Prescription : expertise, computation, suspension et interruption des délais
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 23-18.495
- ECLI:FR:CCASS:2024:C300414
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du jeudi 11 juillet 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier, du 18 avril 2023
Président
Mme Teiller (président)
Avocat(s)
SCP Boucard-Maman, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 juillet 2024
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 414 F-D
Pourvoi n° D 23-18.495
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024
Mme [U] [Y], domiciliée [Adresse 1] agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Isla Nour, a formé le pourvoi n° D 23-18.495 contre l'arrêt rendu le 18 avril 2023 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers (CA-TH-AR), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société Veolia eau - compagnie générale des eaux, société en commandite par actions, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de Mme [Y], ès qualités, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat des sociétés Canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers et Generali IARD, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 18 avril 2023), à la suite d'une consommation anormale d'eau, la société Isla Nour a détecté une fuite dans le local qu'elle exploitait.
2. La canalisation alimentant ce local a été endommagée puis réparée par la société CA-TH-AR canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers (la société CA-TH-AR), assurée par la société Generali IARD (la société Generali).
3. Le 6 mai 2013, la société Isla Nour a sollicité devant la juridiction administrative une mesure d'expertise qui a été ordonnée le 25 juin 2013. Le rapport d'expertise a été déposé le 24 avril 2015.
4. Les 10 et 12 août 2020, Mme [Y], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Isla Nour, a assigné en indemnisation les sociétés CA-TH-AR, Generali et Veolia eau - compagnie générale des eaux.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [Y], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Isla Nour fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 4 mai 2021 ayant déclaré irrecevables ses demandes en raison de la prescription, alors « que les juges du fond ont considéré d'une part qu'entre la saisine du juge administratif des référés, le 6 mai 2013, et le prononcé de son ordonnance prescrivant une expertise, le 25 juin 2013, le délai de prescription quinquennale avait de nouveau couru, pour 50 jours, puis ont retenu qu'à la fin de la suspension du délai quinquennal lors de l'établissement du rapport d'expertise, le 24 juin 2015, le délai de prescription avait recommencé à courir pour une durée de cinq ans moins les 50 jours déjà écoulés, de sorte qu'il expirait le 5 mars 2020, et d'autre part que Mme [Y] ne pouvait bénéficier des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020 pour en déduire que son action engagée par assignation des 10 et 12 août 2020 était prescrite ; qu'en statuant ainsi, quand le délai de prescription de cinq ans avait été interrompu, suite à la saisine du juge administratif des référés, jusqu'à ce que celui-ci rende son ordonnance prescrivant une expertise, le 25 juin 2013, puis avait été aussitôt suspendu jusqu'à ce que l'expert établisse son rapport, le 24 juin 2015, donc avait expiré le 24 juin 2020, si bien qu'en vertu des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020 Mme [Y] ès qualités pouvait agir jusqu'au 24 août 2020 et que son action n'était pas prescrite lorsqu'elle a été engagée par acte des 10 et 12 août 2020, la cour d'appel a violé les articles 2224, 2239, 2241 et 2242 du code civil et 1er et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224, 2239, 2241 et 2242 du code civil :
6. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
7. Selon le deuxième, lorsque la prescription a été suspendue par une décision ayant fait droit à une mesure d'instruction présentée avant tout procès, le délai de prescription recommence à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée.
8. Selon les troisième et quatrième, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription et l'interruption de la prescription résultant de cette demande produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.
9. La Cour de cassation a jugé que, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction avant tout procès, la suspension de la prescription, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de celle-ci au profit de la partie ayant sollicité la mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de la mesure et ne joue qu'à son profit (2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011, publié).
10. Pour déclarer irrecevable l'action en indemnisation initiée par le liquidateur judiciaire de la société Isla Nour, l'arrêt retient que la saisine du juge des référés a eu pour effet d'interrompre la prescription et de faire courir un nouveau délai quinquennal, que ce nouveau délai a continué à courir entre le 6 mai 2013, date de l'assignation, et le 25 juin 2013, date de la décision ordonnant la mesure d'expertise, avant d'être suspendu à compter de cette date jusqu'au 24 avril 2015, date du dépôt du rapport d'expertise.
11. Il en déduit que cette période de cinquante jours devant être soustraite du délai quinquennal qui a recommencé à courir à compter du 24 avril 2015, celui-ci a expiré le 5 mars 2020, de sorte que le liquidateur judiciaire ne pouvant pas bénéficier des deux mois supplémentaires accordés par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance du 3 juin 2020 aux délais et mesures ayant expiré entre le 12 mars et 23 juin 2020, son action en indemnisation était prescrite.
12. En statuant ainsi, alors que l'effet interruptif de prescription s'est prolongé jusqu'à la décision ordonnant la mesure d'expertise et que le nouveau délai quinquennal de prescription, qui a été suspendu à partir de cette décision, a recommencé à courir à la date de l'exécution de cette mesure, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne les sociétés CA-TH-AR canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers, Generali IARD et Veolia eau - compagnie générale des eaux aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300414
Publié par ALBERT CASTON à 17:46
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Libellés : acte interruptif , computation , Expertise , Prescription , suspension
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