Principe désormais bien connu posé par l’article L.132-13 du Code des assurances, les primes versées sur un contrat d’assurance-vie échappent aux règles de rapport à la succession et de réduction, sauf si celles-ci sont considérées par le Juge comme étant « manifestement exagérées » eu égard aux facultés du souscripteur.
L’arrêt ici commenté rendu par la deuxième chambre civile le 16 décembre 2021 rappelle les trois critères classiques retenus en Jurisprudence pour apprécier cet excès manifeste à savoir : l’âge, la situation patrimoniale et familiale du souscripteur, ainsi que de l’utilité du contrat pour celui-ci.
La Cour de Cassation rappelle également au cas présent que l’appréciation s’effectue au moment du versement.
Les faits d’espèce étaient les suivants :
Une personne souscrit des assurances-vie, en désignant comme bénéficiaires au décès son fils et ses petits-enfants, puis opère une modification de clause bénéficiaire au profit d’une association reconnue d’utilité publique.
Les bénéficiaires évincés par ladite modification introduisent une action en Justice pour tenter de voir revenir les capitaux qui leur échappent.
La Cour d’appel de Paris par un arrêt du 26 novembre 2019 confirme la décision de première instance en ce qu’elle a débouté les bénéficiaires évincés et déclaré valide les avenants modificatifs.
Un pourvoi est alors formé.
Pour la Cour de cassation, l’arrêt d’appel avait pu rejeter la demande du fils et des trois petits enfants désignés bénéficiaires avant changement au profit de l’association.
En effet, la Cour d’appel a exposé dans sa décision que le souscripteur était décédé à l’âge de 76 ans, alors que les contrats avaient été souscrits aux âges respectifs de 58 et 67 ans.
Concernant l’un des contrats le montant déposé à l’ouverture était de 82 519,74€ et a progressé sans versement complémentaire substantiel pour atteindre 93 559€ avant 70 ans. S’agissant du second contrat litigieux, il a été ouvert avec un dépôt de 44 285,38€ et a atteint neuf ans plus tard 105 984,57€, puis 334 188,19€ lors du dénouement du contrat.
Il a fait l’objet d’un versement de 200 000€ après les 70 ans du souscripteur.
L’actif net de succession était de 257 346,05€ dont seulement 105 600€ en immobilier. Analysant ces données, la Cour considère que ceci permet de concevoir que le souscripteur percevait des revenus qui lui permettaient de couvrir ses besoins quotidiens tout en réglant les primes d’assurance-vie.
Elle en déduit que la situation du souscripteur n’était pas complètement obérée par les versements de primes et qu’à l’époque où ils sont intervenus leur montant n’était pas manifestement excessif au regard des facultés et des situations patrimoniales et personnelle du souscripteur.
Néanmoins, si la Cour d’appel avait pris soin de motiver les critères de l’âge et des situations personnelles et familiales du souscripteur, la Cour de cassation considère imprécise la motivation relative au critère de l’utilité du versement pour le souscripteur.
La Cour d’appel avait en effet relevé que le critère de l’utilité tenant à des fins fiscales et successorales devait être écarté puisque celui-ci s’appuyait « sur la base d’une lettre du 8 août 2005 qui était mise à mal par les informations familiales fournies ultérieurement dans le rapport médical de 2013. »
En clair, il semblerait que la Cour d’appel dans son arrêt n’ait pas suffisamment explicité en quoi ces documents de la cause permettaient de caractériser ou non une utilité.
La Cour de Cassation considère « qu’en se déterminant ainsi, sans mieux s'expliquer sur l'utilité présentée par les contrats pour le souscripteur, au moment du versement des primes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »
La Cassation était dès lors encourue, dès lors que chacun sait que ce critère d’utilité revêt une grande importance en la matière et est cumulatif avec les deux autres critères.
Apprécier l’utilité économique de la souscription revient en réalité à contrôler la motivation de la souscription, son intérêt patrimonial.
Un défaut d’utilité supposerait que la souscription du contrat soit uniquement effectuée pour la transmission de patrimoine à autrui, impliquant une soumission au régime des libéralités.
On peut aujourd’hui affirmer que l’utilité présentée par le contrat est l’élément déterminant, mais pas le seul, qui sera apprécié par le Juge, raison pour laquelle une attention particulière devra être portée à la démonstration de l’utilité pour les avocats, qui veilleront aussi à analyser la motivation retenue par les Juridictions sur ce critère précis.
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