Lorsque des parents reviennent sur le territoire français avec un enfant issu de la GPA, se pose rapidement le problème de la transcription de l’acte de naissance étranger à l’état civil français.
Les parents déposent la demande de transcription et les services de l’état civil des français de l’étranger (à Nantes) répondent souvent qu’ils refusent de transcrire un état civil non conforme à a réalité biologique et soutiennent que légalement en France la mère de l’enfant est censée être celle qui a accouché et qu’en conséquence tout acte d’état civil qui ferait état d’une situation différente ne peut être transcris en l’état.
Contraint par des décisions européennes, la France a toutefois dû accepter de reconnaitre la paternité biologique du parent déclaré comme tel. C’est ainsi que régulièrement nombres de couples, homosexuels comme hétérosexuels, se voient proposer une reconnaissance partielle, même si la GPA qu’ils ont faite était parfaitement légale dans le pays concerné, et même s’ils y vivent.
La Cour de Cassation a rendu en juillet 2017 divers arrêts, que j’ai commenté ici, qui laissent à penser qu’elle ouvre la porte de l’adoption et ferme celle de la transcription.
Pourtant le TGI d’Evry vient de rejeter deux demandes d’adoption dans le cadre de GPA... Et là le justiciable est perdu. Comment se fait il que le TGI d’Evry puisse rejeter ce que la Cour de Cassation avait pourtant accepté...
Ce n’est pas si simple et l’objet de cet article est justement de faire le point à ce sujet, d’expliquer, d’attirer l’attention du profane, sur ce qu’est la Jurisprudence et sa portée réelle.
Lorsque des parents reviennent avec un enfant issu de GPA et se voient proposer la transcription partielle de l’acte de naissance étranger, s’ouvrent alors à eux deux voies juridiques :
- la demande de transcription intégrale, devant le tribunal de Nantes,
- la demande d’adoption de l’enfant du conjoint, devant le tribunal du lieu de leur domicile.
La compétence territoriale des tribunaux est fixée par la Loi et le justiciable n’a pas en cette matière d’option.
Depuis les décisions de la Cour de Cassation de juillet 2017, les parents se sont sentis en terrain fiable, « puisque la Cour de Cassation le dit, je peux sans risque saisir d’une demande d’adoption, elle sera nécessairement acceptée par le tribunal ».
Et bien non et c’est justement ici que le bât blesse.
En effet, lorsqu’un tribunal rend une décision, mieux encore quand c’est la Cour de Cassation, les médias s’empressent de considérer que désormais c’est une chose acquise et pourtant... C’est oublier un peu vite le fonctionnement de la Jurisprudence.
La définition de la Jurisprudence est « l’ensemble des décisions rendues par les tribunaux et Cour »... Voilà qui en pratique ne veut pas dire grand chose...
Selon que le tribunal est petit ou non, qu’il est de première instance ou d’appel, voire si c’est la Cour de Cassation, ces décisions n’auront pas, de facto, la même valeur ; mais pour des raisons purement psychologiques, les « grands » (par la taille pas toujours par la qualité de leurs décisions) tribunaux ayant plus de poids que les petits... Mais sur le plan juridique, il n’y a pas de différence et la décision rendue par le tribunal de grande instance de Périgueux vaut autant que celle rendue par la Cour d’Appel de Paris. Et en aucun cas il n’est imposé à un tribunal de prendre une décision au motif que tel ou tel autre l’a fait. Mieux, un tribunal peut parfaitement rendre une décision différente de celle de la Cour de Cassation. Pire encore, la Cour de Cassation, si elle était saisie, peut lui donner raison...
C’est à n’y rien comprendre et d’ailleurs les médias n’y voient goutte.
C’est que la chose est complexe et nécessite une compréhension plutôt fine des arcanes judiciaires et de celles, particulièrement absconses, de la Cour de Cassation qui, outre une rédaction quasi incompréhensible pour le profane, décide si ses propres arrêts sont importants ou non et si elle entend leur donner une portée générale ou non en les publiant (ou non) et en en faisant un éventuel communiqué de presse (ce qu’elle a fait en juillet 2017, informant ainsi les juristes avertis qu’elle considérait ces décisions comme importantes et fondatrices de sa vision actuelle de la situation de la GPA au regard du Droit), mais ce n’est que son avis... et il n’a rien à ce stade d’impératif.
