Interview de Maître Annie KOSKAS du 10 avril 2020 sur Lexradio
Selon l’article 373-2 du Code civil, « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent »
Mais pour exercer cette autorité parentale, lorsqu’ils ne vivent pas sous le même toit, cela implique des déplacements. Pendant cette crise sanitaire, le Législateur a anticipé cette situation et les parents sont autorisés à circuler s’ils sont munis d’une attestation faisant apparaitre l’objet de déplacement suivant « pour motif familial impérieux, pour l’assistance aux personnes vulnérables ou la garde d’enfant »
Plusieurs questions pratiques se posent quant à l’exercice de l’autorité parentale pendant le confinement et Maître Annie KOSKAS, ancien Bâtonnier du Barreau du Val de Marne et avocate en droit de la famille, apporte quelques éléments de réponse.
Question : Pendant cette période, les parents peuvent-ils se mettre d’accord pour modifier les conditions d’exercice de l’autorité parentale fixées par jugement ?
Maitre Annie KOSKAS : Les parents sont toujours souverains dans le cadre des décisions qu’ils prendront à l’égard de leurs enfants. La décision du Juge est subsidiaire par rapport à un accord de parents qui sont capables de s’entendre. Il n’existe aucune difficulté à ce que les parents prennent des décisions qui contreviennent aux dispositions prises par le Juge. Bien évidemment, je ne parle pas des dispositions prises lorsque l’enfant est en danger, mais j’évoque les décisions prises dans le cadre des résidences alternées et du droit de visite et d’hébergement.
Si les parents se mettent d’accord sur un autre rythme, personne ne viendra leur discuter ce droit. A fortiori, en cette période de confinement, il est toléré et même souhaité que les parents se mettent d’accord pour tenter de limiter les déplacements. Cet accord peut être formalisé par un mail, un échange de SMS qu’on pourra présenter au Juge en cas de difficulté.
Il faut rappeler que le jugement est un cadre qui s’applique notamment en cas de désaccord des parents et cette subsidiarité est d’ailleurs toujours rappelée dans les jugements rendus par les Juges aux affaires familiales.
Question : Est-il recommandé que cet accord soit formalisé par écrit ?
Maitre Annie KOSKAS : Oui c’est recommandé car après la période de confinement, il peut y avoir des difficultés. C’est pourquoi je préconise au moins un échange de SMS.
Question : S’agissant d’un droit de visite prévu dans un lieu de rencontre neutre, le parent peut-il invoquer une impossibilité matérielle d’exécution puisque les lieux publics sont fermés pendant la période de confinement ?
Maitre Annie KOSKAS : Bien sûr, si le droit de visite de l’un des deux parents se déroule dans un lieu neutre, c’est qu’il existe une difficulté. En effet, le Juge a pu considérer que l’enfant ne devait pas être seul longtemps avec son parent. Ces visites sont nécessairement encadrées. Cependant, si les parents sont d’accord, on pourrait envisager que l’enfant voit le parent en présence d’un tiers en respectant les mesures-barrière ce qui complique nettement les choses. Pour ma part, je vais plutôt préconiser des échanges par visioconférence ou par téléphone.
Si le Juge a ordonné des rencontres dans un lieu neutre, c’est que l’enfant peut être en danger et il ne faut alors pas l’exposer davantage.
Question : Le parent peut donc invoquer une impossibilité matérielle d’exécution ?
Maitre Annie KOSKAS : Totalement, le parent ne pourra se le voir reprocher ultérieurement par le Juge.
Question : Concernant le passage de bras - c’est comme ça qu’on appelle le moment ou l’enfant est confié à l’autre parent - si le passage de bras se faisait également dans ces lieux dédiés et donc fermés. Que recommandez-vous, je pense précisément aux situations avec des ex-conjoints violents ?
Maitre Annie KOSKAS : Le conseil que je peux donner pour le passage de bras dans les situations conflictuelles est que ces passages de bras aient lieu comme au bon vieux temps devant les commissariats, devant les gendarmeries, devant les mairies ouvertes, devant les pharmacies qui sont devenues des lieux de signalement, dans des lieux publics ouverts pour éviter que les femmes qui pourraient subir des violences ne soient exposées lors des passages de bras.
Question : Si l’un des parents venait à contracter le covid-19, cette personne, contaminée, peut-elle, passer son tour dans la garde pendant 15 jours pour éviter de le transmettre et ainsi préserver la santé de son enfant et celle de l’autre parent ? Cette personne risque-t-elle des poursuites ?
