Les ponts de la Charente-Maritime n’ont décidément pas fini de faire parler d’eux devant les prétoires.
Après la célèbre décision du Conseil d’Etat du 10 mai 1974 « Desnoyez et Chorques » concernant le pont de l’Ile de Ré, qui est venu compléter une abondante jurisprudence du Conseil d’Etat sur la question du principe d’égalité des citoyens devant les services publics et selon lequel :
« CONS. QUE LA FIXATION DE TARIFS DIFFERENTS APPLICABLES, POUR UN MEME SERVICE RENDU, A DIVERSES CATEGORIES D'USAGERS D'UN SERVICE OU D'UN OUVRAGE PUBLIC IMPLIQUE, A MOINS QU'ELLE NE SOIT LA CONSEQUENCE NECESSAIRE D'UNE LOI, SOIT QU'IL EXISTE ENTRE LES USAGERS DES DIFFERENCES DE SITUATION APPRECIABLES, SOIT QU'UNE NECESSITE D'INTERET GENERAL EN RAPPORT AVEC LES CONDITIONS D'EXPLOITATION DU SERVICE OU DE L'OUVRAGE COMMANDE CETTE MESURE ;
CONS., D'UNE PART, QU'IL EXISTE, ENTRE LES PERSONNES RESIDANT DE MANIERE PERMANENTE A L'ILE DE RE ET LES HABITANTS DU CONTINENT DANS SON ENSEMBLE, UNE DIFFERENCE DE SITUATION DE NATURE A JUSTIFIER LES TARIFS DE PASSAGE REDUITS APPLICABLES AUX HABITANTS DE L'ILE ; QU'EN REVANCHE, LES PERSONNES QUI POSSEDENT DANS L'ILE DE RE UNE SIMPLE RESIDENCE D'AGREMENT NE SAURAIENT ETRE REGARDEES COMME REMPLISSANT LES CONDITIONS JUSTIFIANT QUE LEUR SOIT APPLIQUE UN REGIME PREFERENTIEL ; QUE, PAR SUITE, LES REQUERANTS NE SONT PAS FONDES A REVENDIQUER LE BENEFICE DE CE REGIME ;
CONS., D'AUTRE PART, QU'IL N'EXISTE AUCUNE NECESSITE D'INTERET GENERAL, NI AUCUNE DIFFERENCE DE SITUATION JUSTIFIANT QU'UN TRAITEMENT PARTICULIER SOIT ACCORDE AUX HABITANTS DE LA CHARENTE-MARITIME AUTRES QUE CEUX DE L'ILE DE RE ; QUE LES CHARGES FINANCIERES SUPPORTEES PAR LE DEPARTEMENT POUR L'AMENAGEMENT DE L'ILE ET L'EQUIPEMENT DU SERVICE DES BACS NE SAURAIENT, EN TOUT ETAT DE CAUSE, DONNER UNE BASE LEGALE A L'APPLICATION AUX HABITANTS DE LA CHARENTE-MARITIME D'UN TARIF DE PASSAGE DIFFERENT DE CELUI APPLICABLE AUX USAGERS QUI RESIDENT HORS DE CE DEPARTEMENT ; QUE, PAR SUITE, LE CONSEIL GENERAL NE POUVAIT PAS LEGALEMENT EDICTER UN TARIF PARTICULIER POUR LES HABITANTS DE LA CHARENTE-MARITIME UTILISANT LE SERVICE DE BACS POUR SE RENDRE A L'ILE DE RE ; QUE, PAR VOIE DE CONSEQUENCE, LES SIEURS Y... ET X... NE SAURAIENT UTILEMENT SE PREVALOIR DES DISPOSITIONS ILLEGALES DU TARIF DES PASSAGES POUR EN DEMANDER LE BENEFICE ; QU'ILS NE SONT, DES LORS PAS, SUR CE POINT, FONDES A SE PLAINDRE QUE, PAR LES JUGEMENTS ATTAQUES, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE POITIERS A REJETE LEURS REQUETES ; »
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000007643192
C’est désormais au Conseil Constitutionnel de se pencher sur la délicate question de la tarification du passage des véhicules sur le pont, cette fois-ci, de l’ile d’Oléron.
