Dans un arrêt du 23 octobre 2019, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que lorsque l’employeur annonce publiquement le départ d’un salarié avant de le recevoir à l’entretien préalable au licenciement prévu à l’article L. 1232-3 du Code du travail , il commet un licenciement verbal, empêchant ainsi toute reconnaissance d’un licenciement régulier quelle que soit la véracité des motifs à l’origine de la décision de mettre fin à la relation de travail (Cass. Soc., 23 octobre 2019, n°17-28.800).
Il constitue surement l’écueil le plus redouté des avocats travaillistes représentant des employeurs car il peut être facile à démontrer pour le salarié et sa sanction est automatique, sans étude du contexte ni des motifs : il s’agira assurément d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
C’est ce que vient rappeler la Chambre Sociale de la Cour de Cassation dans un arrêt de rejet du 23 octobre 2019 : dans cette affaire « cas d’école », l’employeur condamné reprochait à la Cour d’appel d’avoir retenu un licenciement sans cause réelle et sérieuse alors que la « prétendue » annonce publique du licenciement aux autres salariés avait été précédée d’une convocation à l’entretien préalable au licenciement, et suivie d’un entretien préalable et d’une lettre de licenciement.
Ce cas typique permet de revenir sur les différents aspects du licenciement verbal.
- Qu’est-ce que le licenciement verbal ?
La reconnaissance d’un licenciement verbal dépend en réalité de deux éléments : il doit y a voir eu une annonce de la rupture de contrat de travail et cette annonce doit avoir précédé la notification régulière de la lettre de licenciement au salarié dans le respect de la procédure des articles L. 1232-2 et suivants du code du travail pour le licenciement pour motif personnel ou celle des articles L. 1233-11 et suivants pour le licenciement économique.
Evidemment, le cas du licenciement verbal est facile à imaginer dans l’hypothèse classique de l’employeur montrant la porte à son salarié à la suite immédiate d’une faute commise par ce dernier. Mais comme le démontre la jurisprudence en la matière, le contexte d’un licenciement verbal peut parfois être un peu plus complexe. Ainsi, dans l’arrêt du 23 octobre 2019, il s’agit d’une annonce publique faite par l’employeur aux autres salariés avant qu’ait lieu l’entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué. Le licenciement n’a donc pas été annoncé directement au salarié mais à des tiers.
Autre apport de l’arrêt du 23 octobre 2019 sur les éléments constitutifs du licenciement verbal : ce licenciement n’est pas forcément engagé avant l’initiation d’une procédure de licenciement, comme on peut le lire parfois, mais avant la notification régulière et motivée du licenciement, soit par une lettre recommandée avec accusé de réception envoyée au salarié avec un délai minimum de deux jours ouvrables après l’entretien préalable.
En effet, dans cette affaire, le salarié avait déjà été convoqué à l’entretien avant que son employeur ne fasse une annonce publique de son départ lors d’une réunion du personnel. Puisque les dispositions du code du travail sur la procédure de licenciement commencent par la convocation, celle-ci est bien le point de départ de la procédure de licenciement. Donc, en l’espèce, la Cour de cassation ne considère pas que le licenciement verbal est seulement celui annoncé avant tout engagement d’une procédure de licenciement, mais celui annoncé avant la notification.
D’ailleurs, il existe une logique textuelle à la décision de la Cour de Cassation : jusqu’à la lettre de notification du licenciement qui ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables après l’entretien, l’employeur est libre de changer d’avis et n’est pas censé avoir pris sa décision ou, dans l’hypothèse d’une procédure à caractère disciplinaire, garde la possibilité de simplement prononcer une sanction disciplinaire plutôt qu’une rupture du contrat. Car finalement, ce qui est sanctionné au titre du licenciement n’est pas tant l’annonce prématurée du licenciement que l’absence de notification des motifs sur lesquels il repose.
L’arrêt vient donc confirmer ce que la Cour avait déjà indiqué anciennement mais dans une affaire où la convocation n’avait pas encore eu lieu : le licenciement verbal est une violation de l’impératif légal que constitue la présence d’une notification écrite et motivée (Cass. Soc., 23 juin 1998, n°96-41.688).
Il doit donc attendre cette notification avant de faire une annonce au salarié ou aux tiers de son départ de l’entreprise.
