Le 21 septembre 2018, l’infraction « d’outrage sexiste » codifiée par l’article 15 de la loi n°2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes – ajoutant au Code pénal un nouvel un article 621-1 – faisait l’objet de sa toute première application par le Tribunal correctionnel d’EVRY. Présentée comme une loi visant à assurer l’amélioration de la prévention des violences sexuelles et sexistes mais également l’accompagnement des victimes – outre le renforcement des sanctions pour les agresseurs – ce texte novateur du point de vue de l’interdit pénal (A) ainsi qu’en terme de répression de cet interdit (B), aura fait l’objet de vifs débats en ce qui concerne, notamment, le crime de viol sur mineur par un majeur ; avec la problématique sous-jacente de la présomption de non consentement.
A. Les nouveaux contours de l’interdit pénal en matière de violences sexistes et sexuelles
La loi du 3 août 2018, dite loi SCHIAPPA, a vocation à sanctionner des comportements précis mais prend également le chemin de la prévention en insérant des dispositions novatrices pour sensibiliser les majeurs en devenir à travers le Code de l’éducation (cf article L121-1 dudit code ou encore l’article 10 du texte législatif commenté) mais également les personnes en situation de handicap, les professionnels intervenant auprès de ces derniers et leurs aidant (cf article L114-3 du Code de l’action sociale et des familles).
Ces textes portés par une philosophie préventive ont une vocation pédagogique évidente et sont indéniablement nécessaires pour permettre l’évolution des mentalités, des mœurs, voire tout simplement permettre une meilleure diffusion de l’information en ce qui concerne les interdits pénaux en matière sexuelle.
Au-delà, la loi SCHIAPPA a permis l’évolution de la définition du viol en modifiant l’article 222-23 du Code pénal.
En effet désormais aucun doute ne demeure sur l’application de la qualification de viol à un acte de pénétration imposé à une victime sur la personne de l’auteur (voir en sens contraire Crim. 16 décembre 1997, n°97-85455, Bull. crim.n°429, D. 1998. 212). La notion d’inceste a encore été élargie puisqu’elle ne sera plus limitée aux seuls mineurs victimes. La notion de mineur est ainsi désormais exclue de l’article 222-31-1 du Code pénal.
Une attention toute particulière a été portée à l’acte de harcèlement – sexuel et/ou moral – mené sur les réseaux sociaux de sorte que les plus jeunes sont désormais visés par les articles 222-33 et 222-33-2-2 du Code pénal qui disposent, pour la matérialité des faits, que la qualification de harcèlement s’applique : « 1° Lorsque [les] propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ; 2° Lorsque [les] propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ». Le Code pénal réprime encore le fait d’user de tout moyen dans le but d’apercevoir les parties intimes d’une personne en profitant de son habillement ou du lieu clos dans lequel celle-ci peut se trouver (nouvel article 226-3-1 du Code pénal). On pense alors à ceux ou celles qui auraient l’idée de filmer « par-dessous » les vêtements d’autrui voire de « piéger » une cabine d’essayage par exemple.
La loi du 3 août 2018 a également créé un nouveau délit « d’administration de substance » ayant pour objet non de tuer, ni même seulement de nuire, mais de favoriser la commission d’une agression sexuelle (article 222-30-1 du Code pénal). Sachant que fort logiquement une telle administration de substance est parallèlement devenue une circonstance aggravante lorsque l’agression sexuelle est effectivement commise. On pourra s’interroger sur l’opportunité de cette qualification qui semble n’être qu’une application particulière – et donc inutile – de l’infraction d’administration de substance nuisible (article 222-15 du Code pénal) et qui correctionnalise une tentative de viol commise à l’aide d’une drogue…
Enfin la loi étudiée crée une nouvelle contravention qualifiée d’outrage sexiste et codifiée à l’article 621-1 du Code pénal qui dispose :
« Constitue un outrage sexiste le fait, hors les cas prévus aux articles 222-13,222-32,222-33 et 222-33-2-2, d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».
Si la portée pédagogique et préventive de ce texte sont à saluer, il n’en demeure pas moins que sa mise en œuvre risque d’être limitée sur le long terme. La décision du Tribunal correctionnel d’EVRY obligeant sur ce point à un certain optimisme malgré tout même si elle aura été permise grâce à un sursaut citoyen ; l’agresseur ayant été arrêté par un chauffeur de bus témoin de la scène.
Il est patent que ces nouvelles infractions sont autant de nouveautés susceptibles de permettre un changement des mentalités pour, peut-être, permettre un rapport plus mature à la sexualité dans notre société.