La Question Prioritaire de Constitutionnalité (article 61-1 de la Constitution) posée par l’Association pour la gratuité du Pont de l’Ile d’Oléron au Conseil Constitutionnel était la suivante :
L’article L.321-11 du Code de l’Environnement dans sa rédaction résultant de la loi n°2013-403 du 17 mai 2013 est-il conforme aux droits et libertés fondamentales protégés par la Constitution de la Vème république.
1. Tout d’abord pourquoi l’Association pour la Gratuité du Pont de l’Ile d’Oléron a-t-elle saisi le Conseil Constitutionnel ?
La requérante souhaite en l’espèce que la décision administrative créant le droit de passage litigieux soit retirée de l’ordonnancement juridique.
Elle doit donc pour cela saisir le Tribunal Administratif dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir afin que ladite décision soit annulée.
Elle pourra alors avancer plusieurs moyens juridiques devant la juridiction, et de ce fait soulever l’illégalité de l’acte contesté.
Il existe cependant une autre possibilité pour obtenir un résultat similaire.
Parallèlement à la saisine du Tribunal Administratif, elle peut engager une action tendant à faire annuler la base légale de la décision sur le fondement des dispositions de l’article 61-1 de la Constitution, dite Question Prioritaire de Constitutionnalité.
Par cet intermédiaire, la requérante saisit le Conseil Constitutionnel et demande si une disposition législative est bien conforme avec les droits et libertés protégés par la Constitution.
Le Conseil Constitutionnel examine alors la question et prend une décision circonstanciée et motivée.
Si celui-ci décide que les dispositions contestées sont contraires à la Constitution, alors il pourra les déclarer inconstitutionnelles, et les retirer de l’ordonnancement juridique.
La décision mettant en place le droit de passage sur le pont de l’ile d’Oléron pourrait donc être privée de sa base légale.
Dès lors, tel un château de carte, si la décision n’a plus de base légale, elle devient de facto illégale.
2. Maintenant, que nous dit l’article L.321-11 du Code de L’Environnement ?
Celui–ci précise que pour ce qui concerne les ouvrages d’art reliant le continent et une île, peut-être institué un droit départemental de passage pour chaque véhicule terrestre à moteur l’empruntant.
Ce droit de passage est mis en place à la fois pour l’entretien de l’ouvrage, mais également pour financer des mesures de protection et de gestion des espaces naturels insulaires.
Il doit être noté ici, que cet article reprend à son alinéa 8, la logique juridique établie par la jurisprudence « Denosyez et Chorques » ci-avant expliquée.
C’est donc en toute logique sur cet article du Code de l’Environnement que l’ensemble des Collectivités Territoriales concernées ont fondé leur décision.
3. Qu’en pense le Conseil Constitutionnel ?
Les deux moyens principaux sont les suivants :
Concernant la question liée à la méconnaissance de ces dispositions avec le principe d’égalité devant les charges publiques, le Conseil décide d’écarter l’argumentation de l’Association en précisant :
« Par conséquent pour déterminer les conditions de modulation du montant du droit départemental de passage le législateur s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. »
Concernant la question liée à la méconnaissance de la liberté d’aller et venir des alinéas 4 et 8 de l’article L.321-11 du Code de l’Environnement, la Haute Juridiction précise qu’ils sont conformes à la Constitution, puisque le montant envisagé n’est pas excessif et qu’il ne concerne que les Véhicules Terrestres à Moteur, non les autres modes de déplacement.
En conclusion, il n’y a aucune inconstitutionnalité et désormais seules les juridictions administratives sont en mesure d’annuler ou de confirmer la décision mettant en place ce droit de passage.
Aurélien Boulineau
Avocat - Cabinet Océanis-Avocats
http://oceanis-avocats.com
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