L’annulation rétroactive de la décision de l’administration de mettre fin de manière anticipé au détachement de son agent a pour effet de rendre son licenciement sans cause réelle et sérieuse

 

CA Paris, 19 décembre 2018, Mme X c/ Association Y, n° 16/03531

 

 

Fondement : Loi du 26 janvier 1984, article 64 – Code du travail, articles L. 1234-5 et suivants

 

 

Solution :

Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé par l’employeur privé d’un agent public détaché sous contrat à durée indéterminée, dès lors que le juge administratif a annulé rétroactivement la décision de l’employeur public de mettre fin au détachement de manière anticipée.

 

 

 

« Le contrat du 1er novembre 2009 a pris fin le 29 août 2012 lorsque la salariée a été nommée, par arrêté du 29 août 2012, chargée de missions à la région au 1er septembre 2012 ;

Son employeur en a tiré les conséquences en mettant fin au contrat par une lettre simple datée du 29 août 2012, sans autre formalité, en visant la fin du détachement.

La décision d’annulation de la fin anticipée du détachement, du 26 décembre 2013, a pour effet d’effacer de façon rétroactive cette décision.

Il en résulte que le motif de la rupture du contrat de travail n’existe plus et que celle-ci, à l’initiative de l’association bénéficiaire du détachement, doit produire les effets d’un   licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen relatif à l’absence d’avis conforme du conseil d’administration, dès lors qu’elle est intervenue sans respect des règles de forme propres au licenciement et sans motif, puisque celui-ci, valable au moment de la rupture, a disparu par la suite.

Si l’employeur n’a pas commis de faute en soi, il est tout de même à l’origine de la rupture du contrat qu’il a signé avec la salariée, ce qui n’obère pas, pour lui, la faculté de rechercher la responsabilité de l’administration. »

 

 

 

Observations :

 

Le détachement est légalement défini comme « la position du fonctionnaire placé hors de son cadre d'emploi, emploi ou corps d'origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l'avancement et à la retraite » (article 64 alinéa 1er de la loi du 26 janvier 1984).

 

 

Le détachement est révocable (Article 64 alinéa 3 de la loi du 26 janvier 1984) et « il peut (y) être mis fin (…) avant le terme fixé par l'arrêté le prononçant à la demande soit de l'administration ou de l'organisme d'accueil, soit de l'administration d'origine » (article 10 du décret du 13 janvier 1986).

 

La qualification juridique de sa fin anticipée diffère selon son imputabilité.

 

Elle est ainsi, de jurisprudence constante, considérée comme un licenciement lorsqu’elle résulte d’une initiative de l’organisme d’accueil.

Un arrêt récent considère ainsi que « lorsque la personne morale de droit privé demande à l’autorité administrative compétente de mettre fin au détachement, cette rupture s’analyse en un licenciement régi, à l’exception des articles L. 1243-6, L. 1243-1 et L. 1234-9, par les dispositions du code du travail, notamment les articles L. 1234-5, L. 1232-2 et suivants de ce code » (Cass. soc. 15 décembre 2016, n° 15-23761).

Dans une décision précédente, la Cour de Cassation avait rappelé que la rupture du contrat de travail entre un fonctionnaire détaché et son employeur privé constitue un licenciement si elle est imputable audit employeur (Cass. soc. 12 mars 2014, n° 13-10609) :

« (…) lorsque la personne morale de droit privé décide de ne pas solliciter le renouvellement du détachement, cette rupture avant le terme prévu au contrat s’analyse en un licenciement régi par les dispositions du code du travail »

De nombreuses autres décisions rappellent ce principe dans des termes identiques (Cass. soc.19 juin 2007, n°05-44814 et 05-44818, publié au Bulletin ; 5 juillet 2005, n°03-40560 ; 27 juin 2000, n°97-43536, publié au Bulletin ; Agen 7 octobre 2003, chambre sociale, n°02/865).

 

En revanche, il n’y a pas licenciement lorsque la fin anticipée du détachement est imputable à l’administration d’origine.

Ainsi la Cour de Cassation a approuvé une Cour d’appel d’avoir « retenu que la rupture du contrat de travail n’était pas imputable à l’employeur (et d’en avoir) exactement déduit que le salarié ne pouvait solliciter l’allocation de dommages-intérêts sur le fondement des dispositions de l’article L. 1243-4 du code du travail » (Cass. soc. 18 janvier 2017, n° 15-16168).

Pareillement, pour rejeter les demandes d’un fonctionnaire détaché contre son organisme d’accueil une Cour d’appel (CA Metz, Chambre sociale, 21 mai 2014, n° 12/03391) retient que l’intéressé « ne justifie pas avoir fait l’objet d’une rupture anticipée à l’initiative de l’organisme d’accueil, de sorte qu’il ne peut se prévaloir des règles prévues en matière de licenciement. »

Dans le même sens, a été débouté un fonctionnaire de la Caisse des dépôts et consignations dont le détachement auprès de la société DEXIA a été interrompu avant son terme (CA Paris 27 février 2008, n° 06/00689, confirmé par Cass. soc. 22 septembre 2009, n° 08-42176).

La jurisprudence considère ainsi clairement que la fin anticipée d’un détachement à l’initiative de l’administration d’origine ne constitue pas un licenciement.