En effet, ses décisions ne s’imposent pas aux tribunaux sauf dans un cas, rarissime, qui nécessite qu’il y ait eu préalablement une première cassation puis un second arrêt d’appel, et un nouveau pourvoi en cassation. Si la Cour de Cassation casse à nouveau, son avis s’imposera à la (3ème) Cour d’Appel saisie. Autant dire que cela n’arrive que très très peu souvent. Les justiciables s’épuisent avant...
En outre, il y a souvent moyen pour les tribunaux de contourner la difficulté car la Cour de Cassation est d’abord juge du Droit et non du fait. Autrement dit, elle vérifie la forme, elle vérifie que la Loi a été correctement appliquée et interprétée. Mais elle laisse tout un pan disponible, le Fait. Elle appelle cela joliment « l’interprétation souveraine des Juges du fond ». Ainsi dans les décisions de juillet 2017 renvoie-t-elle les tribunaux à leur liberté pour déterminer au cas par cas si le refus de faire droit à la demande représente ou non « une atteinte disproportionnée à l’intérêt de l’enfant, notamment à son droit au respect de sa vie familiale et de sa vie privée. » Ceci est factuel, donc ne regarde aucunement la Cour de Cassation et pour autant qu’un tribunal précise que selon les éléments factuels en sa possession l’attente n’est pas disproportionnée, il pourra rejeter la demande d’adoption (ce qu’a fait le TGI d’Evry) et il minimise les risques de Cassation.
Enfin les décisions, y compris celles de la Cour de Cassation évoluent avec le temps et avec les changements sociétaux. C’est d’ailleurs le rôle de la Jurisprudence, permettre l’interprétation des lois en fonction de la société dans laquelle elles s’appliquent. Lorsque la Cour de Cassation change d’avis, ce qui arrive très régulièrement, cela a un nom, c’est un revirement de Jurisprudence, et cela vaut pour tous les tribunaux car un juge peut changer d’avis ou tout simplement un nouveau juge peut arriver et avoir un avis diamétralement opposé au précédent...
On comprend dès lors que le fait qu’un arrêt soit rendu par la Cour de Cassation peut être vu comme une avancée certaine mais absolument pas comme un acquis définitif.
La question prend plus d’ampleur encore lorsque les tribunaux concernés sont nombreux.
En effet comme on l’a vu ci dessus, la transcription est du ressort du tribunal de Nantes et le cas échéant de sa Cour d’Appel. Donc un Tribunal, une Cour d’Appel. On connait assez rapidement leur vision de la chose et s’il n’est pas impensable d’espérer des revirements de la jurisprudence locale, du moins sait-on à peu près où l’on se situe. En outre ces magistrats étant les seuls de France auxquels la question est posée, la connaisse particulièrement bien et sont en quelque sorte des spécialistes.
Mais pour l’adoption la chose est bien différente. En effet puisque le tribunal compétent est celui du lieu de résidence de la famille, ce sont donc virtuellement tous les tribunaux et Cour d’Appel de France qui peuvent être saisis. Plus le tribunal sera petit, moins le juge sera spécialisé (sauf particularisme local ou personnel) et plus les tribunaux seront nombreux à statuer plus les différences entre leurs décisions sera importantes. Dès lors ce qui sera facile ici, sera difficile ailleurs et ce du simple fait de la vision du monde des magistrats concernés.
Alors clairement, la situation est meilleure qu’elle ne le fût et les potentialités pour les parents d’intention de faire reconnaitre leur situation parentale ont considérablement progressé mais ils doivent s’attendre à des écueils car rien n’est gagné et ils doivent dès le départ de leur volonté de GPA prendre en compte ce paramètre et déterminer les précautions à prendre avec un avocat français car il ne faut jamais oublier que le droit est différent dans tous les pays et que les avocats des pays dans lesquels ils envisagent de faire leur GPA n’ont ni les compétences ni l’intérêt de les informer sur la situation juridique précise en France.
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