Cité et commenté au rapport 2022 de la Cour de cassation :Recours d’un constructeur contre un autre constructeur – Prescription

(https://www.courdecassation.fr/publications/rapport-annuel/rapport-annuel-2022)

 Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage – Préjudice – Réparation – Action en garantie – Recours d’un constructeur contre un autre constructeur – Prescription – Point de départ – Détermination 

3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi no 21-21.305, publié au Bulletin, rapport de M. Zedda et avis de M. Brun 

Le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d’être lui-même assigné aux fins de paiement ou d’exécution de l’obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l’application de la prescription extinctive, avant l’introduction des demandes principales. 

Dès lors, l’assignation, si elle n’est pas accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l’action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures. 

(118. Cf. Tribunal des conflits, 14 février 2000, no 02929, publié au Recueil Lebon.)

Mettant fin à une incertitude liée à l’apparente généralité de l’article 1792-4-3 du code civil, issu de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, la Cour de cassation a jugé, le 16 janvier 2020119, que les dispositions de ce texte ne concernaient que l’action du maître ou de l’acquéreur de l’ouvrage et que les recours des constructeurs entre eux étaient régis par le droit commun de la prescription (120). 

L’action récursoire du constructeur assigné par le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage ne se prescrit donc pas par dix ans à compter de la réception de l’ouvrage mais, lorsqu’elle se fonde sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle, par cinq ans à compter du jour où ce constructeur connaît ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir. 

L’autre apport essentiel de l’arrêt du 16 janvier 2020 était de fixer le point de départ de la prescription quinquennale du recours au jour de l’assignation en référé délivrée par le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage aux fins d’expertise et non au jour de l’assignation en paiement. Pour parvenir à cette solution, la Cour de cassation retenait que l’assignation aux fins d’expertise mettait en cause la responsabilité du constructeur, qui pouvait, dès lors, agir en retour contre les autres intervenants qu’il jugeait responsables des dommages. Comme l’expliquait le commentaire de l’arrêt au Rapport annuel, la règle, outre qu’elle se conformait à ce qui était déjà jugé dans les rapports entre assuré et assureur sur le fondement de l’article L. 114-1 du code des assurances, tendait « à resserrer le temps du procès et à favoriser au maximum le caractère contradictoire des opérations d’expertise » (121). 

Une autre préoccupation de la Cour de cassation était de préserver les recours des constructeurs. La prescription de l’article 2224 du code civil avait, de ce point de vue, l’avantage d’un point de départ glissant, distinct de celui de la forclusion décennale applicable au maître de l’ouvrage. Ainsi, lorsque l’action principale était exercée en fin de délai décennal, le constructeur disposait d’un temps suffisant pour exercer ses propres recours. 

La fixation du point de départ de la prescription au jour de l’assignation en référé-expertise a été contestée par plusieurs auteurs, qui considéraient, comme le Conseil d’État, qu’une demande en référé-expertise ne pouvait « être regardée comme constituant, à elle seule, une recherche de responsabilité [du] constructeur » (122). 

La solution retenue par la Cour de cassation et maintenue par la suite (123), si elle incitait les constructeurs à agir précocement en évitant de retarder le déroulement des opérations d’expertise, avait l’inconvénient d’obliger les constructeurs à agir en garantie avant même l’introduction des demandes principales, dans le seul but d’interrompre la prescription quinquennale. En effet, même lorsque le constructeur assigné en référé-expertise prenait la précaution de demander l’extension des opérations d’expertise aux autres intervenants et d’interrompre, ainsi, la prescription de ses recours, celle-ci... 

(119. 3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-25.915, publié au Bulletin et au Rapport annuel.)

(120. Articles 2224 du code civil ou L. 110-4, I, du code de commerce. )

(121. Rapport annuel de la Cour de cassation, 2020, p. 157.) 

(122. CE, 10 février 2017, no 391722, mentionné aux tables du Recueil Lebon.)

(123. 3e Civ., 1er octobre 2020, pourvoi no 19-13.131)

... recommençait à courir à l’issue des opérations d’expertise124 et pouvait arriver à expiration avant le délai de dix ans offert au maître de l’ouvrage pour agir, courant à compter de la désignation de l’expert.

 Or, par plusieurs décisions récentes, la Cour de cassation a jugé qu’il n’était pas possible d’agir en garantie avant d’avoir été soi-même assigné, qu’il s’agisse du recours contre les fournisseurs fondé sur la garantie des vices cachés125 ou des recours de l’assureur dommages-ouvrage contre les constructeurs126. La solution retenue le 16 janvier 2020, en ce qu’elle obligeait indirectement les constructeurs, pour préserver leurs recours, à agir en garantie avant l’assignation principale, était difficilement conciliable avec ce principe. 

