engagée en cas de faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commise volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment de l'article 15.03 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché en cause, que le système de chauffage devait assurer une température à l'intérieur du bâtiment d'au moins 19° C par une température extérieure de - 7° C ; que l'article 15.04 du même cahier prévoyait la fourniture d'une chaudière de type Chapée XGA-213 ou équivalent, d'une puissance à calculer par le thermicien ; que la société Forclum a formulé une offre, acceptée par le maître d'ouvrage, proposant l'installation d'une chaudière d'une puissance de 85 Kw ; que la chaudière installée a, en définitive, une puissance de 94 Kw, qui, selon l'expert, est insuffisante pour atteindre la température à l'intérieur des locaux prévue par l'article 15.03 du CCTP, la puissance minimale de la chaudière pour assurer correctement le chauffage devant atteindre au moins 135,5 Kw ; qu'ainsi, la société Forclum a commis une erreur dans le calcul de la puissance de la chaudière à installer ; que, toutefois, aucune mention du cahier des clauses techniques particulières, auquel n'était annexé aucune notice technique, ne prescrit la puissance minimale que doit développer la chaudière installée ; que dans ces conditions, il n'est pas établi que la société Forclum aurait volontairement et sans qu'elle pût en ignorer les conséquences, commis une erreur de conception en violation délibérée de ses obligations contractuelles ; qu'en outre, le sous-dimensionnement de la chaudière, s'il a perturbé le bon fonctionnement du complexe scolaire en période hivernale, n'a pas eu de conséquences d'une gravité telle que la faute commise pas la société Forclum soit assimilable à une fraude ou à un dol ;

7. Considérant qu'il appartenait à la société d'architecture SCP Sabin d'assurer la surveillance des travaux, ce qui, en dépit de la circonstance qu'elle n'était chargée d'aucune mission d'exécution, aurait dû la conduire à s'informer, avant sa mise en oeuvre, sur la validité de la solution technique proposée par l'entreprise ; que, toutefois, un tel manquement, pour les motifs qui viennent d'être exposés, ne peut s'apparenter à une faute volontairement commise ou d'une gravité telle qu'elle s'apparenterait à une fraude ou un dol ; qu'en outre, lors de la réception des travaux, la puissance de la chaudière installée par la société Forclum était conforme à l'offre qu'elle avait formulée, sur la base des calculs qu'il lui appartenait d'effectuer en application des stipulations du cahier des clauses techniques particulières ; qu'ainsi, la société d'architecture SCP Sabin ne peut être regardée comme ayant failli à son devoir d'assistance et de conseil au moment de la réception des travaux ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de Lorris n'est pas fondée à rechercher la responsabilité solidaire de la société Forclum et de la société d'architecture SCP Sabin pour faute assimilable à une fraude ou à un dol ;

Sur les frais d'expertise :

9. Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. B..., liquidés et taxés à la somme de 21 697,59 euros TTC par ordonnance du président du tribunal administratif d'Orléans du 9 septembre 2010, à la charge définitive de la commune de Lorris ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Forclum et de la SCP d'architecture Sabin qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes à l'égard de la commune de Lorris, les sommes demandées par ladite commune au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Lorris le versement respectivement à la société Forclum, à la SCP d'architecture Sabin et à la société Groupama Paris-Val de Loire d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 11-763 du 20 octobre 2011 du tribunal administratif d'Orléans est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la commune de Lorris devant le tribunal administratif d'Orléans à l'encontre de la société Forclum et de la SCP d'architecture Sabin est rejetée.

Article 3 : La demande présentée par la commune de Lorris devant le tribunal administratif d'Orléans contre la société Groupama Paris Val de Loire ainsi que les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Forclum Val de Loire et la SCP d'architecture Sabin à l'encontre de cette même société sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 4 : Les frais et honoraires de l'expertise confiée à M.B..., liquidés et taxés à la somme de 21 697,59 euros TTC (vingt et un mille six cent quatre-vingt-dix-sept euros et cinquante-neuf centimes d'euro) par ordonnance du 9 septembre 2010 du président du tribunal administratif d'Orléans, sont mis à la charge définitive de la commune de Lorris.

Article 5 : La commune de Lorris versera respectivement à la société Forclum Val de Loire, à la SCP d'architecture et d'urbanisme Thierry Sabin et à la société Groupama une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Lorris, à la société Forclum Val de Loire, à la SCP d'architecture et d'urbanisme Thierry Sabin et à la société Groupama Paris-Val de Loire.