Voisinage et obligation de démolir insuffisamment motivée

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 23-18.806
  • ECLI:FR:CCASS:2025:C300447
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du jeudi 09 octobre 2025

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, du 24 mai 2023

Président

M. Boyer (conseiller doyen faisant fonction de président)

Avocat(s)

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SARL Le Prado - Gilbert, SCP Claire Leduc et Solange Vigand

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 9 octobre 2025




Cassation partielle


M. BOYER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 447 F-D

Pourvoi n° S 23-18.806




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 OCTOBRE 2025

1°/ M. [U] [Y], domicilié [Adresse 1],

2°/ la société Dam, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° S 23-18.806 contre l'arrêt rendu le 24 mai 2023 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [Z] [S],

2°/ à Mme [I] [M], épouse [S],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

3°/ à la commune de [Localité 4], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guillaudier, conseillère, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Y] et de la société civile immobilière Dam, de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la commune de Grand-Couronne, de la SARL Le Prado- Gilbert, avocat de M. et Mme [S], après débats en l'audience publique du 8 juillet 2025 où étaient présents M. Boyer, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Guillaudier, conseillère rapporteure, Mme Abgrall, conseillère faisant fonction de doyenne, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillères précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 24 mai 2023), M. [Y], gérant de la société civile immobilière Dam (la SCI), a obtenu, selon arrêtés des 18 août 2016 et 19 avril 2017, l'autorisation de construire une maison et trois garages sur une parcelle appartenant à celle-ci.

2. Se plaignant d'un trouble anormal du voisinage, M. et Mme [S] ont assigné la SCI et M. [Y] afin qu'ils soient condamnés à l'enlèvement des remblais et terres situés sur la parcelle, à démolir les terrasses et en paiement de dommages-intérêts.

3. La commune de [Localité 4] est intervenue volontairement à la procédure. Elle a demandé la démolition des constructions édifiées sur la parcelle en méconnaissance des permis de construire.

Recevabilité du moyen additionnel contenu dans un mémoire complémentaire et des productions, contestée par la défense

4. Il y a lieu de déclarer irrecevables le moyen additionnel développé par la SCI et M. [Y] dans un mémoire complémentaire reçu le 23 mai 2025, après l'expiration du délai prévu à l'article 978 du code de procédure civile, et les productions déposées le 26 mai 2025.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. [Y] et la SCI font grief à l'arrêt de condamner celle-ci à démolir la maison d'habitation, terrasses comprises, sous astreinte, alors « que méconnaissent leur obligation de motivation les juges d'appel qui retiennent l'existence d'un fait contesté et écarté par le jugement entrepris, sans mentionner ni analyser les éléments de preuve sur lesquels ils fondent leur décision ; qu'en se bornant à affirmer, pour ordonner la démolition de la maison construite par la SCI Dam, qu'un « remblaiement pourtant expressément interdit dans le permis de construire accordé a(vait) été la condition nécessaire de l'édification de l'habitation au niveau exigé (par l'article UC 1 du PLU, au-dessus de la cote de 5 m NGF) », sans mentionner ni analyser d'éléments de preuve desquels il serait ressorti que le terrain naturel aurait été remblayé sous l'emprise de la maison pour rehausser son niveau, afin que le rez-de-chaussée soit situé au dessus de la cote de 5mNGF, ce que les exposants contestaient en soutenant que la maison avait été directement construite sur le terrain naturel, le rez-de-chaussée étant situé au-dessus de cette cote par la réalisation d'un vide sanitaire, ce que l'expert judiciaire avait lui-même constaté en précisant que l'apport de remblai avait été réalisé « autour de l'habitation » et en attestant de l'existence de ce vide-sanitaire, ainsi que cela ressortait, par ailleurs, des plans annexés au permis de construire et d'un constat d'huissier, ce qui avait conduit le tribunal à rejeter cette demande, dès lors que « mis à par l'apport de remblai autour de la maison, la construction (était) conforme au permis de construire », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

7. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

8. Pour condamner la SCI à démolir la maison d'habitation, terrasses comprises, l'arrêt retient que le remblaiement pourtant expressément interdit dans le permis de construire accordé a été la condition nécessaire de l'édification de l'habitation au niveau exigé.

9. En statuant ainsi, sans analyser, ne fût-ce que sommairement, les pièces produites par M. [Y] et la SCI, au titre desquelles figurait le rapport d'expertise, qui concluait que la construction était conforme au permis de construire, sans apport de remblais autre qu'autour de l'habitation, ce qui avait été retenu par le premier juge, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

10. M. [Y] et la SCI font grief à l'arrêt d'ordonner la démolition des garages, alors « que lorsqu'une construction a été irrégulièrement édifiée, l'injonction faite à l'administration par le juge administratif de délivrer à son auteur un permis modificatif destiné à la régulariser, qui présuppose que la régularisation porte sur tous les éléments de la construction et que le juge administratif a écarté tous les motifs invoqués ou susceptibles de l'être à l'appui d'un refus de régularisation, fait obstacle à ce que le juge civil ordonne sa démolition ; qu'en jugeant, pour ordonner la démolition de garages construits par la SCI Dam dès lors que leur implantation altimétrique «manifestement différente » de celle indiquée sur le plan annexé au permis de construire aurait « fait obstacle » à une régularisation, que le jugement du tribunal administratif de Rouen du 16 mars 2023 n'était pas « de nature à modifier (son) appréciation » dès lors que « le débat » n'aurait pas porté, devant lui, sur l'implantation altimétrique, quand ce jugement enjoignait à la commune de délivrer un permis de construire modificatif destiné à régulariser ces garages, de sorte que la cour d'appel devait tenir pour acquis que leur implantation altimétrique était régularisable, et le serait par la délivrance de ce permis, elle a violé l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 1er du 1er Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, méconnus par la cour d'appel. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable :

11. Aux termes de ce texte, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l'article L. 421-8. L'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l'achèvement des travaux.

12. Cependant, cette disposition ne saurait être interprétée comme autorisant la démolition d'un tel ouvrage lorsque le juge peut ordonner à la place sa mise en conformité et que celle-ci est acceptée par le propriétaire.

13. Pour rejeter l'offre de régularisation de la SCI et ordonner la démolition des garages, l'arrêt retient que le défaut d'altimétrie qu'elle n'envisage pas de traiter fait obstacle à une mise en conformité de la construction et que la décision du tribunal administratif de Rouen n'est pas de nature à modifier l'appréciation de la cour en ce que le débat devant la juridiction administrative ne portait que sur la motivation de l'arrêté portant refus de délivrer un permis modificatif et des dispositions sur les distances applicables au regard de la limite séparative des fonds.

14. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le juge administratif avait enjoint à la commune de délivrer à M. [Y] un permis de construire modificatif des garages, ce qui faisait obstacle à une mesure de démolition de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la SCI à démolir la maison d'habitation et les garages entraîne la cassation par voie de conséquence du chef ordonnant la démolition de la maison, terrasses comprises, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, dès lors que la cour d'appel a rejeté les demandes de M. et Mme [S], y compris au titre du trouble anormal de voisinage résultant de la vue directe sur leur fond depuis lesdites terrasses, et la cassation du chef de dispositif condamnant la SCI à procéder à l'enlèvement des remblais qui en est indivisible.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de M. et Mme [S], l'arrêt rendu le 24 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne la commune de [Localité 4] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le neuf octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300447

Publié par ALBERT CASTON à 10:51  

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