Norme NF P 03-001 et acceptation irréfragable du décompte de l'entreprise
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 23-13.790
- ECLI:FR:CCASS:2024:C300665
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle sans renvoi
Audience publique du jeudi 05 décembre 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Chambéry, du 24 janvier 2023
Président
Mme Teiller (président)
Avocat(s)
SCP Duhamel, SCP Melka-Prigent-Drusch
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 décembre 2024
Cassation partielle
sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 665 F-D
Pourvoi n° Q 23-13.790
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 DÉCEMBRE 2024
La société civile de construction vente Les Jardins secrets, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 23-13.790 contre l'arrêt rendu le 24 janvier 2023 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile - 1re section), dans le litige l'opposant à la société Savoie chauffage sanitaire (SCS), dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société Savoie chauffage sanitaire a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société civile de construction vente Les Jardins secrets, de la SCP Duhamel, avocat de la société Savoie chauffage sanitaire, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 24 janvier 2023), la société civile de construction vente Les Jardins secrets (la SCCV) a confié à la société Savoie chauffage sanitaire (la société SCS) le lot chauffage-VMC-plomberie d'une opération de construction immobilière, réalisée sous la maîtrise d'oeuvre de la société Immobilier Savoie Lémona.
2. La réception est intervenue le 11 octobre 2018 avec réserves.
3. Le 4 décembre 2018, la société SCS a établi son mémoire définitif que le maître d'oeuvre a reçu le 10 décembre suivant.
4. Se prévalant d'un décompte définitif établi par ce dernier le 18 avril 2019 faisant apparaître un solde débiteur à la charge de la société SCS, la SCCV a assigné celle-ci en paiement, laquelle a formé, à titre reconventionnel, une demande en paiement du solde figurant sur son mémoire définitif.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. La SCCV fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société SCS une certaine somme, alors « qu'il résulte des articles 19.5.1, 19.6.1 et 19.6.2 de la norme NF P 03 001, applicables au marché conclu entre les sociétés Les Jardins secrets et SCS, que ce n'est qu'en l'absence de contestation du mémoire définitif établi par l'entrepreneur que le maître de l'ouvrage, lorsqu'il n'a pas notifié à ce dernier le décompte définitif dans les 45 jours suivant la réception de ce document par le maître d'oeuvre, est réputé l'avoir tacitement accepté ; que le maître de l'ouvrage ne peut ainsi être réputé avoir accepté le mémoire définitif de l'entrepreneur s'il a indiqué, à réception de ce mémoire, qu'il refusait de le traiter compte tenu de malfaçons ou d'inexécutions dans la réalisation des travaux ; que la cour d'appel a relevé qu'après l'envoi par la société SCS d'un mémoire définitif au maître d'oeuvre, par courrier du 7 décembre 2018 réceptionné le 10 décembre suivant, la société Les jardins secrets avait, par courrier du 4 janvier 2019, indiqué qu'elle ne pouvait traiter ce mémoire « au regard des malfaçons constatées et avérées, ainsi qu'au fait que [les] travaux [de la société SCS] [n'étaient] pas terminés » ; qu'en jugeant néanmoins que ce refus par la société Les Jardins secrets d'examiner le mémoire de la société SCS ne constituait pas une contestation dudit mémoire, qui ne pourrait consister qu'en la notification d'un décompte définitif établi par le maître d'oeuvre, et que faute d'avoir établi un tel décompte définitif, la société Les jardins secrets était présumée de manière irréfragable avoir accepté le mémoire définitif de la société SCS, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 19.6.2 de la norme NF P 03-001, alors applicable. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel, qui a relevé que les parties avaient choisi de soumettre les modalités d'établissement du décompte général définitif aux dispositions de la norme NF P 03-001 de décembre 2000, a exactement retenu que la contestation, au sens des dispositions de l'article 19.6.2 de cette norme, consistait pour le maître de l'ouvrage à notifier à l'entrepreneur le décompte définitif établi par le maître d'oeuvre dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la réception par celui-ci du mémoire de l'entreprise.