Par ailleurs, au contraire de la prescription biennale du droit des assurances, qui peut être interrompue par l’envoi d’une lettre recommandée ou d’un envoi recommandé électronique, avec accusé de réception127, la prescription quinquennale de droit commun ne peut être interrompue que par une demande en justice. Il en résultait une charge de travail accrue pour les juridictions, saisies de demandes qui n’avaient pas encore d’objet et qui n’en auraient peut-être jamais. Certains juges regrettaient ainsi d’être accaparés par la « gestion des risques de prescription » des constructeurs et de leurs assureurs. Les juges de la mise en état, chargés de statuer sur les fins de non-recevoir depuis l’entrée en vigueur du décret no 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, ont vu se multiplier les incidents relatifs à l’intérêt à agir des demandeurs en garantie. Le défaut d’intérêt était, du reste, retenu par certaines juridictions, tandis que d’autres refusaient tout sursis à statuer, plaçant dans les deux cas le demandeur dans une situation peu compatible avec le droit d’accès à un tribunal. 

Ces considérations, tant juridiques que pratiques, ont amené la Cour de cassation à réexaminer sa position. Par l’arrêt du 14 décembre 2022 commenté, elle décide désormais que l’assignation en référé aux fins d’expertise, si elle n’est accompagnée d’aucune demande de paiement ou d’exécution en nature, ne fait pas courir la prescription des recours en garantie des constructeurs. La décision s’appuie, notamment, sur l’article 2219 du code civil : « la prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps », de sorte qu’elle ne court que lorsque le créancier est en capacité d’agir. Or, le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d’être lui-même assigné aux fins de paiement ou d’exécution de l’obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l’application de la prescription extinctive, avant l’introduction des demandes principales. C’est l’application du principe actioni non natae non praescribitur : l’action qui n’est pas née ne se prescrit pas. 

En l’espèce, l’architecte s’était vu opposer la prescription de son recours contre l’assureur de son sous-traitant, au motif qu’il avait été exercé plus de cinq années après l’assignation délivrée par le maître de l’ouvrage devant le juge des référés aux fins d’expertise. La décision est cassée dès lors que la prescription du recours en garantie n’a pu courir avant la délivrance d’une assignation en paiement, fût-ce par provision. 

(124. Article 2239 du code civil.)

(125. 3e Civ., 16 février 2022, pourvoi no 20-19.047, publié au Bulletin ; 3e Civ., 25 mai 2022, pourvoi no 21-18.218, publié au Bulletin.)

(126. 3e Civ., 25 mai 2022, pourvoi no 21-18.518, publié au Bulletin.)

(127. Article L. 114-2 du code des assurances.)

Par ce revirement de jurisprudence, la Cour de cassation tire les conséquences des inconvénients de la solution précédente, pour parvenir à un meilleur équilibre entre la sécurité juridique et le droit d’accès au juge des différents intervenants à l’opération de construction. La solution nouvelle, qui préserve les recours des constructeurs dont la responsabilité est recherchée en évitant qu’ils se prescrivent avant que leur auteur soit en mesure d’agir, n’a pas pour effet d’étendre outre mesure le temps pendant lequel les intervenants à l’opération de construction pourront voir leur responsabilité engagée. En effet, l’action principale est enfermée dans le délai de forclusion décennale courant à compter de la réception et, pour les opérations de construction postérieures à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 précitée, le délai butoir de vingt ans édicté par l’article 2232 du code civil vient, en tout état de cause, borner le délai des recours. 

On observera, également, que par un arrêt du 13 juillet 2022 (128), la Cour de cassation, censurant une cour d’appel qui avait retenu que le dommage n’était que « latent » jusqu’à la condamnation, a jugé que « le délai de prescription de l’action récursoire du maître de l’ouvrage, condamné à indemniser son voisin pour des troubles anormaux du voisinage, commen[çait] à courir au plus tard lorsque ce maître de l’ouvrage [était] assigné aux fins de paiement ». On voit, dès lors, que si la date de l’assignation en référé-expertise est aujourd’hui écartée, l’objectif de célérité n’est pas perdu de vue. 

La règle nouvelle devrait alléger la charge des juridictions en prévenant des actions inutiles, puisqu’il n’est pas nécessaire d’agir en garantie avant l’introduction de l’action principale dans le seul but d’interrompre la prescription. 

Comme pour tout revirement de jurisprudence, la Cour de cassation s’est interrogée sur son application à l’instance en cours. Si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action (129). En l’espèce, la Cour de cassation juge que la jurisprudence nouvelle s’applique à l’instance en cours, dès lors que cette application ne porte pas une atteinte disproportionnée à la sécurité juridique de la partie qui opposait la prescription tout en préservant le droit d’accès au juge de son adversaire. 

(128. 3e Civ., 13 juillet 2022, pourvoi no 21-14.426.)

(129. 1re Civ., 19 mai 2021, pourvoi no 20-12.520, publié au Bulletin.)

Publié par ALBERT CASTON à 18:14  

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