Conséquence de l’irrégularité du bulletin sur la sincérité du scrutin : ou quand le bulletin nul n’est pas de nul effet
Réf : CE 4 février 2021, n° 443446, mentionné aux tables du recueil
Par Delphine KRUST, Avocate associée, cabinet KRUST - PENAUD.
La Haute juridiction administrative était appelée à se prononcer sur la validité du scrutin d’une élection municipale, comprenant des bulletins de vote irréguliers. Elle juge dans un premier temps que les bulletins de votes qui ne mentionnent pas le nom des candidats au conseil communautaire sont nuls et doivent être écartés. Elle en tire les conséquences sur le sort du scrutin en jugeant que nonobstant cette irrégularité, les électeurs ont clairement exprimé leur préférence de telle sorte qu’en privant la liste de ces votes, compte tenu de l’écart de voix, l’exclusion de ces bulletins aboutit à une inversion du scrutin qui la conduit à prononcer l’annulation des élections.
Lors des élections municipales de la commune de Thénac le 19 mars 2020, la liste du maire sortant a imprimé des bulletins de vote sur lesquels étaient omis les noms des candidats au conseil communautaire. Elle avait rectifié cette erreur en déposant des bulletins conformes dans les bureaux de vote. Toutefois, 13 électeurs avaient utilisé lors du scrutin les bulletins erronés, qui furent écartés lors du dépouillement. Le vote fut acquis à la liste adverse, par 10 voix d’écart.
Le maire sortant a alors contesté l’élection, considérant que ces bulletins, exprimés en sa faveur, avaient été déclarés à tort come nuls.
Le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa protestation au motif que les bulletins entachés d’irrégularité avaient été écartés à bon droit et a retenu le résultat de l’élection comme acquis.
Sur appel du candidat malheureux, le Conseil d’état rend une décision inédite et subtile.
S’il confirme la nullité des bulletins ne mentionnant pas le nom des candidats au conseil communautaire, il recherche toutefois l’intention de vote des électeurs et juge qu’en choisissant ces bulletins, ils ont entendu s’exprimer pour la liste pour en tirer la conséquence que, même si les bulletins litigieux ont été écartés à bon droit, le sens du vote des électeurs aboutissait à l’inversion du scrutin et en conclut qu’il était insincère pour annuler l’élection.
Cette décision présente donc un double intérêt :
- Elle tranche pour la première fois la question de la validité ou non d’un bulletin de vote ne comportant pas la liste des candidats au conseil ;
- Elle en tire les conséquences en s’attachant à l’intention des électeurs, et aux effets de l’annulation des bulletins sur le résultat de l’élection.
I – Contrôle de la validité des suffrages
Pour juger que les bulletins de la liste sur laquelle le nom des candidats au conseil communautaire ne figurait pas sont nuls, le Conseil d’État se fonde sur les dispositions combinées des articles L 273 – 9 et R 117 – 4 du code électoral dont il résulte que, dans les communes de 1000 habitants et plus, doit figurer sur le bulletin de vote soumis aux élections municipales de manière distincte la liste des candidats au siège de conseiller communautaire de manière distincte de la liste des candidats au conseil municipal dont elle est issue, sur une partie gauche sur une partie droite.
Le texte prévoit également l’indication de la nationalité des candidats ressortissants d’un État membre de l’Union européenne autre que la France.
En l’absence de désignation suffisante (article R 66) ou lorsque les bulletins ne répondent pas aux prescriptions règlementaires, les bulletins sont nuls (article R 66-2 du code électoral).
Classiquement, le juge électoral distingue les irrégularités formelles des irrégularités substantielles commises dans la présentation des bulletins de vote, s’attachant notamment à rechercher si les irrégularités commises constituent une manœuvre (CE 5 juin 2015, élections municipales de Saint-Vaast-les-Mello, req. n° 382297) où sont de nature à introduire une confusion dans l’esprit de l’électeur (CE 22 mai 2015, élections municipales de Guégon, req. n° 380828 ; CE 4 mars 2009, élections municipales de Saint-Jean-de-Védas, req. n° 318621). Le Conseil d’État apprécie la gravité du défaut d’information de l’électeur pour prononcer l’invalidation des bulletins.
Ainsi, il a considéré que la mention d’un autre nom que celui des candidats, pourtant proscrite par les dispositions de l’article 30 récemment encore ne vigueur (abrogées par le décret n° 2020-1397 du 17 novembre 2020), n’avait pas induit en erreur l’électeur n’emportant alors pas nullité des bulletins (CE 11 mai 2016, Elections régionales d’Ile-de-France, req. n° 395446, mentionné au Rec.).
A l’inverse, il juge nuls les bulletins d’une liste sur laquelle la nationalité d’un des colistiers, ressortissant d’un pays de l’union européenne l’indication de la nationalité étant une obligation réglementaire, qui doit permettre à l’électeur de savoir que ce candidat ne peut devenir ni maire ni adjoint elle ou 2122 –4 –1 du code général des collectivités territoriales ni grand électeur (article L186 –1 du code électoral ; CC 20 mai 1998, 98-400 DC).
