Assurance construction - Prescription biennale et responsabilité décennale - Référé-expertise et interruption de délai
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 24-10.405
- ECLI:FR:CCASS:2025:C300445
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du jeudi 09 octobre 2025
Décision attaquée : Cour d'appel de Papeete, du 12 octobre 2023
Président
M. Boyer (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP L. Poulet-Odent, SCP Piwnica et Molinié
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CC
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 9 octobre 2025
Cassation partielle
M. BOYER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 445 F-D
Pourvoi n° F 24-10.405
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 OCTOBRE 2025
a société Fiumarella, société anonyme, dont le siège est [Adresse 8], a formé le pourvoi n° F 24-10.405 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2023 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence Pearl Nui, dont le siège est [Adresse 7], représenté par son syndic la société Ethik, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, (SMABTP) dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à M. [Z] [U], domicilié [Adresse 2],
4°/ à M. [M] [I], domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La SMABTP a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Foucher-Gros, conseillère, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Fiumarella, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la SMABTP et de MM. [U] et [I], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence Pearl Nui, après débats en l'audience publique du 8 juillet 2025 où étaient présents M. Boyer, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Foucher-Gros, conseillère rapporteure, Mme Abgrall, conseillère faisant fonction de doyenne, et Mme Letourneur, greffière de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 12 octobre 2023) et les productions, la société Pearl Nui et la société civile immobilière PN 2004, agissant respectivement en qualité de maître de l'ouvrage et de promoteur, ont fait construire un groupe d'immeubles résidentiels.
2. Une assurance de responsabilité décennale a été souscrite pour cette opération auprès de la SMABTP.
3. La société Fiumarella (l'entreprise) a exécuté le lot « gros-oeuvre-menuiseries interieures bois-plâtre - cloisons ».
4. Le procès-verbal de réception a été établi le 7 juin 2008.
5. La société Pearl Nui constituée entre MM. [I] et [U] a été dissoute, puis radiée.
6. Se plaignant de désordres, le syndicat des copropriétaires de la résidence Pearl Nui (le syndicat des copropriétaires) a saisi le juge des référés, qui a ordonné, le 4 avril 2024, une mesure d'expertise, au contradictoire notamment de l'entreprise, laquelle avait été appelée à la cause par MM. [I] et [U], en leur qualité d'associés de la société Pearl Nui.
7. Après dépôt du rapport d'expertise, le 6 mars 2015, le syndicat des copropriétaires, par requête du 31 mai 2017 et assignation du 17 mai 2017, a assigné MM. [I] et [U], ès qualités, et la SMABTP en paiement de certaines sommes au titre des travaux de reprise des façades et des carrelages.
8. Par conclusions du 8 décembre 2017, MM. [I] et [U] ont appelé en cause l'entreprise, qui a opposé aux demandes du syndicat des copropriétaires une fin de non-recevoir tirée de la forclusion.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
10. La SMABTP fait grief à l'arrêt de dire que les désordres affectant les façades et les peintures y apposées du bâtiment A de la résidence [5] sont de nature décennale et de dire conséquemment qu'au titre de sa garantie, elle doit être condamnée, in solidum avec l'entreprise, à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme au titre des travaux de reprise de ces désordres, alors :
« 1°/ que toutes les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance ; que l'insertion des dispositions de l'article L. 114-1 du code des assurances dans le contrat d'assurance constitue une limite de garantie opposable non seulement à l'assuré mais aussi aux tiers, dès lors que l'assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur originaire ; qu'en l'espèce, la SMABTP avait fait valoir que les conditions générales du contrat d'assurance qu'elle avait conclu avec la société Pearl Nui intégraient un article 20, opposable aux tiers, selon lequel « Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y a donné naissance. (?) » ; que, dès lors, elle soutenait que l'action du syndicat ayant trouvé son fondement dans le rapport d'expertise judiciaire, ses demandes dirigées contre elle étaient irrecevables, puisque le syndicat ne l'avait fait assigner que plus de deux ans plus tard, le 17 mai 2017 ; qu'en confirmant le jugement du 2 février 2022 qui avait retenu la garantie de la SMABTP et l'avait condamnée, in solidum avec la société Fiumarella, à payer au syndicat une certaine somme au titre des travaux de reprise de ces désordres, sans avoir préalablement recherché, comme elle y était invitée, si les demandes du syndicat dirigées contre la SMABTP n'étaient pas irrecevables, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1141 et L. 112-6 du code des assurances ;
2°/ que tout jugement, à peine de censure, doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la SMABTP, soulignant que le tribunal n'avait pas répondu sur ce point, avait soutenu que le dommage affectant les façades ne pouvait pas relever contractuellement de la garantie décennale dès lors que l'article 13-3 dudit contrat, relatif aux « conditions techniques », stipulait que, « Outre les prescriptions administratives et techniques en vigueur sur le Territoire, où se trouve réalisée la construction, tous les travaux sont contractuellement étudiés et exécutés conformément aux prescriptions ou techniques des ouvrages suivants : DTU français et norme AFNOR » ; que la SMABTP faisait observer que l'expert judiciaire avait relevé que « les défauts d'enrobage des aciers sont patents, les dispositions constructives de bases n'ayant pas été respectées et ayant conduit à ces désordres majeurs », en sorte que les travaux réalisés étaient de ce chef contraires aux exigences contractuelles ; qu'en laissant ce moyen sans réponse, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que tout