La pandémie liée au virus COVID-19 place de nombreux emprunteurs en situation difficile. Qu’ils soient salariés en chômage partiel ou indépendants (artisans, commerçants ou professions libérales), le confinement et l’arrêt forcé de nombreuses activités a des conséquences économiques directes sur leurs ressources.

Ils seront donc nombreux à ne pas pouvoir faire face, au moins temporairement, à leurs échéances de crédit qu’il s’agisse de crédits immobiliers personnels comme professionnels ou de crédits à la consommation.

Cependant, plusieurs solutions peuvent être envisagées, et notamment à l’aune de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période et des Circulaires prises en application des dispositions la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19.

 

  • L’information et la négociation préalable avec le banquier, avant tout incident de paiement

Il est indispensable d’informer son banquier avant que l’incident de paiement se produise et que l’échéance de prêt soit rejetée pour défaut de provision. En effet, cette information préalable permettra peut-être d’éviter des frais d’incident de paiement (qui sont généralement assez élevés) et en tout état de cause de montrer à l’établissement bancaire que l’emprunteur a pris la mesure de la situation et qu’il souhaite anticiper les difficultés et trouver une solution.

Il faut en tout état de cause éviter à tout prix la résiliation anticipée du prêt même si les dispositions spéciales liées au COVID 19 empêchent les établissements bancaires de le faire pendant un certain temps (voir ci-dessous).

Il est nécessaire d’écrire au banquier pour exposer la situation, lui indiquer que la prochaine échéance de crédit sera impayée et l’interroger sur les solutions à envisager. Il ne faut pas hésiter à lui exposer sans détour la situation économique, lui fournir les documents justificatifs (bulletin de salaire, budget prévisionnel, etc…).

A ce jour, certains établissements de crédits ont décidé d’accorder d’office ou sur demande motivée la suspension des échéances de prêts pendant 6 mois. Cette suspension ne porte en général que sur le remboursement du capital et parfois des intérêts, l’emprunteur devant continuer de rembourser son assurance ce qui est indispensable.

  • Les dispositions contractuelles du contrat de crédit

Si aucun accord n’est trouvé ou aucune disposition spécifique prise par la banque, la solution se trouve parfois dans les conditions générales du contrat de crédit. Cela concerne principalement les crédits immobiliers qu’ils soient professionnels ou personnels.

D’abord, le contrat de crédit peut contenir une clause de modulation des échéances du crédit à la hausse comme à la baisse. Ainsi, au bout d’une certaine durée d’amortissement du prêt, il est possible de solliciter la modulation des échéances à la baisse assortie généralement d’une durée maximale. Cela signifie que le crédit ne peut être prolongé par exemple plus de 60 mois supplémentaires. L’exercice de cette faculté peut être gratuit ou facturé par la banque.

Ensuite, le contrat de crédit peut contenir une clause d’aménagement des échéances qui permet d’obtenir généralement le report des échéances au bout d’une certaine période d’amortissement (généralement 12 mois). Cette suspension est souvent limitée au montant du capital, les intérêts et les cotisations d’assurance devant continuer à être versés. Cette demande doit respecter certaines formalités (demande écrite, dans un certain délai) et le report ne peut généralement pas être inférieur à trois mois et supérieur à six mois. Cette faculté peut être exercée une ou plusieurs fois au cours de la vie du prêt mais le total des demandes ne doit pas dépasser un certain délai de report (par exemple 12 mois en tout de report).

Si le banquier accepte l’exercice de cette faculté, il devra communiquer à l’emprunteur le nouveau tableau d’amortissement comprenant ce report. L’exercice de cette faculté peut être gratuit ou facturé par la banque.