Cette loi par contre n’a pas instauré de présomption de non consentement d’un mineur en cas de rapport sexuel avec un majeur contrairement à l’appel de nombreuses voix en ce sens. En lieu et place la loi ajoute deux alinéas à l’article 222-22-1 du Code pénal qui précise désormais que le crime de viol commis sur la personne d’un mineur est caractérisé en cas de contrainte et/ou surprise selon les distinctions suivantes :
« Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l'article 222-22 peuvent résulter de la différence d'âge existant entre la victime et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur majeur. Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ». Ces dispositions peuvent être saluées pour leur dimension pédagogique mais force est de constater qu’elles ne font que codifier un raisonnement que l’autorité judiciaire a bien évidemment toujours appliqué tant cela relève du bon sens.
Concernant le débat sur la présomption de non consentement l’auteur de ces lignes se limitera à faire part de son attachement à la seule et unique présomption qui vaille en matière pénale, à savoir la présomption d’innocence que l’autorité de poursuite a la charge de renverser pendant l’audience.
B. L’aggravation de la répression en matière de violences sexistes et sexuelles
Pour rappel l’article 6 du Code de procédure pénale dispose que : « L'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée ». Or la question de la prescription de l’action publique en tant qu’obstacle potentiel aux poursuites pénales est également abordée par la loi du 3 août 2018 dans le prolongement de la loi du 27 février 2017 qui a porté à 20 ans la prescription de l’action publique en matière de crime.
Désormais les crimes mentionnés à l’article 706-47 du Code de procédure pénale se prescrivent par trente années dès lors qu’ils sont commis sur des mineurs. Précision faite que cette prescription ne court qu’à compter de la majorité des victimes.
Dans ces conditions une victime de viol pourra voir le crime subi être poursuivi, et donc potentiellement réprimé, jusqu’à l’âge de 48 ans voire plus tard dès lors qu’un acte interruptif et/ou suspensif de prescription sera intervenu en application des dispositions des articles 9-2 et suivants du Code de procédure pénale tel que résultant de la loi susmentionnée du 27 février 2017.
Ainsi, et notamment, est interruptif de prescription « […] Tout acte d'enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ». Sachant que pour rappel une simple plainte n’est en principe pas interruptive de prescription lorsque l’article 9-3 du Code de procédure pénale qui consacre la jurisprudence de la Haute Cour dispose que « Tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, suspend la prescription » - ce qui pourrait relever de l’hypothèse, loin d’être un seul cas d’école, d’un viol commis sur une victime à un âge où sa mémoire est en pleine construction et dont la connaissance interviendrait grâce à l’intervention de tiers.
De sorte qu’en pratique le crime de viol commis sur mineur devient quasi-imprescriptible et offre aux victimes la possibilité de dénoncer les faits subis même très tardivement.
S’il faut saluer cette avancée sur le principe, on peut craindre qu’en pratique cela ne soit l’occasion de nourrir des espoirs vains pour certaines victimes puisqu’en pareille hypothèse la reine des preuves reste évidemment l’aveu. Un auteur pourra donc profiter du temps écoulé pour nier les faits sans qu’aucun élément matériel ne soit susceptible de battre en brèche sa position. Et la victime de voir s’effondrer ses espoirs face à l’impuissance de l’autorité de poursuite malgré l’allongement du délai de prescription applicable.
Une appréhension « optimiste » de la loi, si l’on se place du côté de la victime, pourrait tempérer ce constat puisque l’allongement de la prescription permet justement aux enquêteurs d’envisager des mesures coercitives telles que la garde à vue ; mesure coercitive par excellence qui permet parfois « d’obtenir » les aveux souhaités.
On rappellera à ce propos l’importance de l’intervention de l’avocat dès le début de la garde à vue au bénéfice d’un mis en cause en application de l’article 63-1 du Code de procédure pénale tel que réformé par la loi du 14 avril 2011 tout en soulignant que ce dernier n’a toujours pas d’accès au dossier à ce stade de l’enquête...
La loi du 3 août 2018 a donc indéniablement renforcé la répression des viols commis sur les mineurs puisque le temps n’est presque plus un obstacle aux poursuites.
Enfin cette loi a encore été l’occasion de renforcer la sanction encourue par un majeur ayant une relation sexuelle consentie avec un mineur de quinze ans. C’est l’hypothèse de l’atteinte sexuelle réprimée par l’article 227-25 du Code pénal. Ce dernier disposant désormais :
« Hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d'exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans [et non plus cinq ans] d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende ».
En conclusion, la loi SCHIAPPA renforce la protection des mineurs face aux pulsions sexuelles de majeurs. Son application va poser des difficultés certaines d’un point de vue pratique – et l’on pense ici au délit d’outrage sexiste notamment – mais également juridique – des QPC sont en effet à prévoir pour confronter ces nouveaux textes aux principes cardinaux du droit pénal – mais son adoption est un message lourd de symbole dans une société où la sexualité reste une question d’intérêt général difficile à appréhender.
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