Cour de cassation, Chambre civile 2, 29 mars 2018, n° 17-14.975

Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 19 janvier 2017, n°14/07613

Par un manquement à leurs obligations d'information et de conseil, le mandataire en gestion locative, et le courtier en assurance se voient déclarés responsables de la perte de chance pour le locataire, ayant souscrit à un contrat d'assurance de groupe, de bénéficier d'une garantie au titre des dommages corporels subis à la suite d'un incendie des locaux donnés à bail.


En droit, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." (article  1240 nouveau du Code civil),

Chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. (article 1241 nouveau du même Code)

Plus spécifiquement, le droit des contrats oblige non seulement à la bonne foi contractuelle (article 1104 du CC), mais également à un devoir d'information et de conseil. (article 1231-1 du CC - jpces 79 et suivantes).

Dès lors, en cas de manquements audites obligations de bonne foi, d'information et de conseil, celui par la faute duquel un préjudice est né se doit de le réparer.

En effet, tout dommage causé oblige le responsable à réparation intégrale, lorsque le dommage présente un caractère certain.

On ne saurait réparer un dommage simplement éventuel.

Là est le bémol de la perte de chance, intermédiaire entre un dommage certain (réparable) et éventuel (non réparable).

La perte de chance réparable est constituée par la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.

Pour qu'une situation de perte de chance puisse donner lieu à indemnisation, il faut que, par la faute de l'auteur du dommage, la victime ait perdu « cette éventualité favorable ».

La perte de chance indemnise le fait d'avoir perdu une probabilité de réaliser un gain ou d'avoir perdu une opportunité d'éviter une perte (matérielle ou non).

L'entier dommage ne sera en conséquence pas réparé, face à l'élément d'incertitude nécessairement présent.

Ainsi, pour indemniser la perte de chance, les juges du fond vont avoir à évaluer la valeur pour la victime qu'aurait représenté la réalisation de « l'éventualité favorable » qui a disparu par la faute de l'auteur du dommage.

Une fois cette valeur déterminée, un pourcentage viendra grever celle-ci , afin de déterminer le montant de l'indemnisation due à la victime.

Au regard de leur pouvoir souverain d'appréciation, il appartiendra aux juges du fond de déterminer ce pourcentage en prenant en compte les éléments de preuve à leur disposition.

Plus le juge considérera que l'événement positif avait de chance de se réaliser, ou l'événement négatif d'être évité, plus il fixera un pourcentage conséquent.


C'est ce que démontrent les arrêts commentés aux termes du présent article.

M. Y a adhéré, le 24 mai 1996, au contrat d’assurance de groupe souscrit par la société BILLON IMMOBILIER auprès de la Caisse industrielle d’assurance mutuelle (la CIAM), par l’intermédiaire de la société VR ASSURANCES lui permettant de bénéficier d’une assurance multirisques habitation.

Une explosion survenue à la suite du branchement défectueux d’une gazinière appartenant à M. Y a causé la mort de sa voisine, F-G B, et l’a blessé lui-même ainsi que M A, une amie.

M. Y a sollicité la garantie de la CIAM qui lui a opposé une clause de la police excluant de sa garantie les dommages corporels résultant d’un incendie ou d’une explosion.

Il a été irrévocablement jugé que la CIAM ne devait pas sa garantie.

M. Y a donc assigné la société URBANIA LYON REGIES VENDOME (venant aux droits de la régie BILLON), aujourd’hui dénommée la société CITYA VENDOME LUMIERE, et la société VR ASSURANCES en responsabilité et garantie des condamnations à indemnisation mises à sa charge ou à venir en faveur de M A et des ayants droit de F-G B, pour manquement à leur obligation d’information et de conseil.

La Cour d'Appel a ainsi considéré que :

"Le certificat d’adhésion signé par E H le 23 avril 1996, indique que le locataire a déclaré «vouloir adhérer au contrat dont les conditions de garantie lui ont été remises».

Il s’avère ainsi qu’aucun document spécifique et distinct des conditions générales et particulières regroupant synthétiquement et de façon claire et précise les risques garantis ainsi que les modalités de la mise en jeu de l’assurance n’a été remis à l’adhérent locataire au moment de son adhésion.

Faute de toute remise à l’adhérent, préalablement à la signature du contrat d’assurance groupe, d’une information claire et précise sur les conditions de l’assurance et de sa mise en œuvre, le souscripteur tenu d’une obligation d’information et de conseil envers ce dernier, ne peut remplir ses obligations en la matière, aucun élément du dossier ne permet effectivement de constater que la régie BILLON, souscripteur du contrat d’assurance groupe auprès de la CIAM, a apporté l’information et le conseil nécessaire à E H et notamment que la régie s’est assurée que l’attention de ce dernier a été attirée sur les exclusions de garantie prévues dans le contrat d’assurance au titre des dommages corporels résultant d’un incendie et que l’intéressé a eu conscience de la garantie souscrite, de ses limites éventuelles et qu’il a accepté les garanties offertes en toute connaissance de cause. (...)

La régie BILLON a donc engagé sa responsabilité pour manquement à son devoir d’information et de conseil et le caractère accessoire au contrat de bail, du contrat d’assurance groupe multirisque habitation ne peut l’exonérer à ce titre.

Elle a ainsi causé à E H un préjudice s’analysant en la perte de chance de souscrire une autre assurance multirisque habitation auprès d’un autre assureur ou une assurance complémentaire s’ajoutant à celle souscrite aux termes du contrat groupe susvisé, lui permettant d’être garanti pour les dommages corporels nés d’un incendie.

L’ensemble des éléments du dossier permet de fixer à 95 % la perte de chance ainsi retenue."

VR ASSURANCES sera condamnée, sur la même motivation, à garantir la régie BILLON, pour défaut de conseil et d'information, à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre.

Au regard des condamnations prononcées à son encontre, CITYA VENDOME LUMIERE forme en conséquence un pourvoi en cassation, lequel sera purement et simplement rejeté au motif que la réalité et la mesure du préjudice de perte de chance relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

Ces arrêts sont en conséquence particulièrement intéressants, rappelant la force des obligations de conseil et d'information en matière contractuelle.

Ces obligations pèsent aujourd'hui clairement sur le mandataire ainsi que sur le courtier en assurance.

Ils rappellent également que seuls les juges du fond ont le pouvoir souverain d'apprécier la réalité et le quantum d'un préjudice.

Mais surtout, la transposition de cette jurisprudence pourrait en effet ouvrir la voie à des demandes de garantie pour perte de chance de voir réparer un préjudice corporel subi suite à un accident sans tiers responsable, se voyant opposer un taux de franchise d'AIPP ( déficit fonctionnel permanent)  extrêmement élevé, et excluant de facto toute possibilité d'indemnisation.

Cela n'étant qu'un exemple parmi d'autres.

Il est clair que beaucoup d'assurés ignorent le sens des taux de franchises prévues aux contrats d'assurance automobile, et perdent en conséquence une chance d'être couverts par de meilleurs garanties, ou des garanties complémentaires.  

Professionnels, ne négligez pas vos obligations d'information et de conseil ! La note pourrait être salée.