Cour de cassation

chambre commerciale

Audience publique du mardi 9 juillet 2013

N° de pourvoi: 12-19.962

Non publié au bulletin Cassation

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Sunday morning productions (la société) a confié en 2000 à la société d'expertise comptable MBV et associés (l'expert-comptable), une mission de révision et de présentation de ses comptes annuels, d'assistance et de conseil ; qu'ayant découvert en 2006 que sa dette sociale s'élevait à trois années de cotisations impayées, que plusieurs contraintes et mises en demeure émanant de divers organismes sociaux n'avaient pas été traitées par sa comptable salariée, la société a fait assigner l'expert-comptable et son assureur, la société Covea risks, en paiement de dommages-intérêts ; qu'à la suite de la mise en liquidation judiciaire de la société, la société MJA, désignée en qualité de liquidateur judiciaire, est intervenue à l'instance ;

Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :

Attendu que l'expert-comptable et son assureur font grief à l'arrêt de les avoir condamnés à payer à la société MJA une certaine somme, alors, selon le moyen :

1°/ que la cour d'appel a relevé qu'aux termes de la lettre du 29 septembre 2000, la société MBV s'était vu confier une mission de présentation des comptes et s'était engagée, dans un point 3. intitulé « conditions d'intervention » « à réviser la comptabilité de la société en vue d'en assurer la présentation, à établir les diverses déclarations sociales et fiscales de fin d'année et les états financiers annuels (bilan, compte de résultat, annexe) et à ¿ fournir les conseils d'assistance que les activités professionnelles de la société Sunday morning productions requièrent de manière permanente et régulière » ; qu'en estimant que la société MBV avait pour mission de procéder à une vérification de la cohérence et de la vraisemblance des comptes annuels et, par sondages, à leur sincérité, et qu'elle avait commis une faute en ne décelant pas « certaines » omissions de déclarations que d'élémentaires rapprochements auraient permis d'identifier, la cour d'appel a ajouté à la mission de la société MBV des obligations qu'elle ne comportait pas, en méconnaissance de ses propres constatations et, partant, en violation de l'article 1134 du code civil ;

2°/ que la cour d'appel a estimé que la société MBV avait pour mission de procéder à une vérification de la cohérence et de la vraisemblance des comptes annuels et, par sondages, à leur sincérité, et qu'elle avait commis une faute en ne décelant pas « certaines » omissions de déclarations que d'élémentaires rapprochements auraient permis d'identifier ; qu'en ne précisant pas d'où il serait résulté que les comptes annuels n'étaient pas cohérents, vraisemblables et sincères, cependant que la société MBV faisait valoir que lesdits comptes n'étaient pas produits aux débats et que la société MJA ne démontrait pas en quoi ces comptes n'étaient pas cohérents, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