 

Cette position est parfaitement logique, dans la mesure où le licenciement constitue une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur et que, dès lors, une telle qualification ne peut être retenue lorsque la rupture ne lui est pas imputable.

 

Si les conséquences de l’imputabilité de la fin anticipée d’un détachement étaient ainsi clairement déterminées, aucune décision n’avait été rendue dans le cas d’une telle décision à l’initiative de la collectivité d’origine, ultérieurement annulée par le Juge administratif.

 

 

 

L’espèce ayant donné lieu à l’arrêt commenté concernait le détachement d’une fonctionnaire territoriale auprès d’une association.

 

Il avait été prononcé pour une durée de 5 ans et donné lieu à la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée entre l’agent et l’organisme d’accueil.

 

L’administration d’origine avait décidé d’un mettre fin de manière anticipée et l’association avait tiré les conséquences de cette décision en mettant fin au contrat de travail, sans application de la procédure légale de licenciement.

 

 

Toutefois, la décision de l’administration avait été ultérieurement annulée par le Juge administratif pour vice de forme et la salariée avait assigné son ancien employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Le Conseil de Prud’hommes avait considéré que, nonobstant l’annulation de la décision administrative de fin anticipée du détachement, la collectivité d’origine demeurait à l’initiative de la fin du contrat auprès de l’organisme d’accueil et qu’il n’y avait donc pas de licenciement. Il évoquait également l’absence de préjudice subi par la salariée, laquelle avait été réintégrée dans son administration, avec même d’ailleurs de meilleures conditions de rémunération qu’à la date de son détachement.

 

 

La Cour d’Appel de Paris a réformé ce jugement et fait droit aux demandes de la salariée, en faisant une application stricte des effets de l’annulation d’une décision administrative.

 

 

Selon l’arrêt, l’annulation de la décision administrative de fin anticipée du détachement a fait disparaître celle-ci rétroactivement de l’ordre juridique.

 

En conséquence l’initiative de l’administration est réputée ne jamais avoir existé et a posteriori l’organisme d’accueil est censé en avoir lui-même pris l’initiative, ce qui aurait nécessité la mise en œuvre d’une procédure de licenciement.

 

En d’autres termes, l’association employeur « n’a pas commis de faute » en prenant simplement acte de la fin du détachement prononcée par l’administration, mais du fait de l’annulation de l’acte administratif, il a été jugé qu’elle aurait dû mettre en œuvre une procédure de licenciement, même si elle n’y était pas tenue lorsqu’elle a constaté la fin du détachement et, partant, la fin du contrat la liant à l’agent détaché.

 

La Cour constate donc une irrégularité a posteriori.

 

 

Cette position se fonde sur le principe selon lequel l’annulation d’un acte administratif a un effet rétroactif (René Chapus, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 11ème édition, n° 1217 ; CE 26 décembre 1925, Rodière, Rec. P. 1065 ; Ass. 10 décembre 1954, Cru et autres, Rec. P. 659) :

 

« … invariablement, « les actes annulés pour excès de pouvoir sont réputés n’être jamais intervenus ».

 

C’est-à-dire que l’annulation opère avec effet rétroactif : non seulement l’acte n’existe plus, mais encore il doit être considéré comme n’ayant jamais existé. »

 

 

Les Juges d’appel ont fait une application stricte de ce principe en considérant que l’annulation pour excès de pouvoir par le Juge administratif de la décision de mettre fin au détachement prise par l’administration avait eu pour effet « d’effacer de manière rétroactive cette décision » et que « il en résulte que le motif de la rupture du contrat de travail n’existe plus et que celle-ci, à l’initiative de l’association bénéficiaire du détachement, doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. »

 

 

Du fait de la décision du Tribunal administratif, l’organisme d’accueil est donc rétroactivement considéré comme ayant été à l’initiative de la rupture du contrat de travail le liant au fonctionnaire, alors qu’à la date de la rupture, il ne pouvait que se soumettre à la décision de l’administration de mettre fin au détachement (en application de la jurisprudence DEXIA précitée).

 

Il ne pouvait valablement s’opposer à cette décision, la loi ne lui donnant la possibilité que d’accepter le détachement ou de demander qu’il y soit mis fin de sa propre initiative.

 

 

L’application du principe d’effet rétroactif aboutit donc à la fiction juridique que c’est l’organisme d’accueil qui aurait été à l’initiative de la fin anticipée du détachement, alors que cette dernière résulte en réalité de l’initiative de l’administration.

 

C’est là donner un effet absolu, voire excessif, audit principe et, surtout entraîner des conséquences pratiques discutables en équité.

 

 

Delphine Krust

Avocate à la Cour

SCP KRUST - PENAUD

 

Rappel pratique : Un fonctionnaire peut être détaché pour être employé, sous CDI, par une association. Celle-ci n’a pas à mettre en œuvre une procédure de licenciement si l’administration met fin de manière anticipée au détachement. Mais, en cas d’annulation postérieure par le juge administratif de cette décision, la fin du contrat de droit privé est considérée comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, eu égard à l’effet rétroactif de l’annulation.

L’employeur privé a la possibilité de rechercher la responsabilité de l’administration.