Handicap et accessibilité : la nécessité de reconstruire l'immeuble résultait uniquement de l'absence d'ascenseur

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 21-21.970
  • ECLI:FR:CCASS:2024:C300450
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Rejet

Audience publique du jeudi 05 septembre 2024

Décision attaquée : Cour d'appel de Reims, du 01 juin 2021

Président

Mme Teiller (président)

Avocat(s)

Me Descorps-Declère, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Claire Leduc et Solange Vigand

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 septembre 2024




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 450 F-D

Pourvoi n° Q 21-21.970




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 SEPTEMBRE 2024


La Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 21-21.970 contre l'arrêt rendu le 1er juin 2021 par la cour d'appel de Reims (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société SD Gambetta, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société [O] [B], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 6], anciennement dénommée société Tirmant [B], en la personne de M. [O] [B], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Sacoreno Sapone construction rénovation,

3°/ à la société Sacorano Sapone construction rénovation, dont le siège est [Adresse 7], prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la société [O] [B],

4°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],

5°/ à la société Les Artisans de la toiture, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

6°/ à la société MMA IARD, société anonyme,

7°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société anonyme,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],

8°/ à M. [D] [A],

9°/ à Mme [S] [I], épouse [A],

tous deux domiciliés [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la Mutuelle des architectes français, de Me Descorps-Declère, avocat de la société civile immobilière SD Gambetta et de M. et Mme [A], après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la Mutuelle des architectes français (la MAF) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société civile professionnelle [O] [B], prise en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Sacorano Sapone construction rénovation, et les sociétés Sacorano Sapone construction rénovation, Axa France IARD, Les Artisans de la toiture, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles.



Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 1er juin 2021), par contrat du 18 septembre 2006, la société civile immobilière SD Gambetta (la SCI), gérée par M. et Mme [A], a confié à la société d'architecture [C] [X] (l'architecte), assurée par la MAF, la maîtrise d'oeuvre complète des travaux de construction d'un immeuble, composé d'un local professionnel au rez-de-chaussée et de deux logements d'habitation à l'étage.

3. Au cours de la réalisation des travaux débutés en 2008, M. et Mme [A] ont sollicité l'intervention d'un bureau de contrôle, dont les rapports ont mis en évidence diverses malfaçons affectant l'immeuble en lien avec une erreur d'implantation et une absence de conformité avec certaines normes de sécurité incendie et d'accessibilité.

4. La SCI a refusé de recevoir l'ouvrage et, après expertise, a assigné la MAF devant un tribunal de grande instance en réparation de son préjudice, laquelle a appelé en garantie certains constructeurs et leurs assureurs.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La MAF fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la SCI une certaine somme au titre du coût de démolition et de reconstruction de l'immeuble, alors :

« 1°/ qu'un bâtiment d'habitation collectif est celui dans lequel sont superposés plus de deux logements distincts desservis par des parties communes bâties ; que dans ses conclusions d'appel, la MAF a invoqué l'applicabilité de l'article R. 111-5 du code de la construction et de l'habitation, prévoyant que « l'installation d'un ascenseur est obligatoire dans les parties des bâtiments d'habitation collectifs comportant plus de deux étages accueillant des logements au-dessus ou au-dessous du rez-de-chaussée », et a fait valoir que le bâtiment litigieux ne comportant pas plus de deux étages, l'installation d'un ascenseur n'était pas obligatoire ; que pour écarter cette argumentation, la cour a jugé applicables les dispositions des articles R. 111-18-4 et suivants du code relatives aux maisons individuelles ; qu'en statuant ainsi, sans justifier que les différents logements du bâtiment litigieux n'étaient pas desservis par des parties communes bâties, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles R. 111-5 et R. 111-18 du code de la construction et de l'habitation dans leur rédaction antérieure au décret n° 2021-872 du 30 juin 2021 ;


