La la loi n°2022- du 22 décembre 2022, dite « portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi » a créé une présomption de démission en cas d'abandon : le nouvel article L. 1237-1-1 du Code du travail.

Cet article dispose que : « Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l'employeur, est présumé avoir démissionné à l'expiration de ce délai.

Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud'hommes. L'affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d'un mois à compter de sa saisine.

Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine les modalités d'application du présent article. »

Cet article ne pouvait donc entrer en vigueur avant la parution d'un décret prévoyant ce délai entre la mise en demeurre adressée par l'employeur et la présomption de démission et c'est désormais chose faite.

En effet, le décret n°2023-275 du 17 avril 2023 crée un nouvel article R. 1237-13 au Code du travail qui prévoit que « l'employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission prévue à l'article L. 1237-1-1 le met en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main-propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste.

Dans le cas où le salarié entend se prévaloir auprès de l'employeur d'un motif légitime de nature à faire obstacle à une présomption de démission, tel que, notamment, des raisons médicales, l'exercice du droit de retrait prévu à l'article L. 4131-1, l'exercice du droit de grève prévu à l'article L. 2511-1, le refus du salarié d'exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l'initiative de l'employeur, le salarié indique le motif qu'il invoque dans la réponse à la mise en demeure précitée. Le délai mentionné au premier alinéa de l'article L. 1237-1-1 ne peut être inférieur à quinze jours. Ce délai commence à courir à compter de la date de présentation de la mise en demeure prévue au premier alinéa. »

Cette disposition est donc désormais pleinement en vigueur.

Le but explicitement poursuivi par cette nouvelle présomption de démission est de priver un salarié ayant « abandonné » son poste du bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE), plus communément appelée « chômage », déséquilibrant encore plus le rapport de force entre salarié et employeur.

Pourtant, il est notable que cette nouvelle procédure n'a pa été applaudie des deux mains par les représentants des principales organisations représentatives patronales, et pour cause : elle fait peser sur eux une insécurité juridique assez importante en cas de mauvaise mise en place de cette procédure.

De plus, ce texte risque de compliquer encore plus la position de certains salariés au sein de leur entreprise, tout en faisant prendre des risques à l'employeur qui va mettre en œuvre cette procédure.

Cette réforme appelle trois observations quant à la contestation de cette présomption de démission.

1- Le délai de jugement intenable pour les juridictions

L'article L. 1237-1-1 précédemment cité prévoit dans son second alinéa précédemment cité que le salarié bénéficie d'une voie de contestation de la rupture de son contrat de travail en saisissant directement le bureau de jugement du Conseil de prud'homme, qui dispose alors d'un délai d'un mois pour statuer au fond à compter de la saisine.

D'une part, il est très improbable que les Conseils de prud'homme aient la capacité matérielle en un délai d'un mois :

  • d'organiser une audience pour l'affaire en question,
  • de convoquer les parties,
  • de tenir l'audience,
  • et de rendre son délibéré.

Il sera utilement rappelé que certains Conseils de prud'homme convoquent déjà les parties pour des bureaux de jugement en 2026 ...

Le législateur en a parfaitement conscience et n'a d'ailleurs pas prévu de sanction en cas de non-respect de ce délai de jugement par la juridiction.

Il y a lieu de penser que ces procédures auront donc une durée bien plus importante et surtout, que le salarié, présumé démissionnaire, ne pourra pas percevoir d'allocation d'aide au retour à l'emploi pendant toute la durée de cette période.

 

2- La charge de la preuve

Outre ce délai parfaitement intenable de jugement, cette action en contestation de la démission pose sérieusement la question de la charge de la preuve.

Si en matière de contestation de licenciement pour motif personnel, la charge de la preuve pèse, théoriquement en tout cas, sur l'employeur, il semble qu'il y ait ici une sorte de preuve partagée :

  • L'employeur devra démontrer que son salarié était effectivement absent et qu'il a respecté la procédure de mise en demeure préalable,
  • Le salarié devra démontrer qu'il n'avait pas abandonné son poste pour un motif illégitime,

Or, si le salarié ne fait plus partie des effectifs de l'entreprise, ses moyens d'obtenir des preuves relatives à ses conditions d'emploi sont gravement obérées.

Le salarié, s'il n'a plus accès à ses mails professionnels, ses plannings ou tout autre élément qui permettrait de démontrer n'a pas nécessairement les moyens matériels de combattre cette présomption.