L’irrégularité commise revêt alors un caractère substantiel pour le juge administratif de telle sorte que les bulletins qui ne mentionnent pas cette indication doivent être écartés (CE 12 juillet 2002, Elections municipales de Champigny, req. n° 239083, publiées aux Tables du rec ; CE 29 juillet 2002, Elections de Vauvert, n° 239707 ;CE 15 septembre 2004, Elections municipales de Marmande, req. n° 260716 ; AJDA 2004, p. 2401, Bernard Maligner « Quand l’absence de la mention de la nationalité des candidats entraîne l’annulation d’une élection » ; CE 20 février 2015, Elections municipales de Saint-André-de-Cabzac, req. n° 385408, conclusions Xavier Domino).
Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’État raisonne de la même façon, comme il avait d’ailleurs rappelé dans un arrêt du 14 novembre 2014, considérant que la distinction entre la liste des candidats au conseil municipal et la liste des candidats au conseil communautaire permet « d’éviter toute confusion, dans l’esprit de l’électeur, entre les candidats » à ces 2 mandats (CE 14 novembre 2014, req. n° 382316, qui écarte le grief tiré du mauvais emplacement des 2 listes sur le bulletin, qui ne crée pas de confusion).
Dans l’affaire de la commune de Thénac, ces 2 élections sont bel et bien imbriquées, si « l’élection des conseillers communautaires est voulue comme élections propres », elle n’est en revanche « pas conçue comme une élection autonome » (conclusions Madame Mireille Le Corre sous l’arrêt rapporté, Ariane Web).
L’absence de mention des candidats au conseil communautaire est donc jugée substantielle, à l’instar de l’absence d’indication de la nationalité des ressortissants communautaires, emportant nullité des bulletins.
Le juge de l’élection se montre toujours aussi pragmatique pour apprécier la nullité éventuelle d’un bulletin de vote, faisant application des mêmes principes de nullité aux bulletins s’abstenant de mentionner les candidats au conseil communautaire, pour en tirer les mêmes conséquences, y compris au bénéfice du fautif.
II – « L’absolution » du candidat fautif
Dans une jurisprudence désormais traditionnelle, le Conseil d’état examine la portée de l’annulation des bulletins sur les résultats de l’élection, de manière concrète et précise.
Il apprécie si l’expression du suffrage des électeurs, en l’absence de toute manœuvre, a été ou non « privée de portée utile » et si, « du fait de l’irrégularité retenue, la sincérité du scrutin a été altérée » (CE 15 septembre 2004, élections municipales de Marmande, précité ; TA Bordeaux 30 septembre 2014, Elections municipales de Saint-André-de-Cubzac, n° 14-1051, confirmé par CE 20 février 2015, req. n° 385408, précité).
Ainsi, le juge sonde les cœurs et les âmes des électeurs.
En l’espèce, il retient que l’intention des électeurs ne faisait pas de doute et qu’en introduisant un bulletin nul, ils entendaient exprimer leur suffrage.
Ce raisonnement souffre à notre sens d’une double faiblesse :
Il aboutit à permettre à l’auteur d’une faute de bénéficier de son erreur. Le candidat qui a diffusé des bulletins nuls obtient tout de même, devant le juge électoral, l’attribution des votes exprimés au moyen des dits bulletins, nonobstant leur nullité.
Le principe « nemo auditur propriam turpitudinem allegans » aurait pu conduire le juge à refuser de donner satisfaction à l’auteur des irrégularités en lui attribuant le bénéfice des intentions de vote exprimées irrégulièrement pour annuler les élections, comme l’a d’ailleurs jugé le tribunal administratif en première instance.
Il eut pu se contenter de paralyser l’expression de ces votes, exprimés au moyen de bulletins nuls, pour ne retenir que le résultat des votes légalement exprimés.
Mais le Conseil d’état a donné une valeur aux bulletins qu’il a déclarés nuls en les prenant toutefois en compte pour finalement considérer qu’avec cette prise en compte les résultats auraient dû être inversés.
Il dépasse ainsi les effets de la nullité des bulletins pour leur accorder une valeur expressive. En d’autres termes, le juge électoral a recherché la sincérité du scrutin au regard de l’intention des électeurs, au-delà de la régularité formelle de son expression telle qu’elle est prévue par le code.
Quoique nul, le bulletin produit donc des effets, exprimant les préférences de l’électeur, auxquels le juge électoral accorde de l’intérêt.
Si le raisonnement ayant abouti à la décision commentée peut surprendre dans son articulation entre respect des règles formelles impératives du code et prise en compte de l’intention des électeurs, son application à d’autres situations laisse plus perplexe encore.
Quelle serait en effet son application à la nullité des bulletins ne mentionnant pas la nationalité des candidats européens, sachant que cette règle est motivée par de hauts intérêts d’ordre public ( adjoints, maire NBP).
Le Conseil n’a toutefois pas poussé son audace jusqu’à réformer les résultats du scrutin, alors même qu’il n’existait aucun doute sur le nombre de voix exprimées en faveur de la liste du maire sortant.
Ce faisant, le conseil maintient sa jurisprudence de crête selon laquelle la sanction des irrégularités qui affectent la sincérité du scrutin consiste en l’annulation des élections.
A retenir :
- Les bulletins de vote qui ne mentionnent pas le nom des candidats au conseil communautaire sont nuls et doivent être décomptés du résultat de vote ;
- en l’absence de manœuvre et de doute sur l’intention des électeurs, le vote, après retrait de ces bulletins nuls, est considéré comme ayant été privé de portée utile ;
- L’annulation de l’élection est encourue dès lors que l’attribution des sièges est susceptible d’être affectée par l’irrégularité constatée.
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