L'aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques
Cour de cassation - Chambre commerciale
- N° de pourvoi : 23-21.074
- ECLI:FR:CCASS:2025:CO00356
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du mercredi 25 juin 2025
Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier, du 11 juillet 2023
Président
M. Vigneau (président)
Avocat(s)
SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
JB
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 25 juin 2025
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 356 F-D
Pourvoi n° H 23-21.074
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JUIN 2025
La société N'Cow, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 23-21.074 contre l'arrêt rendu le 11 juillet 2023 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Dulsa France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sabotier, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de la société N'Cow, après débats en l'audience publique du 13 mai 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Sabotier, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 11 juillet 2023) et les productions, par un contrat d'agence commerciale du 8 mars 2018, la société Dulsa France (la société Dulsa), spécialisée dans le commerce de confiseries, a donné mandat exclusif à la société N'Cow de commercialiser ses produits de devant de caisse pour les hypermarchés, pour une durée indéterminée sur le territoire de deux départements.
2. Soutenant que la société Dulsa, qui avait, en 2018, étendu son mandat à certains supermarchés situés sur le même territoire, avait rompu unilatéralement le mandat, la société N'Cow a, par lettre du 19 juin 2020, pris acte de cette rupture puis assigné la société Dulsa en indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
3. La société N'Cow fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir condamner la société Dulsa à lui payer une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de cessation de mandat ainsi que des commissions arriérées, et de la condamner à payer à la société Dulsa une somme à titre de dommages et intérêts pour préjudice commercial d'image et de réputation, alors :
« 1°/ que si l'article 3.2 du contrat d'agence commerciale subordonne la dérogation à la limitation de l'accord aux enseignes de grande distribution, à un accord préalable écrit du mandant, il ne subordonne cet accord écrit à aucune exigence de forme ; qu'en énonçant qu'il n'existerait aucun écrit concernant cet accord, et en excluant par conséquent que les mails de la société Dulsa et notamment celui du 27 septembre 2018 ayant pour objet des interventions nécessaires en région", par lequel elle sollicitait une intervention de la société N'Cow auprès d'enseignes de supermarchés, et celui du 10 décembre 2018 par lequel elle faisait état de recommandations de pratique commerciale, en manifestant ainsi clairement son accord pour le démarchage de supermarchés sur la zone géographique de son mandataire, soient de nature à constituer cet écrit, la cour d'appel a violé les articles 3.2 du contrat et 1103 du code civil ;
3°/ que l'aveu, qu'il soit judiciaire ou extra-judiciaire, exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques ; qu'en énonçant que le document du 8 mai 2020 par lequel la société N'Cow qualifie l'ensemble des supermarchés comme étant des clients non contractuels pour lesquels nous avons été commissionnés et qui ont été enlevés unilatéralement par Dulsa France à partir de décembre 2019" constituerait une reconnaissance non équivoque de la part de cette société qu'elle n'a jamais obtenue autrement qu'à titre non contractuel, la possibilité de démarcher les supermarchés établis dans sa zone géographique telle que définie dans l'acte liant les parties au titre des hypermarchés, quand cette qualification juridique des rapports entre les parties concernant les supermarchés, ne pouvait constituer un aveu, la cour d'appel a violé l'article 1383 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1103 et 1383 du code civil :
4. Aux termes du premier de ces textes, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
5. Selon le second, l'aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques.
6. Pour dire que la rupture du contrat d'agence commerciale n'est pas imputable à la société Dulsa, l'arrêt, après avoir relevé que la société Dulsa ne conteste pas avoir autorisé la société N'Cow à démarcher les supermarchés sur la même zone géographique et aux mêmes fins que pour les hypermarchés, constate que, dans un relevé en date du 8 mai 2020, la société N'Cow qualifie l'ensemble des supermarchés de « clients non contractuels ». Il en déduit que ce document constitue une reconnaissance non équivoque de la part de la société N'Cow qu'elle n'a jamais obtenu, autrement qu'à titre non contractuel, la possibilité de démarcher les supermarchés établis dans sa zone géographique telle que définie dans l'acte liant les parties au titre des hypermarchés.