2. Le licenciement verbal est-il forcément oral ?
L’autre question à se poser est la forme de l’annonce. Très souvent, on imagine le licenciement verbal comme l’hypothèse typique de l’employeur mécontent qui ordonne à son salarié de prendre la porte juste après avoir découvert ce qu’il considère comme une faute ou une négligence commise par celui-ci.
Or, comme nous l’avons observé dans l’arrêt étudié, l’annonce n’est pas forcément faite au salarié. En l’espèce, l’annonce retenue par la Cour d’appel dans ses motifs est celle faite aux collègues du salarié licencié, lors d’une réunion du personnel et mentionnée à son procès-verbal, élément probatoire écrit communiqué au juge par la suite.
L’annonce d’un licenciement verbal n’est donc pas forcément orale. En effet, l’élément constitutif du licenciement verbal est uniquement le fait d’avoir été annoncé avant la notification officielle et motivée du licenciement. Donc l’utilisation de tout vecteur de communication ayant pour résultat l’annonce du licenciement avant sa notification au salarié constitue un licenciement verbal.
C’est d’ailleurs ce qu’a eu l’occasion de retenir le Conseil de Prud’hommes de Paris dans une affaire particulière vu les montants en jeu et la position du salarié au sein de l’entreprise. Dans ce cas d’espèce, le salarié reprochait à son employeur d’avoir diffusé un communiqué de presse annonçant son départ de l’entreprise avant toute initiation de la procédure adéquate, communiqué repris le lendemain par des journaux économiques tels que les Echos ou le Wall Street Journal. Ici, le licenciement verbal est constitué par un support écrit et le Conseil de Prud’hommes de Paris n’a pas oublié de l’évoquer dans ses motifs à l’appui d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse précisant même quelque peu ironiquement : « le communiqué de presse n’est pas un mode de rupture » (CPH Paris, sect. Encadrement, 6 août 2013, n°12/11643).
3. Le licenciement verbal ne peut être régularisé a posteriori… ou presque
La grande question de l’employeur confronté au licenciement verbal et à son issue judiciaire brutale, est finalement de savoir s’il est possible de régulariser celui-ci en entamant une procédure de licenciement régulière a posteriori. La cour de cassation fait preuve d’une constance particulière dans la réponse apportée à cette question : en aucun cas l’employeur ne peut régulariser le licenciement annoncé verbalement par l’envoi d’une lettre de convocation à l’entretien préalable et donc l’initiation d’une procédure de licenciement régulière (Cass. Soc., 12 novembre 2002, n°00-45.676).
La Cour enlève tout espoir aux plaideurs les plus fins d’éviter le licenciement verbal comme dans une affaire où l’employeur, qui avait indiqué oralement à son salarié qu’il était licencié après l’entretien préalable, mais avant la notification par écrit dans le délai de deux jours ouvrables après cet entretien, exposait dans son pourvoi qu’il s’agissait en réalité d’un vice affectant uniquement la procédure. Le raisonnement de l’employeur est parfaitement recevable : il a bien entamé une procédure de licenciement régulière, a bien tenu par la suite un entretien préalable, et indique sa décision de licencier après celui-ci. Il n’a en revanche pas respecté un délai prescrit dans le chapitre du code du travail relatif à la « procédure » : il s’agit selon lui d’une simple irrégularité de forme. Or, légalement, une irrégularité de forme dans le déroulé de la procédure de licenciement ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse mais, selon l’article L.1235-2 du code du travail, entraine simplement le versement au salarié d’une indemnité ne pouvant excéder un mois de salaire. Mais dans l’affaire en cause, la Cour refuse cette argumentation et rappelle que toute annonce d’un licenciement avant la notification ne pouvait être régularisé par l’envoi ultérieur d’un lettre en ce sens, quand bien même l’employeur avait bien entamé et suivi une procédure de licenciement (Cass., Soc., 9 mars 2011, n°09-65.441).
A l’inverse, on pourra observer que la procédure de licenciement menée jusqu’à la notification du licenciement peut être remise en cause par la lettre même de licenciement: dans un arrêt de 2002, la Cour de cassation confirme en effet la décision des juges du fonds qui avait constaté que la lettre de licenciement, assez mal rédigée, indiquait « Par la présente, nous vous confirmons votre licenciement à dater du 1er mars 1997 pour faute grave, suite à votre comportement du vendredi 28 février au matin » (Cass. Soc., 6 mars 2002, n°00-40.309). Il n’en fallait pas plus au juge pour considérer qu’il avait ici la confirmation, de la main de l’employeur, de ce que ce dernier avait déjà fixé le salarié sur le sort de son contrat de travail avant l’envoi de cette lettre.