2°/ que, subsidiairement, à supposer même applicable la législation relative aux maisons individuelles, l'installation d'un ascenseur n'est pas obligatoire, selon l'article R. 111-18-5 du code dans sa rédaction applicable au jour où la cour statuait, quand sont superposés deux logements ou un logement et un local distinct à usage autre que l'habitation ; qu'elle n'est pas davantage obligatoire quand sont superposés deux logements au-dessus d'un logement ou d'un local distinct à usage autre que l'habitation ; qu'en décidant que ces dispositions n'imposaient plus la présence d'un ascenseur uniquement dans l'hypothèse où sont superposés "soit deux logements, soit un logement et un local distinct à usage autre que d'habitation", ce qui n'est pas le cas de l'immeuble litigieux qui dispose de deux logements à usage d'habitation à l'étage et non d'un seul et qui ne dispose pas de logement au rez-de-chaussée, la cour d'appel a violé l'article R. 111-18-5 du code de la construction et de l'habitation dans sa rédaction antérieure au décret n° 2021-872 du 30 juin 2021 ;

3°/ qu'en toute hypothèse, un manquement à l'obligation de conseil relative à l'applicabilité de normes en vigueur se résout en dommages-intérêts évalués par référence au préjudice réellement subi et non en condamnation à une mise en conformité de l'immeuble avec ces normes, notamment par une démolition-reconstruction si cette solution est la seule permettant d'assurer le respect desdites normes ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a reproché à l'architecte d'avoir manqué à son obligation de conseil en ne s'assurant pas des normes en vigueur au moment de la construction de l'immeuble et en ne mettant pas en mesure d'informer la SCI du fait que l'installation d'un ascenseur était obligatoire ; qu'elle a condamné l'assureur de l'architecte à payer à la SCI une certaine somme correspondant au coût de démolition et de reconstruction de l'immeuble, seule solution permettant d'installer un ascenseur ; que pourtant, dans ses conclusions d'appel, la MAF a invoqué l'absence de préjudice en soutenant notamment que les désordres n'empêchaient pas l'exploitation de l'immeuble depuis le 20 septembre 2009 ; qu'en fixant ainsi les dommages-intérêts par référence à l'obligation d'installation d'un ascenseur, la cour n'a pas réparé le préjudice réellement subi par la SCI mais a en réalité ordonné la mise en conformité de l'immeuble avec les normes jugées applicables, violant ainsi les articles 1143, 1147 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ qu'en l'absence de désordre, la méconnaissance d'une norme relative à l'installation d'un ascenseur qui n'était pas contractuellement prévue ne peut caractériser un défaut de conformité au contrat et permettre de condamner le constructeur à mettre l'immeuble en conformité avec ces normes ; qu'en retenant, pour ordonner la démolition et la reconstruction de l'immeuble afin de pouvoir l'équiper d'un ascenseur, non contractuellement prévu, que du fait des manquements de l'architecte, le bâtiment construit n'était pas aux normes, la cour d'appel a violé l'article 1134 dans sa rédaction alors applicable ;

5°/ qu'en tout état de cause, la démolition et la reconstruction d'un ouvrage non conforme à une norme ne peut être ordonnée si elle est disproportionnée à la gravité de la non-conformité ; qu'en l'espèce, il est établi qu'aucun préjudice n'est résulté de l'absence de mise en place d'un ascenseur qui n'avait pas été prévu par les parties ; que dans ses conclusions d'appel, la MAF a fait valoir que la demande de démolition-reconstruction était disproportionnée par rapport aux désordres affectant le bâtiment qui n'empêchaient pas son exploitation depuis le 20 septembre 2009 ; qu'en décidant cependant que la construction d'un ascenseur nécessitait la démolition et la reconstruction de l'immeuble, et que cette sanction n'était pas disproportionnée au désordre affectant le bâtiment, la cour d'appel a violé les articles 1143 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

