Recouvrement de créances par des professionnels contre des consommateurs : attention à la prescription biennale

Sous quel délai un professionnel peut-il agir en recouvrement de sa créance contre un consommateur ?

Afin de protéger les consommateurs dans leurs rapports avec les professionnels,  l’article L.218-2 du Code de la consommation instaure un délai de deux ans pour agir.

Ce bref délai est souvent ignoré, tant des consommateurs que des professionnels.

 

1. Le délai de deux ans

En droit commun, le délai de prescription pour recouvrer une créance est de cinq ans, en vertu de l’article 2224 du Code civil (créance entre deux particuliers par exemple). Il est de même durée pour une créance née entre commerçants ou à l’occasion d’actes de commerce, en vertu de l’article L.110-4 du Code de commerce.

En revanche, pour le professionnel face à une personne ayant la qualité de consommateur, la prescription est abrégée à deux ans en vertu de l’article L.218-2 du Code de la consommation qui prévoit que « l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ».

Pour rappel, le consommateur est défini comme toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole[1].

S’agissant des personnes morales, elles ne peuvent pas se prévaloir de ce délai de prescription de deux ans, quand bien même elles n’agissent pas à des fins professionnelles.

Les créanciers professionnels concernés sont divers, le point essentiel étant qu’ils aient conclu un contrat avec un consommateur. Cela peut être un prêteur en matière de crédit à la consommation ou de prêt immobilier, une entreprise qui réalise des travaux, un vendeur de matériaux ou de biens divers, un avocat…

Ainsi, l’action en recouvrement d’un professionnel, qui trouve son origine dans un contrat de vente ou de prestation de services conclu avec un consommateur – il s’agira très communément de recouvrer des factures impayées - doit être introduite dans un délai de deux ans.

A défaut, le professionnel pourra se voir opposer une fin de non-recevoir tenant à la prescription[2], et verra son action en paiement rejetée par la juridiction qu’il aura saisie.

Il s’agit d’une règle d’ordre public dont il n’est pas permis de déroger par une clause du contrat.

Il convient également de préciser qu’en revanche, le consommateur qui souhaite agir contre le professionnel, bénéficie de la prescription quinquennale de droit commun.

 

2. Le droit de départ

Communément, en vertu de l’article 2224 du Code civil, le point de départ du délai de prescription se situe au « jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action ».

En pratique, le point de départ va différer en fonction du type de contrat conclu.

Ainsi, à l'égard d'une dette payable par termes successifs, un prêt par exemple, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance.

Dans cette hypothèse, l'action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.[3]  

Concernant l’action en paiement des honoraires d’un avocat, le point départ sera la date à laquelle le mandat de celui-ci a pris fin [4].

Récemment une évolution jurisprudentielle est intervenue en matière de recouvrement de factures liées à l’exécution de travaux.

Pendant longtemps, la première chambre civile de la Cour de cassation considérait que le point de départ de ce délai de deux ans correspondait à la date d’établissement de la facture par l’entrepreneur[5].

En 2021, la première chambre civile a opéré un revirement de jurisprudence, en s’alignant sur la jurisprudence de la chambre commerciale[6], estimant qu’ « afin d'harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d'exercer son action, laquelle peut être caractérisée par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations »[7].

Cette jurisprudence a été confirmée récemment, par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, qui a également retenue qu’afin « d'harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, il y a lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d'exercer son action, laquelle est caractérisée, hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement, par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations, cette circonstance rendant sa créance exigible »[8].

 

3. L’interruption de la prescription

Il existe certaines causes d’interruption de la prescription[9] : reconnaissance par le débiteur du droit du créancier (reconnaissance de dette par exemple), introduction d’une action en justice (même en référé) ou acte d’exécution forcée.

Il convient cependant de garder à l’esprit qu’une simple demande de paiement, même si elle est matérialisée par l’envoi d’une lettre de mise en demeure adressée au débiteur en recommandé avec avis de réception, ne permet pas d’interrompre la prescription.

Il en va de même pour la tenue d’une expertise amiable (organisée par l’assureur d’une partie par exemple), qui n’interrompt pas la prescription contrairement à une expertise judiciaire.

Attention également, le dépôt d’une requête en injonction de payer n’interrompt pas la prescription. Seule la signification de l’ordonnance rendue vaut citation en justice et interrompt à ce titre la prescription[10].

 


[1] Article liminaire du Code de la consommation

[2] Article 122 du Code de procédure civile

[3] Cass civ. 1re, 11 févr. 2016, n°14-27.143

[4] Cass. civ. 2e, 26 oct. 2017, no 16-23.599 ; Cass. civ. 2e, 4 oct. 2018, no 17-20.508

[5] Cass. 1ère civ., 3 juin 2015, n°14-10.908 ; Cass. 1ère Civ., 9 juin 2017, n° 16-12.457

[6] Cass. Com., 26 février 2020,  n°18-25.036

[7] Cass. 1ère civ., 19 mai 2021, n°20-12.520

[8] Cass. civ. 3e, 1er mars 2023, n°21-23.176

[9] Articles 2240 et suivants du Code civil

[10] Cass. civ. 1re, 10 juill. 1990, n°89-13.345 ; Cass. com. 23 mai 2000, n°97-17.512 ; Cass. civ. 1re, 11 févr. 2010, n°08-18.802