7. Ayant constaté qu'à la suite de la réception par le maître d'oeuvre du mémoire définitif de la société SCS, la SCCV avait fait connaître, par lettre du 4 janvier 2019, qu'elle refusait de l'examiner eu égard aux malfaçons et inachèvements affectant les travaux réalisés, elle en a déduit, à bon droit, qu'en l'absence de notification de son propre décompte conformément à la procédure contractuelle de vérification des comptes et dans le délai imparti, la société Les Jardins secrets était présumée de manière irréfragable avoir accepté ce mémoire définitif.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. La SCCV fait le même grief à l'arrêt, alors « que les surcoûts engendrés par le retard dans l'exécution de travaux ayant fait l'objet d'un marché à forfait ne peuvent donner lieu à indemnisation de l'entrepreneur que s'ils sont imputables au maître de l'ouvrage ; que pour juger que la société Les Jardins secrets devait régler à la société SCS les surcoûts engendrés par le retard du chantier, évalués à 156 885 euros HT, la cour d'appel a retenu que ces frais supplémentaires figuraient dans le mémoire définitif établi par l'entrepreneur, lequel était réputé avoir été accepté par le maître de l'ouvrage en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03-001 applicable au marché ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le retard dans l'exécution du chantier n'était pas imputable à la société SCS, et non à la société Les Jardins secrets, la cour d'appel a violé l'article 1793 du code civil, ensemble l'article 1134 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 19.6.2 de la norme NF P 03-001, alors applicable. »
Réponse de la Cour
10. La cour d'appel a énoncé, à bon droit, que, pour l'application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03-001, les réclamations, autres que celles portant sur des travaux supplémentaires non autorisés, ni régularisés par le maître de l'ouvrage, lorsqu'elles sont mentionnées dans le mémoire définitif de l'entreprise, sont, en l'absence de contestation de celui-ci conformément à la procédure contractuelle de clôture des comptes, réputées acceptées par le maître de l'ouvrage.
11. Ayant constaté que, dans son mémoire définitif, l'entreprise avait intégré des dépenses supplémentaires résultant de la prolongation du chantier de quarante-trois semaines et calculé les surcoûts engendrés par ce retard en les évaluant poste par poste, faisant ainsi ressortir que le maître de l'ouvrage était en mesure d'en contester tant le principe que le montant, et relevé que celui-ci s'était abstenu de notifier le décompte général définitif dans le délai contractuel imparti, elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à d'autres recherches, qu'il devait être condamné au paiement des dépenses supplémentaires ainsi réclamées.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
13. La société SCS fait grief à l'arrêt de ne condamner la SCCV à lui payer des intérêts à compter du 23 avril 2019 qu'au taux légal, alors « que l'article 2.15.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), conclu entre les sociétés SCS et Les Jardins secrets, stipule qu'« après mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception, les retards de paiement ouvrent droit, pour l'entrepreneur, au paiement d'intérêts moratoires à un taux qui sera le taux d'intérêt légal augmenté de 7 points » ; que la société Savoie chauffage sanitaire demandait à la cour d'appel de « condamner la société Les Jardins secrets à payer à la société SCS la somme de 253 170,07 euros, outre intérêts moratoires au taux d'intérêt légal augmenté de 7 points à compter du 23 avril 2019 » ; que la cour d'appel a constaté que l'article 2.15.3 du CCAP prévoyait des intérêts moratoires au taux d'intérêt légal augmenté de sept points ; qu'en condamnant néanmoins la société Les Jardins secrets à payer à la société SCS des intérêts seulement au taux légal à compter du 23 avril 2019 sur la somme de 253 170,07 euros, au lieu du taux d'intérêt légal augmenté de sept points, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
14. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
15. L'arrêt assortit la créance de la société SCS de l'intérêt au taux légal.
16. En statuant ainsi, après avoir constaté que la société SCS avait mis en demeure le maître de l'ouvrage de procéder au règlement des sommes dues par lettre du 3 avril 2019 et que l'article 2.15.3 du CCAP prévoyait des intérêts moratoires au taux d'intérêt légal augmenté de sept points, la cour d'appel violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
17. Tel que suggéré par le mémoire du pourvoi incident, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, l'article 2.15.3 du CCAP énonce qu'après mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, les retards de paiement ouvrent droit, pour l'entrepreneur, au paiement des intérêts moratoires à un taux qui sera le taux d'intérêt légal augmenté de sept points.
20. La société SCS a, par lettre recommandée avec avis de réception du 3 avril 2019, mis la SCCV en demeure de lui payer, dans un délai de quinze jours, la somme de 253 480,07 euros TTC, prévue dans son mémoire définitif.
21. En l'absence de demande, les intérêts moratoires ne peuvent pas produire d'intérêts, de sorte que les intérêts de retard déjà intégrés dans le mémoire définitif d'un montant de 3 168,61 euros TTC doivent être déduits de l'assiette du calcul des intérêts applicables après la mise en demeure demeurée infructueuse.
22. Par conséquent, il convient de condamner la SCCV à payer à la société SCS la somme de 253 170,07 euros TTC, outre les intérêts au taux légal augmenté de sept points sur la somme de 250 001,46 euros, à compter du 23 avril 2019, comme elle en forme la demande.
23. La cassation du chef dispositif condamnant la SCCV au paiement des intérêts au taux légal n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt la condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à son encontre et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société civile de construction vente Les Jardins secrets au paiement des intérêts au taux légal à compter du 23 avril 2019, l'arrêt rendu le 24 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société civile de construction vente Les Jardins secrets à payer à la société Savoie chauffage sanitaire la somme de 253 170,03 euros TTC, outre les intérêts au taux légal augmenté de sept points sur la somme de 250 001,46 euros à compter du 23 avril 2019 ;
Condamne la société civile de construction vente Les Jardins secrets aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300665
Publié par ALBERT CASTON à 18:06
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