Exemple : un salarié au cours de congés payés à l'étranger se trouve dans l'impossibilité de revenir en France avant la fin desdits congés pour un motif légitime (pandémie mondiale empêchant le retour, accident, maladie, etc). Il adresse un mail à son employeur faisant état de cette situation via son courriel professionnel.

Si l'employeur met fin au contrat de travail avec le nouveau dispositif et qu'il empêche l'accès du salarié à son adresse mail professionnelle, le salarié ne pourra jamais prouver qu'il y avait prévenu son employeur du motif de son d'absence et restera présumé démissionnaire, avec toutes les conséquences que cela comporte.

Ce genre de cas de figure se retrouve déjà assez souvent en contentieux et affaiblira encore plus la position du salarié, pourtant déjà fragile, dans ce type de circonstances. 

 

3- La nullité et la sanction

La seule véritable obligation de l'employeur est qu'une mise en demeure soit adressée au salarié, soit par lettre recommandée soit par remise en main propre.

Cette mise en demeure doit demander au salarié les raisons de son absence, et lui ordonner de reprendre son poste dans un délai qu'elle fixe,

Premièrement, si le salarié a abandonné son poste, on voit mal comment une mise en demeure pourrait lui être remise en main propre par son employeur.

Deuxièmement, quid si la mise en demeurre est mal adressée au salarié (erreur dans l'adresse par exemple) ?

Le salarié ne va pas répondre à la mise en demeure, ni chercher sa lettre recommandée.

L'employeur qui va faire le choix de mettre en place cette procédure de présomption de démission va être dans un inconfort certain au moment de sa décision s'il a un doute sur le libellé exact de l'adresse de son salarié.

Le texte est en outre silencieux s'agissant des conséquences de l'absence des mentions obligatoires de la mise en demeure.

En effet, que se passe-t-il si la mise en demeure ne comporte pas de demande de justification de l'absence du salarié et se contente de lui ordonner de reprendre son poste ?

De la même façon, quelles sont les conséquences si le délai prévu à l'article R. 1237-13 du Code du travail n'est pas respecté par l'employeur ? Là aussi, le texte est muet.

Dans le cadre d'un licenciement pour motif personnel, une erreur dans le délai de convocation pour l'entretien avant un éventuel licenciement disciplinaire n'entraîne qu'une irrégularité du licenciement ouvrant droit au salarié à une indemnité ne pouvant être supérieure à un mois de salaire.

Mais ici, rien n'est prévu en ce sens, et on est droit de se questionner sur l'éventuel renversement de la présomption de démission de ce seul chef.

S'agissant des conséquences de ce renversement de la présomption de démission, là aussi le texte est muet.

La jurisprudence classique, en cas d'annulation d'une démission, requalifie ladite démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui n'ouvre pas droit à une réintégration de droit si l'employeur s'y oppose.

De plus, l'article L. 1235-3 du Code du travail (dont la conformité au droit européen et international est toujours débattue) encadre strictement les indemnités éventuellement dues au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Or, ces indemnités sont déjà considérées par un certain nombre de professionnels comme très insuffisantes à réparer l'entier préjudice du salarié pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse ayant permis au salarié de survivre via l'allocation d'aide au retour à l'emploi pendant la procédure.

Ici, le salarié sera privé de cette allocation (c'est le but même de cette réforme), et sera dans un grand dénuement s'il ne parvient pas à retrouver un emploi.

De surcroit, les conséquences pour le salarié ne se limitent pas à la perte de son ARE.

En effet, une bonne partie des emprunteurs souscrivent une garantie « perte d'emploi » dans le cadre de leur crédit-immobilier. Or ces contrats d'assurances excluent de leur garantie les démissions.

Ainsi, un salarié qui se fait « démissioner » par son employeur se retrouve privé de son ARE, mais en plus va devoir continuer à payer l'intégralité des échéances de son crédit immobilier ...

L'indemnité prévue par l'article L1235-3 ne pourra jamais réparer l'intégral préjudice subi par le salarié en cas de mise en jeu abusive de cette nouvelle procédure.

A titre d'exemple, le salarié d'une entreprise de moins de onze salarié ayant trois années d'ancienneté au moment de la rupture du contrat de travail par une présomption de démission abusive ne pourrait prétendre qu'à une indemnité comprise en un et quatre mois de salaire.

Une telle indemnité paraît ridicule, surtout dans le contexte inflationiste actuel et compte tenu des conséquences prévisibles d'une telle rupture du contrat de travail pour le salarié.