La Cour de cassation, par un arrêt de la chambre criminelle en date du 14 décembre 2021 (pourvoi n° 20-86969), vient de casser un arrêt de la Cour d'appel de BORDEAUX du 10 décembre 2020 en ce qu'il avait appliqué la marge d'erreur de 8 %, applicable au contrôle de l'alcoolémie par éthylomètre, à celle des deux mesures effectuées sur le conducteur, qui était la plus élevée.

Quelques textes pour aborder le sujet.

1. En premier lieu, il est acquis que les services de police, lors de chaque contrôle, effectuent deux mesures par éthylomètre et retiennent par principe celle des deux mesures qui est la plus favorable au contrevenant pour déterminer la nature de l'éventuelle infraction.

Une telle précaution résulte de deux dispositions :

- D'une part l'article R. 234-4 du Code de la route aux termes duquel : « Lorsque, pour procéder aux vérifications prévues par les articles L. 234-3 à L. 234-5 et L. 234-9 du présent code, ainsi que par l'article L. 3354-1 du code de la santé publique, l'officier ou l'agent de police judiciaire fait usage d'un appareil homologué permettant de déterminer le taux d'alcool par l'analyse de l'air expiré, la vérification est faite selon les modalités ci-après :

1° Le délai séparant l'heure, selon le cas, de l'infraction ou de l'accident ou d'un dépistage positif effectué dans le cadre d'un contrôle ordonné par le procureur de la République ou effectué sur initiative de l'officier ou de l'agent de police judiciaire et l'heure de la vérification doit être le plus court possible ;

2° L'officier ou l'agent de police judiciaire, après avoir procédé à la mesure du taux d'alcool, en notifie immédiatement le résultat à la personne faisant l'objet de cette vérification. Il l'avise qu'il peut demander un second contrôle. Le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier ou l'agent de police judiciaire ayant procédé à la vérification peuvent également décider qu'il sera procédé à un second contrôle. Celui-ci est alors effectué immédiatement, après vérification du bon fonctionnement de l'appareil ; le résultat en est immédiatement porté à la connaissance de l'intéressé ».

- D'autre part, de l'annexe de l'arrêté du 8 juillet 2003 relatif au contrôle des éthylomètres, pris en application du décret n° 2001-387 du 3 mai 2001 relatif au contrôle des instruments de mesure, selon lequel : « A.1.2. Temps d'attente (points 5.5.1.c et 6.15.3) :

Les éthylomètres doivent porter la mention suivante, lisible en même temps que le dispositif indicateur : " Ne pas souffler moins de XX min, après avoir absorbé un produit ".

La durée XX min est égale à 30 minutes pour les éthylomètres à poste fixe et pour les éthylomètres portatifs fonctionnant selon le cycle de mesurage défini au b de A.1.1 ». 

2. En deuxième lieu, il est pareillement acquis, comme en matière de contrôle de la vitesse, que les instruments de mesure sont sujets à des marges d'erreur.

S'agissant de l'éthylomètre, l'article 15 de l'arrêté susvisé précise : « Les erreurs maximales tolérées, en plus ou en moins, applicables lors de la vérification périodique ou de tout contrôle en service sont :
- 0,032 mg/l pour les concentrations en alcool dans l'air inférieures à 0,400 mg/l ;

- 8 % de la valeur mesurée pour les concentrations égales ou supérieures à 0,400 mg/l et inférieures ou égales à 2,000 mg/l ».

De sorte qu’un éthylomètre peut accuser, en toute légalité, une marge d’erreur de 8 % pour une mesure prise au-dessus de 0,40 mg/l d’air expiré.

La marge admise étant de 0,032 pour 0,40 mg/l d’air, c’est dire qu’un faux positif est admis pour une mesure de 0,368 mg/l d’air ; et un faux négatif pour une mesure de 0,432 mg/l d’air.

La Cour de cassation a déjà eu à s'interroger sur l'applicabilité aux procédures pénales en cours de la marge d'erreur, qui n'aurait pas été prise en considération au stade du contrôle. De fait et en l'espèce, de cette marge d'erreur dépendait la qualification délictuelle ou contraventionnelle de l'infraction retenue. Une différence d'autant plus importante que le conducteur dont s'agit avait été condamné par les Juridictions bordelaises à dix mois d'emprisonnement assortis d'un susrsis probatoire et huit mois de suspension de permis...

Ainsi dans son arrêt en date du 26 mars 2019, (pourvoi n° 18-84900), la chambre criminelle avait-elle jugé : « Attendu que, pour écarter le moyen tendant à la requalification du délit de conduite sous l’empire d’un état alcoolique en la contravention de l’article R. 234-1, 2°, du code de la route, l’arrêt énonce que l’argument tenant à la marge d’erreur est inopérant, deux taux supérieurs ou égaux à la limite légale ayant été relevés, à quinze minutes d’intervalle, sur un individu ayant reconnu avoir consommé, une heure avant le contrôle routier, deux verres de bière ;

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que seule ladite contravention pouvait être caractérisée, quel que soit le taux retenu et compte tenu de la marge d’erreur réglementaire de 8 % de la valeur mesurée pour les concentrations égales ou supérieures à 0,400 mg/l, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ».

3. La question qui demeurait à trancher était celle de savoir si la marge d'erreur, une fois admis qu'elle devait être appliquée dans le cadre du procès pénal, supposait qu'elle soit défalquée de la première ou de la seconde mesure prise au moyen de l'éthylomètre, étant évident par ailleurs que cette dernière est généralement la plus favorable au prévenu.

La Cour d'appel de BORDEAUX, sans la moindre nuance, a appliqué la marge d'erreur au taux retenu le plus élevé, soit la première mesure, et constaté, pour condamner le conducteur, que dans cette hypothèse, le taux d'alcoolémie demeurait délictuel.

Elle retient ainsi, par un raisonnement complexe : « Concernant le taux délictuel ou contraventionnel d'alcoolémie, il doit être déduit du dernier arrêt de la Chambre Criminelle du 26 mars 2019 que, alors que le bénéfice de la marge d'erreur était auparavant exclu lorsque le taux d'alcoolémie issu du second contrôle est en phase descendante et constitue donc le taux finalement pris en compte dans la prévention, comme cela est le cas dans la présente procédure puisque le premier contrôle affichait un taux de 0,44 mg pour un second contrôle de 0,41 mg, la marge d'erreur de 8% devant désormais être appliquée aboutit encore sur un taux de 0,44, comme dans la présente procédure, à un taux supérieur à 0,40 mg. Le taux de 0,41 mg/l d'air expire constitue donc bien, en l’espèce, un taux délictuel car seul un taux originaire, lors d'une phase descendante, de 0,4347 mg/l d'air expiré serait constitutif d'une contravention ».

La Cour de cassation censure cette décision au visa de l'article préliminaire du Code de procédure pénal et retient que le corolaire de la présomption d'innocence tient en ce que le doute profite au prévenu. A ce titre, elle juge : « Il s'en déduit que, lorsque la personne ayant fait l'objet d'une vérification d'alcoolémie est soumise à un second contrôle en application de l'article R. 234-4 du Code de la route, seul le taux qui lui est le plus favorable doit être retenu et se voir appliquer la marge d'erreur de 8 % ».

De sorte qu'en l'espèce, le prévenu, qui était à la limite du taux délictuel, bénéficie nécessairement d'une requalification de l'infraction en simple contravention.