Revue des procédures collectives n° 6, Novembre 2012, alerte 31

 

Révision du règlement européen : coopération et coordination (Synthèse du colloque organisé par le CEDAG (Université Paris V), sous le Haut patronage du Ministre de la Justice)

 

Sommaire

par Léa Erkan, Charlotte Pouyat, Clarisse Marsault, Solène Rivoal et Alexandre Suter, Étudiants du Master II Juriste d'affaires de l'Université de Paris Descartes (Paris V), dirigé par le Professeur Isabelle Urbain-Parléani.

Le 8 novembre 2012, s'est tenu au ministère de la Justice un colloque sur la « La révision du règlement européen : coopération et coordination ». Cette manifestation placée sous le Haut patronage du ministre de la Justice était organisée par le Centre de droit des affaires et de gestion (CEDAG) de l'université de Paris Descartes (Paris V), avec le soutien du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ).

À cette occasion, Messieurs Patrick Rossi, chef du bureau du droit de l'Economie des entreprises (Direction des affaires civiles et du sceau, ministère de la Justice) et Philippe Roussel Galle, professeur à l'université de Paris Descartes (Paris V), membre du CEDAG, directeurs scientifiques de ce colloque ont su rassembler des spécialistes pour évoquer la révision du règlement (CE) n° 1346/2000.

Messieurs Jérôme Carrait, administrateur principal de la DG justice de la Commission européenne, Dean Beagle, assistant director of policy, insolvency service du ministère de la Justice britannique, et Alexander Hornemann, rédacteur au ministère de la Justice fédéral allemand, avaient ainsi fait le déplacement pour participer aux deux tables rondes organisées. Pour la première animée par Patrick Rossi et consacrée à la coopération, se sont joints à eux, le professeur Yves Chaput (Paris I), le président Jean-Bertrand Drummer, (Conférence générale des juges consulaires de France), le président Marc Sénéchal, Mandataire judiciaire, (CNAJMJ) et Maître Marc André, mandataire judiciaire, ainsi que Mme Lorquin, intervenant pour le bureau du droit de l'entraide civile et commerciale internationale de la DACS. La seconde table ronde, animée par le professeur Roussel Galle Etait consacrée à la coopération. Aux côtés de Messieurs Carrait, Beagle et Hornemann, Madame le professeur Natalie Friser (Université de Nice - Sophia Antipolis), un magistrat de la DACS, M. Patrick Martowicz du bureau du droit processuel et du droit social, Monsieur Yves Lelièvre, président du tribunal de commerce de Nanterre, et Maître Hélène Bourbouloux, administrateur judiciaire ont fait part de leurs analyses et réflexions. Enfin, Laurence-Caroline Henry, professeur à l'Université de Bourgogne (CREDIMI) et Jean-Luc Vallens, professeur associé à l'université de Strasbourg et président de chambre de la cour d'appel de Colmar, ont conclu par une synthèse prospective les travaux devant une assistance nombreuse et passionnée.

Après une allocution de Monsieur Laurent Vallée, directeur des Affaires civiles et du sceau, et l'accueil de Monsieur le professeur Dominique Legeais, professeur à Paris Descartes et directeur du CEDAG, le Professeur Philippe Roussel Galle a introduit les débats en regrettant d'une part, le manque d'uniformisation des droits matériels de l'insolvabilité au sein de l'Union et d'autre part, le fait que la proposition de mettre en place une procédure européenne à l'image de la société européenne n'ait pas été retenue, tout en concédant qu'il s'agissait là de propositions très audacieuses.

Étant donné que la possibilité d'ouvrir plusieurs procédures à l'encontre d'un même débiteur dans plusieurs États subsiste, il convient de s'interroger sur leur articulation. La même nécessité apparaît pour les procédures ouvertes à l'égard de sociétés d'un même groupe, ce d'autant que les groupes de sociétés, même s'ils ne sont pas évoqués par le règlement, sont, de fait, son champ d'application essentiel. Dès lors, la coopération et même la coordination entre plusieurs procédures paraissent fondamentales.

