COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE NANCY.

3ème Chambre

PLEIN CONTENTIEUX

N° 12NC00590

14 mars 2013.

Inédite au recueil Lebon.

Vu la requête, enregistrée le 2 avril 2012, présentée pour la société Les Travaux Publics de l'Est, ayant son siège social 16, Corvée du Moulin à Verny (57420) et pour la Compagnie Generali France Assurances ayant son siège social 7, boulevard Hausmann à Paris (75546) par Me Moussafir, avocat ;

La société Les Travaux Publics de l'Est et la Compagnie Generali France Assurances demandent à la Cour :

1º) d'annuler le jugement nº 0904000 du 2 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a condamné la société Les Travaux Publics de l'Est, solidairement avec la commune de Yutz, d'une part, à verser à la société Comiage une indemnité de

42 931, 79 euros en réparation des préjudices liés à des surconsommations d'eau et aux travaux de recherche et de réparation des fuites affectant ses canalisations, la somme de

3 498, 86 euros au titre des frais d'expertise exposés, ainsi qu'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, d'autre part, à garantir la commune de Yutz de l'intégralité des sommes mises à sa charge ;

2º) de rejeter la demande présentée par la société Comiage devant le tribunal administratif de Strasbourg ainsi que les conclusions d'appel en garantie formé à son encontre par la commune de Yutz ;

3º) de mettre à la charge de la commune de Yutz une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elles soutiennent que :

- la société Comiage n'établit pas que les désordres affectant ses canalisations de chauffage urbain étaient imputables à la société Les Travaux Publics de l'Est ;

- l'expert judiciaire s'est borné à reprendre les deux constats non contradictoires dressés par un huissier de justice mandaté sur place par la société Comiage, le 16 mai et le

1er juin 2006 ;

- les canalisations litigieuses ont déjà été remplacées sans que les parties dégradées n'aient été conservées ;

- le caractère extrêmement grossier et très apparent des réparations tel que relaté par l'huissier de justice ne pouvait échapper à la commune de Yutz ;

- de nombreux autres intervenants sans lien avec la société Les Travaux Publics de l'Est sont également intervenus sur le chantier ;

- la commune de Yutz ne pouvait demander à la société Les Travaux Publics de l'Est de la garantir des condamnations prononcées à son encontre sur le fondement d'une action en garantie décennale, dès lors que le marché qui lui avait été confié portait seulement sur la rénovation des ouvrages de voiries et réseaux divers et non sur les canalisations de chauffage urbain affectées par les désordres ;

- la commune de Yutz ne pouvait davantage demander à la société de la garantir des condamnations prononcées à son encontre sur le fondement d'une action en responsabilité contractuelle, dès lors que la réception sans réserve de l'ouvrage, intervenue le 26 janvier 2002, a mis fin aux rapports contractuels et que les manoeuvres dolosives retenues par les premiers juges ne sont nullement établies ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2012, présenté pour la commune de Yutz, représentée par son maire en exercice, par Me Adam, avocat ; la commune de Yutz conclut au rejet de la requête et à ce que la société Les Travaux Publics de l'Est et la Compagnie Generali lui versent une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la Compagnie Generali ne dispose d'aucun intérêt à agir et n'est pas recevable à faire appel ;

- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Strasbourg a condamné la société Les Travaux Publics de l'Est à la garantir de l'intégralité des sommes mises à sa charge compte tenu de l'intervention fautive de la société, à qui les désordres apparus postérieurement à la réception sont intégralement imputables ;

- la responsabilité contractuelle demeure invocable, dès lors que la réception définitive des travaux est intervenue grâce aux manoeuvres dolosives de la société Les Travaux Publics de l'Est ;

- la responsabilité de la société Les Travaux Publics de l'Est pouvait également être recherchée sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle ;

- les opérations d'expertise ont été diligentées de manière contradictoire ;

- l'expert judiciaire a conclu que les deux perforations affectant les canalisations ne pouvaient dater que du chantier réalisé par la société Les Travaux Publics de l'Est, les désordres étant nés lors de l'excavation des deux tranchées d'assainissement posées par cette entreprise ;

- la société Les Travaux Publics de l'Est est de mauvaise foi, dès lors que les dégradations lui sont exclusivement imputables et qu'elle n'a eu de cesse d'en masquer l'existence en comblant précipitamment les fouilles après s'être livrée à des réparations de fortune, dont elle ne pouvait ignorer l'absence de caractère pérenne ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2012, présenté pour la société Comiage par Me Colbus, avocat ; la société Comiage conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de la société Les Travaux Publics de l'Est et de la Compagnie Generali en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la Compagnie Generali, qui n'a fait l'objet d'aucune condamnation en première instance, n'est pas recevable à faire appel ;

- en sa qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public, elle est fondée à demander réparation des désordres dont elle est victime sur le fondement de la responsabilité sans faute ;

