Article du 28 février 2020

Vous n’avez pas pu le manquer, le coronavirus (ou Covid-19) défraie la chronique depuis quelques semaines. L’épidémie qui touchait initialement quelques lointaines contrées asiatiques est « désormais à nos portes », selon le nouveau ministre de la Santé, Olivier VERAN.

Des consignes très claires ont donc été données par l’Etat : toute personne revenant d’un voyage (personnel ou professionnel) dans une zone fortement touchée -pour l’heure la Chine continentale et le Nord de l’Italie- doit rester chez elle pendant une période de sûreté allant de 14 à 21 jours.

Mais si le site du ministère de la Santé est très clair sur les implications pour les personnes, pas un mot sur les entreprises !

Faisons le point.

 

  1. L’employeur a plus que jamais une obligation de sécurité de résultat

En tant qu’employeur, vous aviez bien avant l’épidémie l’obligation de protéger la santé de vos salariés, traduite dans la très juridique « obligation de sécurité de résultat ». Si la jurisprudence a pu affiner cette obligation au fil des années, et si l’on a même cru qu’elle deviendrait une simple obligation de moyens renforcée (voir notamment les commentaires de Soc, 22 octobre 2015, 14-10.173), cette importante mission trouve bien entendu toute son importance en cas d’épidémie.

En cas de doute sur la potentielle contamination d’un salarié, l’employeur a l’obligation -et pas seulement la possibilité- de renvoyer le salarié concerné chez lui. Cela participe de l’obligation de protéger le salarié (qui, s’il est contaminé, risque de ne pas être en état de travailler) et l’ensemble des autres salariés (afin d’empêcher qu’ils soient eux-mêmes contaminés).

De même, une circulaire de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie du 19 février 2020 indique que les parents des enfants « mis en quarantaine » pourront eux aussi être renvoyés chez eux. Mesure de bon sens à la fois sanitaire et économique, on peut néanmoins se questionner sur le cas des conjoints, qui présentent eux aussi un risque de transmission…

Attention néanmoins à ne pas verser dans la décision de principe. Si l’action doit être rapide, elle ne doit jamais laisser subsister une quelconque différence de traitement ou discrimination. Ainsi, tout salarié présentant un risque (de retour de voyage ou simplement malade) doit rentrer chez lui, peu importe qu’il soit mandaté, dirigeant ou autre.

La seule présence du salarié sur le site présente un risque qui pourrait suffire à engager la responsabilité de l’employeur. C’est pourquoi, nous ne verrions aucune difficulté à ce que le salarié qui se présenterait sur son poste alors qu’il a été renvoyé chez lui s’expose à une sanction disciplinaire, son comportement mettant en danger sa santé et celle de ses collègues.

Enfin, pour les salariés qui resteraient sur site, il conviendra de fournir les informations et équipements adéquats. Vous pouvez d’ores et déjà multiplier les appels à une hygiène renforcée, encourageant vos salariés à se laver les mains régulièrement, à utiliser des mouchoirs à usage unique, éternuer dans leur coude, etc. De même, il faudra les inciter à signaler tout symptôme qui pourrait laisser penser à une contamination.

Puis, en cas d’aggravation de l’épidémie, les entreprises pourraient être amenées à fournir à leurs salariés de nouveaux types d’équipements de protection individuelle (gants, lunettes, masques, désinfectant, etc.), d’autant plus lorsque l’activité de l’entreprise nécessite de manipuler des objets provenant de zones fortement infectées. A ce titre, une véritable analyse des risques professionnels devra sans doute être menée, dans l’urgence.

 

  1. Renvoyer les salariés veut-il dire fermer l’entreprise ?

En l’espèce, et comme souvent, deux hypothèses sont envisageables : les salariés occupés à des postes nécessitant leur présence sur site et les autres.

Pour les premiers, il n’y a malheureusement aucune autre solution que de procéder à leur remplacement. En cela, vous pouvez d’ores et déjà considérer que votre salarié sera absent pendant au moins 14 jours, son contrat étant en « suspension forcée ». Il peut donc être possible de recourir selon les cas à un CDD ou à l’intérim afin d’y pallier. Attention, les modalités de conclusion restent les mêmes que pour tout remplacement, avec les mêmes points d’attention.