jugement, à peine de censure, doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la SMABTP avait fait valoir que le dommage affectant les façades ne pouvait pas relever contractuellement de la garantie décennale dès lors que l'article 13-3 dudit contrat, relatif aux « conditions techniques », stipulait que, « outre les prescriptions administratives et techniques en vigueur sur le Territoire, où se trouve réalisée la construction, tous les travaux sont contractuellement étudiés et exécutés conformément aux prescriptions ou techniques des ouvrages suivants : DTU français et norme AFNOR » ; que la SMABTP faisait observer que l'expert judiciaire avait relevé que « les défauts d'enrobage des aciers sont patents, les dispositions constructives de bases n'ayant pas été respectées et ayant conduit à ces désordres majeurs » ; qu'en laissant là encore sans réponse ce moyen qui permettait de justifier l'exclusion des dommages provoqués de la garantie de la SMABTP, la cour a violé derechef l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. En premier lieu, l'action directe de la victime dirigée contre l'assureur de responsabilité, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à la réparation de son préjudice, n'étant pas soumise à la prescription biennale mais se prescrivant par le même délai que son action contre le responsable, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, procédant à la recherche prétendument omise, que les stipulations du contrat prévoyant que les litiges dérivant du contrat d'assurance se prescrivaient par deux ans, n'étaient pas opposables au syndicat des copropriétaires qui n'était pas partie à celui-ci.
12. En second lieu, ayant relevé que les désordres aux façades, béton et peintures présentaient le degré de gravité engageant la responsabilité décennale de son assurée, elle a retenu, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, qu'en ayant accepté de garantir celle-ci à raison des dommages matériels affectant la solidité ou la stabilité du gros oeuvre, la SMABTP n'était pas fondée à refuser sa garantie au titre de vices décennaux.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
14. L'entreprise fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action du syndicat des copropriétaires, de dire que les désordres affectant les façades et les peintures du bâtiment A de la résidence [5] sont de nature décennale, de la déclarer responsable de ces désordres sur le fondement de l'article 1792 du code civil et de la condamner, in solidum avec la SMABTP, à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme au titre de travaux de reprise de ces désordres, alors :
« 1°/ que pour être interruptive de prescription, la citation en justice doit être adressée à celui que l'on veut empêcher de prescrire ; qu'en retenant, pour déclarer recevable l'action formée par le syndicat des copropriétaires de la résidence Pearl Nui à l'encontre de la société Fiumarella, que la prescription de son action avait été interrompue par la saisine du juge des référés du tribunal de première instance de Papeete, quand la société Fiumarella n'avait pas été visée par ces actes introductifs d'instance délivrés par le syndicat des copropriétaires, de sorte que ces actes n'avaient pu avoir d'effet interruptif de prescription à son égard, la cour d'appel a violé les articles 2244 et 2270 du code civil applicable en Polynésie française ;
4°/ que la société Fiumarella soutenait dans ses conclusions d'appel que « ce n'est que par conclusions du 26 février 2020 que le syndic a présenté une demande financière dirigée directement contre la société Fiumarella pour la première fois sur le fondement de la garantie décennale » ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2244 et 2270 du code civil applicable en Polynésie française et l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française :
15. En application du premier de ces textes, pour interrompre le délai de prescription ou de forclusion, la demande en justice doit émaner de celui dont le droit est menacé de prescription et être adressée à la personne en faveur de laquelle court la prescription.
16. Selon le deuxième, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du code civil applicable en Polynésie française, est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux.
17. Selon le troisième, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
18. Pour condamner l'entreprise à payer une certaine somme au syndicat des copropriétaires, l'arrêt retient qu'après procès-verbal de réception du 7 juin 2008, l'assignation en référé-expertise du 5 août 2013 a interrompu le délai de prescription, l'entreprise ayant été appelée à la cause, que la requête saisissant le tribunal a été déposée le 31 mai 2017 et que l'entreprise et les autres parties ont été assignées par actes des 12 et 19 décembre 2017 et 11 et 17 mai 2018.
19. En statuant ainsi, d'une part, sans préciser si l'entreprise avait été appelée aux opérations d'expertise par le syndicat des copropriétaires, d'autre part, sans répondre aux conclusions de celle-ci, qui soutenait que ce n'est que le 26 février 2020 que ce syndicat avait présenté une demande à son encontre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Mise hors de cause
20. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause MM. [I] et [U] dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- déclare la société Fiumarella responsable des désordres affectant les façades et les peintures y apposée du bâtiment A de la résidence [5] sur le fondement de l'article 1792, alinéa 1er, du code civil,
- condamne la société Fiumarella à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [5] la somme de 37 409 611 francs CFP au titre des travaux de réparation de ces désordres,
l'arrêt rendu le 12 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Met hors de cause MM. [I] et [U] ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 6] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le neuf octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300445
Publié par ALBERT CASTON à 10:26
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Libellés : assurance construction , effet interruptif , Prescription biennale , référé-expertise , responsabilité décennale
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