 

  • Le report non sanctionné de certaines échéances de prêt du fait de l’Ordonnance du 25 mars 2020 faisant suite à la loi d’urgence sanitaire

L’article 4 de l’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période prévoit que : « Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er (= fin de l’urgence sanitaire + 1 mois). Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de cette période si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme. Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er. »

Par ailleurs, la circulaire donne justement l’exemple d’un contrat de prêt et dispose que : « Un contrat de prêt prévoit des remboursements chaque 20 du mois ; le contrat contient une clause permettant au prêteur de prononcer la déchéance du terme en cas de défaut de remboursement d’une mensualité. Si le débiteur ne rembourse pas l’échéance du 20 mars, le prêteur ne pourra pas prononcer la déchéance du terme. Il le pourra de nouveau si l’échéance n’a toujours pas été remboursée un mois après la fin de la période juridiquement protégée prévue à l’article 1er de l’ordonnance, soit dans les deux mois suivant la cessation de l’état d’urgence. »

En clair, cela signifie que si une échéance du prêt est impayée entre le 12 mars 2020 et la fin de la période sanitaire + 1 mois, l’établissement bancaire ne pourra pas prononcer la déchéance du terme avant la fin de la période sanitaire + 2 mois. Il faudra cependant rembourser avant cette date afin d’éviter la résiliation.

Exemple : L’emprunteur ne règle pas les échéances du mois de mars et du mois d’avril 2020 exigibles le 15 du mois. La fin de la période sanitaire est fixée au 4 mai 2020. L’emprunteur aura jusqu’au 4 juillet 2020 pour rembourser ses échéances sans que l’établissement bancaire puisse faire jouer la clause de résiliation anticipée du prêt. Il semble aussi que si une échéance est impayée au mois de mai, elle pourra aussi être remboursée au plus tard avant le 4 juillet 2020 et ne pourra pas fonder la résiliation anticipée du prêt.

 

  • Le report judiciaire des échéances de prêt

L’article 1343-5 du Code civil dispose que : « Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital. Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette. La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge. Toute stipulation contraire est réputée non écrite. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment. »

Dans le même sens et s’il s’agit d’un crédit immobilier souscrit par un consommateur (donc à l’exclusion des professionnels) l’article L. 314-20 prévoit que : « L'exécution des obligations du débiteur peut être, notamment en cas de licenciement, suspendue par ordonnance du juge des contentieux de la protection dans les conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil. L'ordonnance peut décider que, durant le délai de grâce, les sommes dues ne produiront point intérêt. En outre, le juge peut déterminer dans son ordonnance les modalités de paiement des sommes qui seront exigibles au terme du délai de suspension, sans que le dernier versement puisse excéder de plus de deux ans le terme initialement prévu pour le remboursement du prêt ; il peut cependant surseoir à statuer sur ces modalités jusqu'au terme du délai de suspension. »

En effet, si toutes les solutions précédemment exposées ne fonctionnement pas il est possible de saisir le Juge des Contentieux de la Protection du Tribunal Judiciaire (pour les consommateurs), le Tribunal Judiciaire ou le Tribunal de Commerce pour les commerçants afin de solliciter des délais de paiement.

Devant le Juge des Contentieux de la Protection du Tribunal Judiciaire, la demande pourra être formée par simple requête dans laquelle il faudra, en dehors des mentions obligatoires, préciser les motifs et fournir les justificatifs de la situation financière de l’emprunteur et de son foyer (Modèle en ligne sur le site du ministère de la justice : https://www.formulaires.service-public.fr/gf/cerfa_16041.do).

Il est aussi possible de procéder par voie d’assignation ce qui permet généralement d’obtenir une date d’audience plus proche et de se faire assister par un Avocat qui procédera à la rédaction de l’assignation. A ce jour, les juridictions traitant de ce contentieux ne sont pas ouvertes et le dossier ne sera donc pas fixé dans l’immédiat.

Si le juge estime que la demande de l’emprunteur est fondée et suffisamment justifiée, il pourra accorder, selon la situation, un délai de 24 mois au maximum en reportant les échéances de prêt ou en accordant un échelonnement, par exemple pour les échéances impayées en complément des échéances courantes. Il pourra aussi décider que le taux applicable sera le taux d’intérêt légal si le taux d’intérêt du contrat de prêt est bien évidemment supérieur (le taux d’intérêt légal au 1er semestre 2020 est de 3,15 %). L’avantage de cette demande est qu’elle peut être réalisée pour plusieurs crédits de manière simultanée.

La crise économique due à la crise sanitaire actuelle est sans précédent et les établissements bancaires sont exposés, tout comme leurs clients. Ils doivent soutenir les personnes et les sociétés en difficulté tout en se protégeant d’une augmentation exponentielle et brutale des impayés qui serait trop difficile à supporter.

Me Anne PORTIER - Avocat au Barreau de LYON -