6°/ qu'enfin, des non-conformités et désordres ne peuvent justifier une mesure de démolition-reconstruction que s'il est établi que cette sanction est la seule qui permette de remédier à ces non-conformités et désordres ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a rappelé qu'en sus des désordres tenant à l'insuffisance de largeur des passages dans le local professionnel et à l'absence d'un ascenseur, l'expert a relevé d'autres non-conformités et malfaçons engageant la responsabilité de l'architecte, en particulier une erreur d'implantation de l'immeuble empêchant la construction d'un parking adapté pour les personnes handicapées ; qu'en évoquant ces non-conformités et désordres, sans justifier que la mesure de démolition reconstruction ordonnée permettait d'y mettre un terme, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. En premier lieu, il résulte de l'article R. 111-18 du code de la construction et de l¿habitation, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-555 du 17 mai 2006, applicable au litige, qu'est considéré comme un bâtiment d'habitation collectif, au sens des dispositions applicables en matière d'accessibilité pour les personnes handicapées, tout bâtiment dans lequel sont superposés, même partiellement, plus de deux logements distincts desservis par des parties communes bâties.

7. Au sens de ces mêmes règles d'accessibilité, tout bâtiment d'habitation qui n'est pas collectif est considéré comme maison individuelle ou ensemble de maisons individuelles.

8. Ayant constaté que l'immeuble était composé d'un local professionnel au rez-de-chaussée, destiné à l'implantation d'un cabinet dentaire, et de deux logements à usage d'habitation à l'étage, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, qu'il ne pouvait s'agir d'un bâtiment d'habitation collectif au sens des règles d'accessibilité.

9. Elle a relevé que l'article R. 111-18-5 du code de la construction et de l'habitation prévoyait que les maisons individuelles devaient être construites et aménagées de façon à être accessibles aux personnes handicapées, ce dont elle a déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, que seule cette disposition, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-555 du 17 mai 2006, en vigueur à la date du dépôt du permis de construire, avait vocation à s'appliquer au litige, de sorte que, dans la configuration de l'immeuble, l'ascenseur était obligatoire.

10. En second lieu, l'architecte étant contractuellement tenu à l'égard du maître de l'ouvrage de concevoir un bâtiment d'habitation satisfaisant aux normes applicables en matière d'accessibilité aux personnes handicapées, la cour d'appel a retenu, à bon droit, par motifs adoptés, que le défaut de conception, résultant du non-respect des prescriptions réglementaires en matière d'accessibilité des bâtiments d'habitation aux personnes handicapées, en vigueur au moment de la construction de l'immeuble, engageait sa responsabilité contractuelle et, par motifs propres, l'obligeait à réparer le préjudice en résultant selon les principes généraux de la responsabilité civile.

11. Ayant retenu que l'immeuble ne répondait pas aux normes d'accessibilité aux personnes handicapées, elle a fait siennes les conclusions de l'expert qui considérait dans son rapport que le bâtiment était « insauvable », que la construction d'un ascenseur n'était pas envisageable à partir des plans tels qu'ils avaient été conçus, que pour inclure un ascenseur dans le volume existant, tout en respectant la réglementation sur les circulations à l'intérieur du bâtiment, il serait nécessaire de pousser les murs vers l'extérieur, ce qui revenait à le démolir en totalité, alors que le bâtiment occupait déjà le maximum de la surface, le PLU interdisant toute extension de l'immeuble.

12. Ayant ainsi caractérisé l'absence de toute autre solution technique susceptible, en rendant l'immeuble conforme à la réglementation, de réparer le dommage subi par la SCI, elle a pu en déduire, peu important les autres désordres ou malfaçons constatés, dès lors que la nécessité de reconstruire l'immeuble résultait uniquement de l'absence d'ascenseur, que le paiement d'une indemnité correspondant au coût de la démolition-reconstruction n'était pas disproportionné au regard de la non-conformité réglementaire constatée.

13. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Mutuelle des architectes français aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300450

Publié par ALBERT CASTON à 10:12  

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