Pour en savoir plus : voir « Traité de la responsabilité des constructeurs », par A. CASTON, F.-X. AJACCIO, R. PORTE et M. TENDEIRO, 7ème édition (960 pages), sept. 2013, éd. « Le Moniteur », page 741.
Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mardi 29 octobre 2013
N° de pourvoi: 12-20.347
Non publié au bulletin Cassation
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les consorts X...-Z...sont propriétaires d'un fonds au profit duquel a été stipulée une servitude leur donnant droit de capter la moitié de l'eau procurée par une source située sur le fonds contigü appartenant à Mme Y... ; qu'à la suite de la rupture d'alimentation en eau de sa propre maison en raison de travaux réalisés sur le dispositif de captage par les consorts X...-Z..., Mme Y... les a assignés en remise en état du dispositif à leur frais et dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article 686 du code civil ;
Attendu que pour ordonner la réalisation à frais partagés d'un nouveau dispositif de décantation-répartition en amont des maisons et la pose de canalisations entre cet ouvrage et les deux maisons, l'arrêt, qui relève que les actuels ouvrages de captage à la source, de décantation, de répartition et les canalisations sont vétustes, retient qu'il convient de remplacer ces ouvrages par ceux préconisés par l'expert judiciaire lesquels ne sont pas de nature à aggraver la servitude ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'installation objet du litige ne pouvait pas être remplacée par une autre strictement conforme aux prévisions du titre constitutif, notamment en ce qui concerne l'emplacement du dispositif de captage et celui des canalisations, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par Mme Y... contre les consorts X...-Z..., l'arrêt retient, par motifs adoptés, que l'expert judiciaire a constaté que les solutions proposées initialement par les consorts X...-Z...étaient pertinentes, que la vétusté de tout le système d'adduction était en cause et qu'il ne saurait donc être fait grief à ces derniers d'avoir tenté de remédier aux insuffisances de l'installation existante ;
Qu'en statuant ainsi, tout en relevant, par motifs adoptés, que courant 2000, les consorts X...-Z..., entreprenant sur leur terrain des travaux destinés à améliorer le système défaillant, avaient déconnecté l'arrivée d'eau des décanteurs de l'ouvrage de réception pour détourner les eaux vers deux réservoirs mis en place sur leur terrain et que si ces travaux leur avaient donné satisfaction, la maison de Mme Y... s'était trouvée privée d'alimentation en eau jusqu'à la mise en place d'un tuyau en Y sur préconisation de l'huissier de justice qu'elle avait requis, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble, autrement composée ;
Condamne les consorts X...-Z...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les consorts X...-Z...à payer à Mme Y... la somme de 3 000 euros ; rejette la demande des consorts X...-Z...;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf octobre deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Blanc et Rousseau, avocat aux Conseils, pour Mme Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que Mme Y... et les consorts X...-Z...devront réaliser à frais partagés par moitié la construction d'un nouvel ouvrage de décantation-répartition en amont de leurs maisons, soit à proximité immédiate de l'ouvrage de captage, soit dans le talus à l'Ouest de la voie communale, qu'ils devraient procéder à la reprise des canalisations d'eau depuis le nouvel ouvrage de décantation-répartition jusqu'à leurs maisons d'habitation, et d'avoir jugé que Mme Y... pouvait s'opposer à l'emploi des deux réservoirs implantés par M. X...sur son terrain en assumant le coût supplémentaire éventuel résultant de son refus ;
Aux motifs que « l'expert B...indique que " manifestement les ouvrages de captage (à la source), de décantation (intermédiaire), de répartition (en aval) et les canalisations sont vétustes " ; que ces constatations qui justifient les solutions qu'il propose sont totalement ignorées par l'appelante ; que l'expert préconise en conséquence une reprise de l'ensemble du schéma d'adduction d'eau potable, c'est à dire une reprise de l'ouvrage de captage aux frais de l'appelante, ce qu'elle a réalisé, la construction d'un nouvel ouvrage de décantation/ répartition ¿ la charge de ces travaux étant à répartir par moitié entre les parties ; que l'expert précise que les deux implantations qu'il propose n'engendrent pas de création de nouvelles servitudes et conservent les rapports juridiques enregistrés à ce jour ; qu'elles permettraient d'alimenter les deux habitations par gravitation, de conserver les deux réservoirs construits par les défendeurs, de donner une pression substantielle à l'eau qui arrive aux deux habitations et enfin de réduire la taille de l'ouvrage de décantation/ répartition ; que l'expert précise que les travaux de reprise des canalisations d'adduction d'eau depuis l'ouvrage de décantation/ répartition jusqu'aux deux maisons d'habitation seront à la change des deux parties ; que l'expert a précisé à la fin de son rapport que l'emploi ou non des deux réservoirs implantés par M. X...reste à la diligence des deux parties, c'est-à-dire que Mme Y... peut s'y opposer en assumant le coût supplémentaire éventuel résultant de son refus ; que les travaux préconisés par l'expert sont rendus nécessaires par l'état de vétusté de l'installation et non par l'intervention de M. X...et l'appelante ne démontre pas qu'ils entraînent une aggravation de la servitude » ;