Coopérer c'est agir ensemble, alors que coordonner c'est agencer des éléments pour obtenir un ensemble cohérent, un résultat déterminé, a-t-il été rappelé. La coopération et la coordination sont des notions complémentaires, la coopération pouvant apparaitre comme la première étape pour coordonner. Si la coopération existe déjà, sans doute doit-elle être renforcée et précisée, et peut-être ne pas se limiter aux syndics, en intéressant également les juridictions. Elle soulève néanmoins des questions de procédure et des questions de droit substantiel, et la difficulté serait aggravée si cette coopération devait être renforcée, voire aller jusqu'à une coordination.

1. La coopération

Le règlement impose aux syndics des procédures principales et secondaires un devoir d'information et de « coopération », l'idée sous-jacente étant que la procédure secondaire doit servir les intérêts de la procédure principale. Par conséquent, l'une prévaudrait sur l'autre. Autrement dit, on peut parler d'une « hiérarchisation » dans le traitement des procédures d'insolvabilité. Le nouveau règlement reprendra cet aspect, mais il y a lieu d'apporter certaines précisions.

Tout d'abord, le texte actuel ne détaille pas les dispositions relatives à la coopération entre syndics. Des protocoles ont parfois été mis en place entre syndics, c'est-à-dire des conventions organisant les rapports entre les syndics des différentes procédures ouvertes. Ces accords ne peuvent générer des normes nouvelles. Dès lors se pose la question du cadre éventuel de leur homologation judiciaire.

Il a également été relevé que le CNAJMJ avait signé des conventions avec les praticiens des procédures collectives d'autres États et notamment l'Italie et l'Espagne, pour élaborer une sorte de guide de bonnes pratiques.

Le renforcement de la coopération entre syndics semble effectivement essentiel, et le sera d'autant plus si la procédure secondaire n'est plus nécessairement liquidative mais peut être une procédure de redressement, comme devrait le prévoir le règlement révisé. La nécessité d'une coopération s'imposera également lorsqu'il s'agira de traiter des différentes entités d'un groupe relevant de plusieurs procédures principales.

Dans la mesure où tous les États membres semblent d'accord sur le principe de coopération, la discussion a porté sur les modalités de sa mise en œuvre.

Elle s'est rapidement déplacée sur l'un des objectifs les plus ambitieux et complexes de la révision du règlement européen : la réécriture de l'article 31 du règlement afin de rendre obligatoire la coopération entre tribunaux. Cette idée, reprise dans les documents rendus publics de la Commission, n'est pas vraiment nouvelle, les législateurs allemand, polonais et néerlandais l'ayant instaurée auparavant au sein de leur ordre juridique. Cette coopération peut aussi s'inspirer de la loi modèle de la CNUDCI. Plusieurs propositions ont été formulées : un devoir d'information par écrit aux syndics et au tribunal de la procédure principale préalablement à l'ouverture d'une procédure secondaire ; une interdiction de valider la procédure secondaire sans prévenir la juridiction de la procédure principale. Ou encore, laisser aux syndics de la procédure principale un droit de veto concernant la procédure secondaire, son ouverture dépendrait alors de la volonté des syndics de la procédure principale.

Pour mettre en place la coopération obligatoire, l'exemple du Réseau européen de la concurrence (REC) a été évoqué, avec cet espoir que l'on pourrait s'acheminer vers la mise en place d'un véritable droit européen de l'insolvabilité. Il a été rappelé qu'il existe déjà des structures de coopération récentes, comme le RJECC (réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale), qui pourraient accueillir une telle évolution.

