La durée de vie commune avant le mariage est-elle un élément que le juge doit prendre en compte pour déterminer l’existence et le quantum d’une éventuelle prestation compensatoire ? La question a fait débat.

La loi prévoit que l’époux financièrement le plus favorisé peut être amené à verser à son conjoint un capital, éventuellement échelonné, pour pallier la différence existant entre eux, dans la mesure du possible.

Il n’existe nul barème et la jurisprudence concernant l’allocation de cette prestation et son montant est pléthorique.

L’article 271 du Code civil énonce les critères sur lesquels le juge doit s’appuyer pour déterminer l’existence et le quantum de cette prestation compensatoire.

La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
A cet effet, le juge prend en considération notamment :

  • la durée du mariage ;
  • l’âge et l’état de santé des époux ;
  • leur qualification et leur situation professionnelles ;
  • les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
  • le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
  • leurs droits existants et prévisibles ;
  • leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.

Le lecteur attentif du Code civil remarquera que la liste de l’article 271 du Code civil n’est pas limitative puisque l’alinéa 2 précise qu’il s’agit d’éléments que le juge devra notamment prendre en considération.

C’est au regard de cette possibilité « non limitative » que les juges se sont rapidement vu poser la question de la prise en compte ou non de la durée de la vie commune antérieure au mariage car de nos jours de nombreux couples se marient après avoir vécus ensemble, parfois très longtemps.

C’est ainsi qu’en 2006, la Cour de cassation (1ère civ. 14/03/2006 n°04-20.352) avait considéré que l’énumération de l’article 271 du Code civil n’étant pas limitative, les juges du fond pouvaient prendre en compte la durée de la vie commune antérieure au mariage pour la fixation de la prestation compensatoire.

Toutefois en 2008, revirement de jurisprudence, la Cour de cassation par un arrêt du 16 avril 2008 (Cass. civ. 1è, n°07-12.814) largement et souvent confirmé depuis, affirme que « les juges du fond n’ont pas à tenir compte de la vie commune antérieure au mariage pour déterminer les besoins et les ressources des époux. »

Juridiquement, la décision est logique et si les revirements de jurisprudence sont toujours difficiles à comprendre et à accepter pour le justiciable, cette absence de prise en compte est conforme au texte de la loi. En effet, la prestation compensatoire est issue du mariage et ne saurait en dépasser les limites en tenant compte d’éléments du couple antérieurement au choix marital.

Bien entendu, c’est ici considérer que les choix du couple ont été parfaitement éclairés et qu’ils étaient, depuis leur rencontre au fait de leurs droits et possibilités juridiques, ce qui est dans la plupart des cas un leurre, une pure fiction juridique ; c’est donc injuste mais compréhensible car un État de droit ne saurait fonctionner autrement qu’en considérant que les justiciables sont au fait de la loi, d’où l’adage bien connu « nul n’est censé ignorer la loi ».

Faut-il pour autant rayer toute mention à la vie commune antérieure au mariage lorsque l’on demande une prestation compensatoire, je ne le crois pas et ce, pour plusieurs raisons :

  • rien n’oblige les juges du fond à suivre aveuglément les décisions de la Cour de cassation, c’est d’ailleurs ainsi que les revirements de jurisprudence sont créés.
  • la loi n’oblige pas les juges à expliquer en détail leur décision et le calcul qui leur a permis d’arriver à celle-ci. Cela leur laisse donc une marge de manœuvre considérable pour tenir compte des spécificités de chaque dossier et ne pas traiter identiquement des dossiers différents. Il est donc important de leur donner tous les éléments pour statuer, ne doutons pas qu’ils sachent se saisir de cette opportunité.