Maitre Annie KOSKAS : Il va falloir faire preuve de bon sens. Nous ne sommes pas dans un cadre juridique mais dans un cadre de survie et de préservation de la santé de chacun. Évidemment, il est souhaitable qu’un parent malade passe son tour et il faut que l’autre parent le comprenne même si ce n’est pas sa période d‘accueil.
Ces situations surviennent même en dehors de la crise sanitaire que nous vivons. En effet, lorsqu’un parent est atteint d’une maladie grave, l’autre parent prend en charge son enfant. S’il ne le fait pas, l’enfant sera confié à un tiers de confiance. On ne pourra jamais reprocher à un parent malade de passer son tour car la maladie est un cas de force majeure.
Il est vraiment souhaitable que les parents trouvent un accord sur ce point car l’enfant sera déjà particulièrement anxieux de cette situation et il est important qu’il soit accueilli dans les meilleurs conditions par le parent qui n’est pas malade.
Question : Sur le plan pénal, le confinement peut-il constituer un fait justificatif concernant le délit de non représentation d’enfant ?
Maitre Annie KOSKAS : Bien sûr et il est certain qu’il y aura une jurisprudence sur le confinement car les Juges auront beaucoup de travail à examiner les situations de fait.
Je m’aperçois, dans mes dossiers, que certains parents profitent de cette situation pour ne pas laisser l’autre parent voir l’enfant.
Les recommandations sont d’éviter que les enfants se déplacent régulièrement. Si les droits de visite sont fixés toutes les semaines ou en milieu de semaine, le parent gardien peut demander à l’autre parent son accord pour qu’il voit l’enfant moins souvent. En effet, il faut éviter de déplacer l’enfant loin et longtemps afin de limiter le risque de contagion.
Il faut impérativement que nos concitoyens mettent leur colère de côté pour limiter la contagion ce qui ne veut pas dire priver l’autre parent de son enfant et priver l’enfant de son parent. Il faudra bien évidemment faire co-exister toutes ces notions.
L’article 227-1 du Code pénal ne va pas s’appliquer systématiquement et le Juge pénal examinera la situation de fait et relaxera le parent qui n’a pas laisser son enfant voir son parent dans un contexte qui serait dangereux pour l’enfant voire même pour l’autre parent.
Question : Existe-t-il des exemples similaires dans le passé ou un tel fait justificatif avait été retenu dans le cadre d’un délit de non-représentation d’enfant ?
Maitre Annie KOSKAS : A l’évidence, ce sont des situations contraintes lorsque l’un des parents est malade. De ce fait, si l’un des parents a 40 de fièvre et qu’il ne peut conduire son enfant auprès de l’autre parent, il ne saurait lui être reproché.
Les textes de loi encadrent nos comportements et les Juges apprécient les situations au regard des faits. Les Juges sont des humains et ils comprennent parfaitement les situations d’impossibilité.
Question : Sur le plan civil, a posteriori du confinement, l’autre parent peut-il demander la modification de la résidence ou plus largement demander la modification des dispositions relatives à l’autorité parentale ?
Maitre Annie KOSKAS : Non seulement, il peut s’en servir mais il va s’en servir. Je sens bien dans les dossiers que les gens s’écrivent pour laisser des traces. Le Juge examinera ces situations. Cependant, je m’inquiète de la situation des tribunaux qui étaient déjà engorgés avant cette crise sanitaire. L’apparition de nouveaux contentieux va submerger les magistrats.
Le Juge va se référer à l’article 373-2-11 3ème alinéa du Code civil qui prévoit que celui des deux parents qui respecte le mieux l’autorité parentale de l’autre est celui qui est le plus à même de garder son enfant.
Plus clairement, il est dit que l’attitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l’autre est un critère sur lequel le Juge va se fonder pour rendre sa décision. Le Juge ne manquera pas d’examiner le comportement des deux parents pendant le confinement et ce dans l’intérêt de l’enfant.
Question : Que se passe-t-il si le parent rencontre des difficultés pour régler sa contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant ?
Maitre Annie KOSKAS : Le parent devra démontrer et expliquer ses difficultés. En effet, il ne pourra peut-être pas régler l’intégralité de la contribution car il n’aura pas eu son revenu notamment pour les entrepreneurs et les salariés. Dans ce cas, il faudra écrire en recommandé, par mail ou par SMS afin d’informer le « parent créancier » des raisons et impossibilités pour lesquelles il ne peut régler la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants. Le « parent débiteur » devra bien évidemment conserver ces éléments de preuve dans le cas où le parent serait poursuivi devant le tribunal correctionnel pour abandon de famille.
Bien évidemment, les magistrats feront des appréciations in concreto pour se prononcer dans un contexte si particulier et ne manqueront pas de repérer les gens de mauvaise foi.
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