Alors que 1°) l'usage et l'étendue des servitudes établies par le fait de l'homme se règlent par le titre qui les constitue ; que le juge ne peut autoriser des modifications à la servitude conventionnelle auxquelles le propriétaire du fonds servant n'a pas consenti ; que l'acte du 4 juillet 1986 instituant la servitude de source et d'aqueduc avait prévu que le répartiteur d'eau devait être implanté « sur le repos existant » et qu'une canalisation devait être implantée entre les parcelles n° 157 et n° 158 « le long du tracé figurant en pointillé sur le plan » annexé à l'acte, à une profondeur de 0, 80 mètres ; qu'en modifiant les emplacements du répartiteur et de la canalisation tels que définis par ce titre sans l'accord de Mme Y..., propriétaire du fonds servant, la cour d'appel a violé l'article 686 du code civil ;
Alors que 2°) celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier ; qu'en n'ayant pas recherché, comme elle y était invitée, si le coût de construction d'un nouvel ouvrage faisant à la fois fonction de décanteur et de répartiteur à un emplacement distinct de celui prévu par le titre constitutif de la servitude, qui nécessitait en outre la réalisation de nouvelles canalisations pour l'acheminement de l'eau jusqu'à l'habitation de Mme Y..., n'aggravait pas la condition du fonds servant, dès lors qu'il était plus onéreux pour Mme Y... que le coût des travaux de réfection du seul ouvrage répartiteur existant, la réfection du décanteur étant à la charge des consorts X...-Z...qui l'avaient détruit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 702 du code civil ;
Alors que 3°) en ordonnant le déplacement de l'ouvrage de répartition de l'eau et la modification de l'assiette de la servitude afin de permettre l'utilisation des deux réservoirs implantés par M. X...sur son terrain au cours de l'année 2000 et en mettant à la charge de Mme Y... le coût qui résulterait du refus de cette modification, la cour d'appel a aggravé la servitude grevant le fonds de Mme Y..., qui ne devait supporter que les frais de pose initiale de l'ouvrage et d'entretien de ce dernier, et a ainsi violé l'article 702 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme Y... de sa demande tendant à voir condamner les consorts X...-Z...à lui verser une somme de 5. 000 euros de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices ;
Aux motifs adoptés que « courant 2000, M. X...et Mme Z...ont entrepris sur leur terrain des travaux destinés à améliorer le système défaillant ; qu'ils ont ainsi déconnecté l'arrivée d'eau des décanteurs de l'ouvrage de réception pour détourner les eaux vers deux réservoirs mis en place sur leur terrain ; que si ces travaux ont été satisfaisants pour M. X...et Mme Z..., il n'en est pas allé de même pour Mme Y... dont la maison s'est trouvée coupée d'alimentation en eau jusqu'à la mise en place d'un tuyau en Y sur préconisation de l'huissier de justice requis par Mme Y... pour le constat le 16 mai 2000 (¿) ; que Mme Y... invoque les agissements fautifs de M. X...et Mme Z...qui ont unilatéralement entrepris des travaux courant 2000 sur le système d'adduction en eau potable à leur seul profit ; que l'expert judiciaire a retenu aux termes de son rapport que les solutions initialement proposées par M. X...et Mme Z...étaient pertinentes ; que la vétusté de tout le système d'adduction était en cause ; qu'il ne saurait donc être fait grief à M. X...et Mme Z...d'avoir tenté de remédier aux insuffisances de l'installation existante » ;
Alors que l'atteinte à la propriété d'autrui constitue une voie de fait et ouvre droit à réparation ; qu'après avoir constaté que les consorts X...-Z...avaient déconnecté sans autorisation de Mme Y... l'arrivée d'eau du décanteur situé sur son terrain et avaient détourné l'eau provenant de la source de Mme Y... à leur seul profit, privant ainsi la maison de Mme Y... de toute alimentation en eau, la cour d'appel, qui a jugé que les consorts X...-Z...n'avaient pas commis de faute susceptible d'engager leur responsabilité, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait qu'ils s'étaient rendus coupables d'une voie de fait au préjudice de Mme Y..., et a ainsi violé l'article 544 du code civil.
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