Article LE MONDE, de Jean Michel Bezat

La "fée électricité" à un brillant avenir devant elle, notamment en raison du développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication et d'un impératif climatique : réduire les émissions de gaz à effet de serre. C'est la certitude affichée par les industriels du secteur regroupés au sein de l'Union française de l'électricité (UFE) qui compte dans ses rangs des poids lourds comme EDF et GDF Suez, mais aussi des entreprises de taille moyenne comme Direct Energie.

Dans sa "contribution" au débat national sur l'énergie en cours, rendue publique mardi 22 octobre, l'UFE souligne d'emblée le "bon bilan" carbone de la France et même "une avance dans la lutte contre le changement climatique" par rapport à ses voisins, notamment l'Allemagne. Ce combat contre le réchauffement climatique doit d'ailleurs être "la priorité" de la politique européenne de l'énergie, juge-t-elle. Sans citer l'importance du nucléaire, les électriciens français rappellent qu'avec l'hydraulique, il donne un "avantage concurrentiel" à la France, où le prix du courant est 50 % moins cher que celui de la moyenne des pays européens membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques.

DÉVELOPPEMENT INCONTRÔLÉ DE L'ÉOLIEN ET DU SOLAIRE

Il n'est pas étonnant que l'UFE reprenne les mises en garde des patrons de dix des plus grandes compagnies d'énergie européennes (E.ON, GDF Suez, RWE, ENI, ENEL, Iberdrola...) sur le développement incontrôlé de l'éolien et du solaire sur le Vieux Continent. Le développement des énergies renouvelables, prévient-elle, "doit être adapté au rythme d'évolution de la demande", alors qu'il progresse très rapidement dans une Europe où la consommation d'électricité stagne. Ainsi les énergies renouvelables, lourdement subventionnées, ont-elles contribué à la hausse de la facture des consommateurs français à travers le poids grandissant de la contribution au service public de l'électricité payée par les clients et par EDF. L'UFE souligne que la politique énergétique doit, au contraire, "privilégier la rationalité économique". Sans sacrifier pour autant l'impératif climatique.

A ceux qui veulent réduire drastiquement la part du nucléaire en France, où il assure près de 80 % de la production d'électricité, l'UFE prévient : "Il faut que l'évolution du mix électrique soit conçu dans une logique de coût/efficacité" et "en capitalisant sur les moyens existants". En clair, les 58 réacteurs nucléaires exploités par EDF et les quelque 400 barrages hydroélectriques. Ces deux outils assurent à eux seuls plus de 90% de la production électrique française en émettant très peu de CO2. En outre, EDF reste un exportateur net de courant, même si la balance est déséquilibrée à certaines périodes de l'année. La priorité doit plutôt être de réduire le chauffage au fioul, même si le chauffage électrique est déjà le plus développé en Europe. Il faut aussi repenser le transport routier. Chauffage et transports sont responsables des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre dans l'Hexagone.

"PROGRAMME DE RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT AMBITIEUX"

Dans tous les cas, les scénarios de la demande d'énergie globale à l'horizon 2050 élaborés par l'UFE indiquent une part croissante de l'électricité, alors que celle du gaz progresse plus modestement et que celle du pétrole recule nettement, notamment grâce au développement d'autres modes de transports. Il faudra encore "décarboner" l'industrie : l'UFE note, avec satisfaction, que sur les 34 plans de reconquête industrielle présentés en septembre par le gouvernement, 27 se traduiront par une consommation accrue d'électricité (énergies renouvelables, bornes de rechargement pour véhicules électriques, TGV du futur, avion électrique, objets connectés, réseaux électriques intelligents, cloud computing...). L'électricité, qui a assuré le développement économique du XXe siècle, est bel et bien, au XXIe siècle, "l'énergie de l'économie numérique" (data center, smartphones...).

C'est pourquoi le syndicats des électriciens insiste sur la nécessité d'un "soutien massif" à la recherche et à l'innovation dans les filières énergétiques actuelles et futures, comme le prévoyait le rapport sur l'innovation 2030 remis il y a quelques jours au gouvernement par Anne Lauvergeon, l'ancienne présidente du groupe nucléaire Areva. L'UFE plaide pour un "programme de recherche et développement ambitieux" dans les secteurs où les entreprises françaises ont déjà de solides atouts : nucléaire de quatrième génération, gestion intelligente des bâtiments, stockage de l'énergie, hydroliennes (qui commencent à être expérimentées au large des côtes bretonnes)...

Mais le bilan global dépendra aussi beaucoup de l'évolution de l'intensité énergétique (quantité d'énergie pour produire une unité de PIB). Elle n'a cessé de se réduire depuis les années 1970 à mesure que les moteurs s'amélioraient et que les industriels modernisaient leur outil de production pour les rendre moins énergivores. Là encore, par un recourt moins important au pétrole.

Reste une inconnue sur la demande finale d'énergie, corrélée au niveau de la croissance et aux progrès techniques. Si elle s'accroît modérément par rapport à son niveau actuel, la demande finale d'énergie baissera de 11 % à l'horizon 2050 ; si ce progrès est "extrême", la baisse atteindra 22 %. Ce qui se traduira aussi par un fort recul des émissions de gaz à effet de serre, qui doit être l'objectif majeur des gouvernants.