Responsabilité décennale : cause et gravité du désordre - condition d'imputabilité

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 24-10.139
  • ECLI:FR:CCASS:2025:C300398
  • Publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du jeudi 11 septembre 2025

Décision attaquée : Cour d'appel de Toulouse, du 07 novembre 2023

Président

Mme Teiller (présidente)

Avocat(s)

SCP Marc Lévis, SARL Cabinet Rousseau et Tapie

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CL



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 11 septembre 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, présidente



Arrêt n° 398 FS-B

Pourvoi n° S 24-10.139




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 SEPTEMBRE 2025

1°/ La société Pacifica, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ M. [P] [O], domicilié [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° S 24-10.139 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2023 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre - section 1), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [E] [O], domicilié [Adresse 5],

2°/ à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles d'Oc - Groupama d'Oc, dont le siège est [Adresse 1], prise en son agence [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Pacifica et de M. [O], de la SCP Marc Lévis, avocat de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles d'Oc - Groupama d'Oc, et l'avis écrit de Mme Delpey-Corbaux, avocate générale, après débats en l'audience publique du 11 juin 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, Mmes Vernimmen, Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Maréville, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, de la présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 7 novembre 2023), M. [P] [O] (le maître de l'ouvrage) a confié à M. [E] [O] (l'entrepreneur), assuré auprès de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles d'Oc (la société Groupama), des travaux d'électricité pour les besoins de la construction d'une maison d'habitation.

2. La réception des travaux est intervenue le 31 juillet 2014.

3. Un contrat d'assurance multirisque-habitation a été souscrit par le maître de l'ouvrage auprès de la société Pacifica.

4. La maison a été détruite par un incendie le 9 décembre 2014.

5. Après expertise judiciaire, le maître de l'ouvrage et son assureur multirisque-habitation ont assigné l'entrepreneur et son assureur en indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité décennale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le maître de l'ouvrage et son assureur font grief à l'arrêt de dire que la responsabilité décennale de l'entrepreneur n'est pas engagée, alors « que l'électricien est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, du sinistre ayant une origine électrique, quand bien même sa cause exacte serait indéterminée, sauf si ce constructeur démontre que les dommages proviennent d'une cause étrangère ; qu'en infirmant le jugement ayant retenu la responsabilité de plein droit de M. [E] [O], électricien, après avoir constaté qu'il était certain que le sinistre avait pris naissance dans le tableau électrique et par des motifs impropres à établir l'existence d'une cause étrangère exonératoire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

7. Aux termes de ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

8. La présomption de responsabilité pesant sur les constructeurs qui résulte de ce texte est déterminée par la gravité des désordres, indépendamment de leur cause (3e Civ., 1er décembre 1999, pourvoi n° 98-13.252, publié).

9. Il est jugé que cette présomption doit être écartée lorsque les désordres ne sont pas imputables aux travaux réalisés par l'entrepreneur (3e Civ., 20 mai 2015, pourvoi n° 14-13.271, publié). En effet, la charge de cette présomption ne peut être étendue à des constructeurs dont il est exclu, de manière certaine, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci sont en lien avec leur sphère d'intervention.

10. Il en résulte :

- que, s'agissant du lien d'imputabilité, il suffit au maître de l'ouvrage d'établir qu'il ne peut être exclu, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci soient en lien avec la sphère d'intervention du constructeur recherché ;

- que, lorsque l'imputabilité est établie, la présomption de responsabilité décennale ne peut être écartée au motif que la cause des désordres demeure incertaine ou inconnue, le constructeur ne pouvant alors s'exonérer qu'en démontrant que les désordres sont dus à une cause étrangère.

11. Pour dire que la responsabilité décennale de l'entrepreneur n'est pas engagée, l'arrêt retient que, si le sinistre a pris naissance dans le tableau électrique, il n'est pas démontré avec certitude qu'il est en lien avec un vice de construction ou une non-conformité affectant cet élément, l'expert n'ayant pu faire de constatations techniques suffisantes au regard de son état de dégradation, et ayant raisonné en écartant des hypothèses telles que l'acte de malveillance ou le défaut d'alimentation électrique externe, sans pouvoir être formel.

12. Il en déduit qu'il n'est pas démontré que le sinistre est imputable aux travaux électriques réalisés par l'entrepreneur, lequel n'a pas la charge de démontrer une cause étrangère en l'absence d'imputabilité certaine.

13. En statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure un lien d'imputabilité entre les dommages et les travaux de l'entrepreneur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt disant que la responsabilité décennale de l'entrepreneur n'est pas engagée entraîne la cassation des chefs de dispositif rejetant les demandes du maître de l'ouvrage et de son assureur, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la société Pacifica recevable à agir, l'arrêt rendu le 7 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse autrement composée ;

Condamne M. [E] [O] et la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles d'Oc aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles d'Oc et la condamne à payer à M. [P] [O] et la société Pacifica la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le onze septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300398

Analyse

  •  Titrages et résumés

  •  Précédents jurisprudentiels

  •  Textes appliqués

Publié par ALBERT CASTON à 15:37  

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