7. En statuant ainsi, en tenant pour établie par un aveu l'analyse juridique des rapports entre les parties résultant de l'extension du mandat d'agence commerciale au démarchage des supermarchés, et alors qu'est nécessairement contractuelle l'extension d'un tel mandat à de nouveaux clients, convenue entre l'agent commercial et son mandant, fût-elle assortie d'une période d'essai, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur ce moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
8. La société N'Cow fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'il incombe au mandant, qui prétend avoir mis fin à une période d'essai, pour justifier la rupture brutale et unilatérale de l'accord qu'il admet avoir donné à l'agent pour prospecter une clientèle, de démontrer l'accord des parties sur le principe et les modalités de la prétendue période d'essai ; qu'en se fondant, pour justifier la rupture brutale de son accord par la société Dulsa qui avait admis avoir confié la clientèle des supermarchés à la société N'Cow, sur la circonstance que si dans ses mails la société Dulsa ne fait pas mention d'une période de test, rien dans ces écrits ne vient dire qu'il ne s'agit pas d'une période de test, et sur la circonstance que la société N'Cow ne démontrerait pas avoir obtenu la possibilité de démarcher cette clientèle autrement qu'à titre de test et pour une période de dix-huit mois, sans constater la preuve par la société Dulsa d'un accord des parties pour convenir d'une période d'essai de dix-huit mois, la cour d'appel a violé les articles L.134-12, L. 134-13 du code de commerce et 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1353 du code civil :
9. Aux termes de ce texte, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
10. Pour retenir que l'extension au démarchage de certains supermarchés du mandat d'agence commerciale confié par la société Dulsa à la société N'Cow faisait l'objet d'une période d'essai de dix-huit mois, de juin 2018 à décembre 2019, et en déduire que la rupture du contrat d'agence commerciale n'est pas imputable à la société Dulsa, l'arrêt retient que si, dans deux courriels en date des 27 septembre 2018 et 10 décembre 2018, la société Dulsa ne fait pas mention d'une période de test, rien dans ces deux écrits, à part une liste de magasins et une recommandation au titre de la pratique commerciale ne vient dire qu'il ne s'agit pas d'une période de test.
11. En statuant ainsi, en exigeant de la société N'Cow qu'elle rapporte la preuve que la société Dulsa et elle n'étaient pas convenues d'une période d'essai, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.
Et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
12. La société N'Cow fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir condamner la société Dulsa à lui payer une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de cessation de mandat ainsi que des commissions arriérées, et de la condamner à payer à la société Dulsa une somme à titre de dommages et intérêts pour préjudice commercial d'image et de réputation, alors « que l'objet du litige est déterminé par les conclusions des parties et le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé ; qu'en l'espèce, la société Dulsa demandait à la cour d'appel de dire et juger que la société N'Cow a résilié unilatéralement le contrat d'agence commerciale du 8 mars 2018, en s'abstenant de toute prestation à compter de décembre 2019 et de la condamner en conséquence, au paiement de dommages et intérêts pour le préjudice commercial d'image et de réputation qui en serait résulté ; qu'elle ne formait aucune demande en réparation d'un préjudice subi durant l'année 2019 en raison d'une prétendue carence de la société N'Cow dans l'exécution de ses obligations dès le début de l'année 2019 ; qu'en condamnant la société N'Cow à payer des dommages et intérêts pour avoir prétendument, dès le début de l'année 2019, négligé de démarcher un nombre important de magasins, générant de ce fait un déficit de chiffre d'affaires de 25 000 euros au titre de l'année 2019 par rapport à l'année 2018", la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile :
13. Selon le premier de ces textes, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Selon le second, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.
14. Pour condamner la société N'Cow à payer à la société Dulsa une somme en réparation de son préjudice commercial, d'image et de réputation, l'arrêt retient qu'il résulte des pièces produites que la société N'Cow a cessé toute collaboration et toute activité à compter du mois de décembre 2019, et que, dès le début de l'année 2019, cette société a négligé de démarcher un nombre très important de magasins, générant de ce fait un déficit de chiffre d'affaires de 25 000 euros au titre de l'année 2019 par rapport à l'année 2018.
15. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, la société Dulsa ne sollicitait l'indemnisation que du préjudice résultant de l'abstention par la société N'Cow de toute activité à compter du mois de décembre 2019, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier autrement composée ;
Condamne la société Dulsa France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Dulsa France à payer à la société N'Cow la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le vingt-cinq juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:CO00356
Publié par ALBERT CASTON à 15:46
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Libellés : aveu , contrat , équivoque , interprétation
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