La mise en place d'une coopération obligatoire pourrait tirer les enseignements de systèmes de coopération existant déjà entre États dans d'autres domaines, telle que celle instaurée par la Convention de la Haye de 1980, relative au déplacement illicite d'enfants. Ce système n'instaure pas une coopération directe entre les juges mais une coopération par l'intermédiaire des administrations centrales.

Les échanges ont mis en lumière les difficultés posées par le principe d'une coopération obligatoire entre les juridictions. Ces problèmes pratiques ou plus fondamentaux se retrouvent avec plus de force encore si l'on évoque cette fois la coordination.

2. De la coopération à la coordination                 

La coordination paraît une idée intéressante dans le cadre des procédures principales et secondaires mais elle peut également être envisagée, tout comme la coopération, dans des procédures parallèles, c'est-à-dire des procédures principales ouvertes à l'encontre de sociétés d'un même groupe. Cela permettrait notamment l'alignement des procédures afin de maximiser les résultats du groupe, diminuer les coûts pour les créanciers et éviter des conflits.

Reste à savoir comment mettre en œuvre cette coordination et en particulier si la coordination des décisions entre les tribunaux devrait être obligatoire. Le représentant du Ministère de la justice allemande a décrit les projets actuellement en préparation en Allemagne, qui laisseraient la place à une règle optionnelle de coordination d'un tribunal avec un autre et à la possibilité pour le tribunal coordinateur de nommer un administrateur.

En droit européen, se pose la question de savoir sur quoi le texte du règlement peut porter précisément. Celui-ci ne peut tout prévoir dans les détails, à cause du principe de subsidiarité.

Le système ne peut pourtant reposer sur le concept de coordination spontanée ; en effet celle-ci doit être rendue obligatoire pour maximiser l'efficience de la procédure. La coordination doit être fondée sur la confiance mutuelle qui repose sur des textes qui seront introduits dans le règlement et non uniquement sur les protocoles qui ne sont pas appliqués uniformément par les États. En outre, il a été observé qu'un système de coordination efficace nécessitait une publicité organisée des décisions d'ouverture, au niveau de l'Union, élément essentiel qui fait pourtant défaut.

Il existe différents degrés dans la coordination, celle-ci peut se limiter à la coordination informative c'est-à-dire celle qui consiste simplement en un échange d'informations coordonnées mais elle peut aller plus loin en attribuant la totalité des différends à une seule juridiction, ce qui paraît toutefois difficilement concevable puisque l'intérêt supérieur de l'entreprise est souvent un intérêt local. Il est nécessaire alors de renforcer la coordination entre les syndics et les magistrats pour éviter une vision trop liquidative de la procédure et il faut également créer une coordination entre avocats. La coordination qui recherche une solution coordonnée de redressement concerne donc tant des questions de procédures que des questions substantielles.

Cependant, il existe plusieurs limites à la mise en place d'une coordination judiciaire. La première difficulté résulte de l'indépendance des juridictions. En effet, le principe constitutionnel d'indépendance du juge semble constituer un cadre contraignant pour l'idée de coordination. Il est exclu que la décision prise par un juge puisse s'imposer à son homologue d'un autre État membre. La création d'une coordination entre les juges sera donc nécessairement difficile.

De surcroît, il ne faut pas occulter les problèmes pratiques, liés à la barrière de la langue, à la complexité des législations en cause, et au respect nécessaire de l'ordre public de chaque État. S'impose également le respect des principes directeurs du procès civil. En vertu de l'exigence d'un débat oral et contradictoire, les échanges d'informations ne peuvent pas se faire sans que les parties puissent en débattre. Or, il est difficilement concevable que les juges échangent des informations sans que les parties en vérifient la teneur et la véracité. En outre, d'autres limites à l'échange d'informations entre juridictions viennent s'ajouter telles que le secret des correspondances, et les répercussions financières de la coordination.

De nombreuses questions restent donc en suspens, et si le règlement européen n'est pas en mesure de répondre à toutes, il appartiendra alors aux droits internes et à la pratique de le faire.