- les désordres affectant les canalisations sont uniquement imputables à la société Les Travaux Publics de l'Est qui, après avoir perforé les canalisations, n'a pas signalé l'incident et s'est bornée à opérer des " réparations de fortune " en rebouchant sommairement et grossièrement la conduite d'eau sans informer le maître de l'ouvrage ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 février 2013 :

- le rapport de Mme Fischer-Hirtz, président,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- les observations de Me Litran substituant Me Moussafir, avocat de la société Les Travaux Publics de l'Est et de la Compagnie Generali France Assurances,

- les observations de Me Roguet de la SCP Colbus et Fittante, avocat la société Comiage,

- et les observations de Me Adam, avocat de la commune de Yutz ;

Sur la fin de non recevoir opposée par la commune de Yutz et par la société Comiage aux conclusions de la requête présentées par la Compagnie Generali :

1. Considérant que l'intérêt à faire appel d'un jugement s'apprécie par rapport à son dispositif et non à ses motifs ; que la Compagnie Generali, qui n'a fait l'objet d'aucune condamnation par le tribunal administratif de Strasbourg, n'a pas intérêt à faire appel du jugement contesté ; que, par suite, ses conclusions qui sont, en réalité, dirigées non contre le dispositif du jugement, mais seulement contre ses motifs, ne sont pas recevables ;

Sur la régularité des opérations d'expertise :

2. Considérant que les premiers juges ont relevé que l'expertise judiciaire, ordonnée le 10 février 2009 par le président du tribunal administratif de Strasbourg, avait été diligentée de manière contradictoire, alors même que l'expert avait rédigé les conclusions de son rapport postérieurement à la réfection des travaux litigieux ; que si la société Les Travaux Publics de l'Est fait valoir que l'expert n'a pu procéder à aucune constatation sur place et s'est borné à reprendre celles établies antérieurement par un huissier de justice mandaté par la société Comiage lors d'opérations auxquelles elle n'avait pas été convoquée, ces circonstances ne sont pas de nature à retirer aux constatations de l'officier ministériel leur caractère probant ni à en affecter le contenu, dès lors qu'il n'est ni soutenu ni même allégué que ce dernier aurait lui-même manqué d'impartialité ; que la société requérante, qui a pu participer à l'ensemble des opérations d'expertise judiciaire auxquelles elle a été régulièrement convoquée, n'établit pas qu'elle n'a pas été en mesure de prendre connaissance de l'ensemble des pièces ou témoignages utilisés par l'expert pour rédiger son rapport ou que des éléments du dossier aient été soustraits à sa connaissance ; qu'ainsi, la société n'est pas fondée à soutenir que le tribunal a méconnu le principe du contradictoire en retenant les conclusions de l'expert, dès lors que les éléments sur lesquels il s'est fondé ont, ainsi qu'il vient d'être rappelé, régulièrement été soumis au débat contradictoire devant lui ;

Sur la responsabilité de la société Les Travaux Publics de l'Est :

3. Considérant que, même en l'absence de faute, la collectivité maître de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, l'entrepreneur chargé des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la commune de Yutz a entrepris, au cours de l'année 2001, des travaux de voirie dans la rue de Bretagne qui longe un ensemble immobilier de 248 logements dont la société Comiage était propriétaire jusqu'au 31 décembre 2006 ; que la société Les Travaux Publics de l'Est, attributaire du lot nº1 " Travaux de voirie-assainissement-adduction d'eau potable et divers " a été chargée de procéder à la rénovation de la voirie et des réseaux divers, à l'exclusion du chauffage urbain, des rues de Bretagne, du Dauphiné et de Provence, la maîtrise d'oeuvre et la maîtrise de chantier étant assurées par les services techniques de la commune ; qu'en mai 2006, la société Comiage a constaté une importante chute de la pression du réseau de chauffage urbain alimentant l'ensemble immobilier dont elle assurait la gestion et l'entretien, ainsi qu'une surconsommation d'eau chaude ; que les recherches entreprises pour déterminer la cause de ces désordres ont révélé l'existence de deux perforations ponctuelles à l'origine de fuites d'eau affectant la canalisation de chauffage enterrée, la première située au droit du 15 rue de Bretagne et la seconde localisée à dix mètres de la précédente ; que le dégagement de la canalisation défectueuse a mis en évidence la présence d'un accroc ainsi que d'une importante coupure sommairement rebouchés, l'un par une bande de plastique, l'autre par un bloc de béton d'où l'eau chaude s'écoulait de façon continue ; que le rapport d'expertise, qui s'appuie sur les constatations dressées par un huissier de justice dans les conditions rappelées ci-dessus, confirme que les deux perforations accidentelles affectant la conduite de chauffage urbain ont chacune été provoquées par un " malencontreux " coup de pelle imputable à l'intervention de la société Les Travaux Publics de l'Est lors des opérations d'excavation préalable à la mise en place du réseau d'assainissement ; que la société requérante a ainsi directement contribué aux désordres supportés par la société Comiage ; que, dans ces conditions, et même si la société Les Travaux Publics de l'Est allègue que d'autres causes seraient à l'origine de ces désordres en se prévalant notamment de la présence sur le chantier d'autres intervenants, elle n'est pas fondée à demander sa mise hors de cause dès lors qu'il n'est pas établi que les dommages seraient imputables à une faute de la victime ou à un cas de force majeure ; qu'il suit de là que c'est à bon droit que les premiers juges l'ont condamnée solidairement avec la commune de Yutz à indemniser la société Comiage ;