3°/ qu'en se contentant de relever que la circonstance que la comptable ait détourné les courriers de relance, les mises en demeure ou les contraintes délivrées par les créanciers sociaux, n'exonérait en rien la société chargée de l' expertise-comptable de la faute personnelle résultant de son défaut de diligence dans l'accomplissement de sa mission, compte tenu à la fois du caractère grossier, incohérent et durable de « certaines » omissions de déclarations, que d'élémentaires rapprochements auraient dû permettre d'identifier, au moins pour « certaines » des créances en cause, cependant que la société MBV faisait valoir que la comptable ne s'était pas contentée de détourner les courriers de relance, les mises en demeure ou les contraintes délivrées par les créanciers sociaux, mais avait dissimulé ses omissions dans les comptes dont l'édition n'avait révélé aucune anomalie comptable, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir relevé qu'aux termes de la lettre de mission, l'expert-comptable s'était engagé à réviser la comptabilité de la société en vue d'en assurer la présentation, à établir diverses déclarations sociales et fiscales de fin d'année et les états financiers annuels et à fournir les conseils d'assistance requis de manière permanente et régulière par l'activité de la société, l'arrêt retient que si une telle mission ne demande pas un contrôle systématique de la comptabilité établie par la salariée comptable de la société, elle met cependant à la charge de l'expert-comptable l'obligation de procéder à une vérification de la cohérence et de la vraisemblance des comptes annuels par des rapprochements et, par sondages, de veiller à leur sincérité ; qu'il relève encore que les minorations ou omissions de déclarations sociales imputables à la salariée avaient été faites dans des proportions et sur une durée qui devaient nécessairement alerter un expert-comptable normalement diligent chargé d'une mission de présentation des comptes; qu'il retient enfin que pour la seule URSSAF, les cotisations sociales non déclarées lors des années 2003 à 2005 s'étaient élevées à une somme de près de 150 000 euros, qu'aucun règlement n'était intervenu au titre des cotisations relatives au gérant de la société dont le statut avait pourtant été modifié dans le courant de l'année 2001 pour lui permettre d'exercer ses fonctions en qualité de travailleur non salarié et qu'aucune déclaration n'avait été effectuée sur les trois exercices 2003, 2004 et 2005 à l'Agessa qui gère les cotisations des artistes auteurs et les contributions des diffuseurs des oeuvres, alors pourtant que sur cette période la société avait versé une somme de près de 350 000 euros de droits d'auteur, laquelle constitue l'assiette desdites cotisations ; que de ces constatations et appréciations faisant ressortir le caractère décelable des dissimulations de la comptable salariée, la cour d'appel, qui a pu en déduire que l'expert-comptable avait commis une faute, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche :

Attendu que l'expert-comptable et l'assureur font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que seul le préjudice certain, né et actuel est réparable ; que s'agissant de l'URSSAF, la cour d'appel a relevé que la société Sunday morning productions ne justifiait pas des « frais d'acte » allégués ; que la société MBV faisait par ailleurs valoir que ladite société ne justifiait pas avoir acquitté une quelconque somme à l'URSSAF ; qu'en condamnant la société MBV à ce titre, à hauteur de 98 087,61 euros , sans rechercher si la société Sunday morning productions qui ne justifiait pas avoir fait l'objet de poursuites, justifiait avoir acquitté une quelconque somme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1149 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que des contraintes avaient été signifiées à la société, l'arrêt retient que les pénalités et majorations de retard à prendre en compte apparaissent sur des relevés définitifs de dettes émis par l'URSSAF les 31 janvier, 22 mai et 9 septembre 2007 et que la somme de 96 322,11 euros encore à régler, correspond à un préjudice certain, né et actuel, le défaut de règlement des sommes encore dues ne résultant que de l'ouverture, le 18 octobre 2007, d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique, pris en sa sixième branche :

Attendu que l'expert-comptable et l'assureur font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu''en condamnant la société MBV à indemniser la société à raison de frais prétendument exposés par les créanciers sociaux pour recouvrer leurs créances, soit 594,62 euros HT s'agissant de la Caisse de « congés spectacles », cependant que les frais de recouvrement d'une créance sont la conséquence du refus par le débiteur de payer spontanément sa dette, la cour d'appel a violé l'article 1149 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que l'expert-comptable aurait dû identifier lors de l'exercice de sa mission la sous-déclaration de cotisations, la cour d'appel a pu retenir que le préjudice né des frais d'actes supportés à raison de ce manquement devait être réparé ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique, pris en sa huitième branche :

Attendu que l'expert-comptable et l'assureur font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'en condamnant la société MBV à indemniser la société à raison de frais de reconstitution de « sa comptabilité sociale », à hauteur de 17 321,36 euros, sans préciser d'où il serait résulté que les comptes annuels n'étaient pas cohérents, et auraient donc dû être « reconstitués », cependant que la société MBV faisait valoir que lesdits comptes n'étaient pas produits aux débats et que le liquidateur ne démontrait pas en quoi ces comptes n'étaient pas cohérents, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la sous-estimation systématique ou l'omission de déclarer certaines charges sociales de la part de la comptable salariée, avaient porté sur des sommes importantes et sur plusieurs exercices, ce dont il résultait que les comptes sociaux étaient devenus incohérents à la suite de la révélation des manipulations comptables, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique, pris en sa neuvième branche :