Pour les salariés dont les postes ne nécessitent pas leur présence sur site, la loi confère à l’employeur le droit de recourir au télétravail en cas de risque majeur. Il est donc possible d’imposer à vos salariés de travailler de chez eux. Mais là encore, il faudra prêter attention aux modalités de mise en place du télétravail (contrepartie, défraiement, prime spécifique, etc.), qui peuvent constituer un nouveau risque pour la Société.

Par ailleurs, il est possible que certains salariés invoquent leur « droit de retrait », face à un danger qu’il considèrent grave et imminent pour leur vie ou leur santé. Il conviendra alors de bien vérifier les situations au cas par cas : tout ne justifie pas de quitter son poste, il faudra que la situation soit véritablement problématique.

Il conviendra donc de faire preuve de pédagogie et de compréhension afin de vérifier si un risque existe effectivement et dans quelle mesure il pourra être évité afin de garantir la sécurité de tous dans l’entreprise.

 

  1. Finalement, qui paie la note ?

L’épidémie de coronavirus a des conséquences économiques indéniables.

Pour les salariés en « suspension forcée », un décret conjoint du Premier ministre et du ministre de la Santé prévoit depuis fin janvier une indemnisation par la Sécurité sociale. Malade ou pas, le salarié écarté serait indemnisé comme s’il était placé en maladie (mais sans délai de carence !). Pour cela, il convient que le salarié ait été placé en suspension forcée et « signalé » à l’Agence Régionale de Santé, dont le médecin est chargé de vérifier que « les conditions sont réunies » selon le décret et de transmettre un arrêt de travail à la Caisse.

Un flou existe cependant sur ce signalement.

Tout d’abord, est-ce à l’employeur, au salarié ou à la Caisse de signaler l’absence ? La Circulaire de la CNAM du 19 février 2020 semble indiquer que les salariés doivent prendre contact avec la CPAM… L’ARS quant à elle, nous a recommandé d’adresser un email sur l’adresse d’urgence des ARS avec les nom, prénom et numéro de sécurité sociale de chaque salarié concerné…

Aussi, sans plus d’instruction, rien n’indique pour l’heure les modalités exactes de délivrance du sésame qui permettra aux salariés d’être assurés de ne pas perdre 50% de leur salaire (14 jours d’arrêt) le mois prochain.

De plus, en théorie les salariés devraient être indemnisés, malades ou pas, pour la période de suspension forcée. Mais cela sera-t-il maintenu en cas en cas d’augmentation importante du nombre de salariés suspendus pour ce motif sui generis ? L’ARS et/ou la Caisse pourraient alors devenir regardantes sur le véritable motif de suspension et refuser de prendre en charge des suspensions « d’opportunité ». Personne ne dit qui, dans pareille situation, devra régler la facture, et cela risque de poser des difficultés, aux employeurs, à leurs salariés, comme à la Caisse !

De même, personne ne dit qui devra rémunérer le salarié si le médecin s’aperçoit que les « conditions » de suspension forcée n’étaient en réalité pas réunies ?

Encore, les entrepreneurs eux-mêmes étant désormais tous assurés au régime général, ils devraient avoir droit, eux aussi, à une indemnisation… bien qu’aucun texte officiel ne le mentionne clairement.

Enfin, dernier grand flou, aucune information n’a filtré sur de potentielles mesures d’accompagnement des entreprises. Le ministère de l’Economie, contacté ce matin, ne laisse filtrer aucune information. Car pour l’heure, personne ne parle des conséquences économiques qu’aurait une véritable « crise du coronavirus » sur les entreprises qui devraient baisser le rideau ou passer en « activité partielle » -sinon de manière macro-économique, en pourcentage du PIB-. Les effets pour bon nombre d’entre elles pourrait pourtant être (très) importants, y compris en matière d’emploi.