Sur le bien-fondé de l'appel en garantie de la commune de Yutz :

5. Considérant, d'une part, que, dès lors que les travaux à l'origine des dommages causés aux biens de la société Comiage ont été exécutés dans le cadre du marché de travaux publics passé par la commune de Yutz avec la société Les Travaux Publics de l'Est, l'action de la commune tendant à ce que la société Les Travaux Publics de l'Est la garantisse des condamnations prononcées à son encontre au profit de la société Comiage ne peut avoir un fondement étranger aux rapports contractuels nés de ce marché ; qu'il en va ainsi alors même que la société Comiage est un tiers par rapport à ce contrat ;

6. Considérant, d'autre part que la fin des rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur, consécutive à la réception sans réserve d'un marché de travaux publics, fait obstacle à ce que, sauf clause contractuelle contraire, l'entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d'ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation à ce dernier, alors même que ces dommages n'étaient ni apparents ni connus à la date de la réception ; qu'il n'en irait autrement - réserve étant faite par ailleurs de l'hypothèse où le dommage subi par le tiers trouverait directement son origine dans des désordres affectant l'ouvrage objet du marché et qui seraient de nature à entraîner la mise en jeu de la responsabilité des constructeurs envers le maître d'ouvrage sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil - que dans le cas où la réception n'aurait été acquise à l'entrepreneur qu'à la suite de manoeuvres frauduleuses ou dolosives de sa part ;

7. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les travaux à l'origine des dommages affectant le système d'alimentation d'eau chaude des immeubles de la société Comiage ont été réalisés par la société Les Travaux Publics de l'Est en application d'un marché passé entre cette société et la commune de Yutz, maître d'ouvrage ; qu'il est constant que la réception sans réserve des travaux est intervenue le 26 juin 2002 ; que cette réception est opposable à la commune de Yutz en sa qualité de maître d'ouvrage et a eu pour effet de mettre fin à l'ensemble des rapports contractuels nés du marché conclu avec la société Les Travaux Publics de l'Est, alors même que les désordres en cause n'étaient ni apparents, ni connus de la commune ; que ces désordres, dont il n'est pas contesté qu'ils n'affectent pas l'ouvrage objet du marché, ne sont pas, par ailleurs, de ceux qui sont susceptibles d'engager la responsabilité décennale des constructeurs ; qu'en l'espèce, la commune de Yutz, qui se borne à reprendre les conclusions du rapport d'expertise, ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce que la société Les Travaux Publics de l'Est aurait eu recours à des moyens frauduleux pour empêcher l'apparition de ces désordres ; que, dès lors, le recours de la commune de Yutz tendant à être garantie par la société Les Travaux Publics de l'Est des condamnations prononcées à son encontre ne pouvait être accueilli ; qu'il résulte de ce qui précède que la société Les Travaux Publics de l'Est est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour faire droit aux conclusions d'appel en garantie formées à son encontre par la commune de Yutz, les premiers juges ont estimé qu'elle avait eu un comportement dolosif qui n'est nullement établi ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Les Travaux Publics de l'Est est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg l'a condamnée à garantir la commune de Yutz des sommes mises à la charge de cette dernière au titre des conséquences dommageables résultant des désordres affectant ses canalisation d'alimentation en eau chaude ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Yutz une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Les Travaux Publics de l'Est et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de

l'article L. 761-1 du code de justice administrativeau bénéfice de la commune de Yutz et de la société Comiage au titre des frais exposés par chacune d'elles et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : L'article 5 du jugement du 2 février 2012 du tribunal administratif de Strasbourgest annulé.

Article 2 : L'appel en garantie formé par la commune de Yutz à l'encontre de la société Les Travaux Publics de l'Est est rejeté.

Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La commune de Yutz versera à la société Les Travaux Publics de l'Est une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La requête de la Compagnie Generali France Assurances et le surplus des conclusions de la requête de la société Les Travaux Publics de l'Est sont rejetés.

Article 6 : Les conclusions de la commune de Yutz et de la société Comiage présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrativedont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Les Travaux Publics de l'Est, à la Compagnie Generali France Assurances, à la commune de Yutz et à la société Comiage.