Attendu que l'expert-comptable et son assureur font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que la cour d'appel n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si la société Sunday morning productions justifiait avoir acquitté la somme alléguée de 25 982,04 euros au titre de la « reconstitution » des comptes, si bien que l'arrêt ne caractérise pas un préjudice certain, né et actuel et est derechef entaché d'un défaut de base légale au regard de l'article 1149 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté l'intervention d'un cabinet d'expertise comptable et l'embauche d'une salariée sous un contrat à durée déterminée pour reconstituer la comptabilité sociale et que ces prestations avaient représenté un coût de 25 982,04 euros, la cour d'appel, qui a caractérisé l'existence d'un préjudice certain, né et actuel, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique, pris en sa douzième branche :

Attendu que l'expert-comptable et son assureur font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que la société MBV se prévalait du rôle causal de la faute de la victime qui n'avait pas contrôlé l'activité de sa comptable et avait ainsi contribué à la production de son propre dommage ; qu'en s'abstenant de donner la moindre réponse à ce moyen opérant, cependant qu'elle relevait par ailleurs que la victime était informée de certaines anomalies de déclarations aux caisses de retraite dès le 1er avril 2004, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la circonstance que la comptable salariée ait détourné les courriers de relance, les mises en demeure ou les contraintes délivrées par les créanciers sociaux, n'exonère en rien l'expert-comptable de sa propre faute résultant de son défaut de diligence dans l'accomplissement de sa mission, compte tenu du caractère grossier, incohérent et durables de certaines omissions de déclarations, que d'élémentaires rapprochements auraient dû permettre d'identifier, au moins pour certaines des créances en cause, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :

Vu l'article 1147 du code civil, ensemble l'article R. 243-18, alinéa 2, du code de la sécurité sociale ;

Attendu que pour accueillir la demande, l'arrêt retient que la société MJA sollicite au titre des cotisations dues à l'association Congés spectacles les sommes de 38 153,60 euros et de 17 531 euros représentant les intérêts et majorations de retard réglés ou encore dus, qu'elle justifie d'intérêts de retard, majorés de 12 %, sur la période ayant couru du 1er octobre 2004 au 14 novembre 2005 pour un montant total de 22 407,60 euros auquel il sera ajouté les sommes encore réclamées à ce titre pour un montant de 17 531 euros et que ce préjudice est en lien direct avec une sous-déclaration que l'expert-comptable aurait dû identifier ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société, en conservant dans son patrimoine le montant des cotisations dues à compter de leur exigibilité, n'en avait pas retiré un avantage financier de nature à venir en compensation, fût-ce partiellement, avec le préjudice résultant des majorations de retard réclamées sur le fondement de l'article R. 243-18, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et sur le moyen unique, pris en sa dixième branche :

Vu l'article 1149 du code civil ;

Attendu que pour accueillir la demande, l'arrêt retient qu'à la suite de l'adoption, en 2001, du statut de travailleur non salarié pour le gérant, la comptable de la société n'a jamais procédé à son immatriculation de sorte qu'aucune cotisation n'a été versée à ce titre et que l'omission de toute déclaration aurait dû nécessairement alerter un expert-comptable diligent ; qu'il en déduit que la responsabilité de l'expert-comptable doit être retenue pour le total de la somme qui reste à devoir au titre de la régularisation des cotisations d'assurance retraite, invalidité et décès émises entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2007 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le paiement des cotisations d'une assurance retraite, invalidité et décès au profit du gérant ne constitue pas un préjudice réparable, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux dernières branches :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la SELAFA Mandataires judiciaires associés en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Sunday morning productions aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;