La jurisprudence a également coupé court à toute tentative de démontrer que le salarié avait en réalité fait l’objet d’une mise à pied conservatoire orale et que la procédure de licenciement avait été engagée à la suite de cette mise à pied : dans un arrêt remarqué du 10 janvier 2017, la Cour considère en effet que la demande faite au salarié de quitter l’entreprise ne pouvait être analysée en mise à pied conservatoire si la lettre de convocation ou la lettre de licenciement ne faisait pas état de cette mesure. Dès lors, la procédure de licenciement menée de bout en bout ne pouvait venir régulariser ce licenciement verbal (Cass. Soc., 10 janvier 2017, n°15-13.007).
Mais dans certains cas, il semble possible de régulariser la procédure à condition d’être conseillé et réactif. Ainsi, prenons l’hypothèse classique mais néanmoins répandue de l’employeur pris d’un coup de sang à la découverte de ce qu’il considère être une faute de son salarié et qu’il lui intime immédiatement l’ordre de quitter l’entreprise et/ou de ne plus revenir. Si la faute commise par le salarié peut être constitutif d’une faute grave ou lourde, l’employeur peut donc rattraper son annonce précipitée, puisque l’arrêt précédent nous enseigne, dans une lecture a contrario, qu’il suffira de confirmer une mise à pied conservatoire dès le courrier de convocation à l’entretien préalable. Par ce rattrapage de dernière minute, l’annonce verbale du licenciement se mue en annonce orale d’une mise à pied conservatoire immédiate qui ne requiert pas de forme particulière.
4. La preuve du licenciement verbal
Certes, en matière prud’homale, la preuve peut être apportée par tout moyen mais ne nous le cachons pas, prouver un licenciement verbal qui aurait simplement été oral reste difficile sans un écrit le confirmant.
D’ailleurs le juge ne s’y trompe pas lorsqu’il rappelle au salarié qu’il doit lui fournir les pièces permettant « de caractériser la volonté de l'employeur à cette date de rompre le contrat de travail » (Cass. Soc., 14 avril 2016, n°14-27.089). Cet arrêt expose également que le simple fait de ne pas avoir fourni la moindre prestation de travail au salarié depuis l’annonce supposée de l’annonce de la rupture de son contrat n’est pas une preuve du licenciement verbal.
Evidemment, il reste toujours possible de fournir des attestations mais les praticiens savent bien à quel point il est difficile d’obtenir le témoignage, en faveur de leur ex-collègue, de salariés faisant toujours partie des effectifs et donc soumis au lien de subordination à l’égard de l’employeur. Parfois, comme nous l’avons vu, d’autres documents viennent confirmer le licenciement oral : un communiqué de presse (CPH Paris, 6 août 2013, 12/11643), la lettre de licenciement elle-même (Cass. Soc., 6 mars 2002, n°00-40.309un procès-verbal de réunion) ou dans l’arrêt à l’origine de cet article, le compte-rendu d’une réunion du personnel (Cass. Soc., 23 octobre 2019, n°17-28.800).
5. La sanction du licenciement verbal
La sanction du licenciement verbal pose déjà la question du traitement de l’affaire devant les juridictions du fond : dès lors que le licenciement verbal ne fera aucun doute, il n’y aura aucune étude des motifs du licenciement.
En somme, ce qui est sanctionné n’est pas l’inconsistance ou l’inexistence des motifs mais le simple fait de ne pas avoir exposé cette motivation au salarié avant de lui indiquer la rupture de son contrat de travail.
La jurisprudence est catégorique, la sanction est la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce, même si le salarié a bien commis de manière incontestable une faute justifiant son licenciement pour motif personnel, une véritable insuffisance professionnelle ou si les données économiques de l’entreprise justifient pleinement un licenciement pour motif économique (Cass., Soc., 23 juin 1998, n°96-41.688 – Cass. Soc., 12 novembre 2002, n°00-45.676).
Alexandre PILLIET
Avocat à la Cour
apilliet-avocat@hotmail.fr
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