Depuis son entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations est venue modifier un certain nombre de dispositions du droit des contrats.
Si la violence a toujours été cause de nullité d’un contrat, il n’avait jusqu’à la réforme du 1er octobre 2016, jamais été envisagé par le législateur, la violence dite économique.
- La nullité d’un contrat en raison de la violence économique
L’article 1143 du Code civil prévoit maintenant :
« Il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».
- Une innovation législative inspirée de la jurisprudence et du droit de la concurrence
Ce texte constituant l’une des innovations majeures de la réforme, ne va pas sans rappeler :
- D’une part, l’abus de dépendance économique prévu et sanctionné par l’article L442-1 du Code de Commerce,
- Et d’autre part, la violence économique que la Cour de cassation admet, depuis son célèbre arrêt du 30 mai 2000 (Civ. 1re, 30 mai 2000, no 98-15.242).
Dans cette affaire, M. X..., assuré par le Groupe Azur, avait été victime d'un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu'il exploitait.
Le 10 septembre 1991, il signait un accord sur la proposition de l'expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs.
Revenant sur son consentement, il demandait judiciairement l’annulation de cet accord, en invoquant l’état de contrainte économique dans lequel il se trouvait alors.
Pour rejeter sa demande, la Cour d’Appel retenait que, la transaction ne pouvant être attaquée pour cause de lésion, la contrainte économique invoquée par M. X... ne saurait entraîner la nullité de l'accord.
La Cour de Cassation cassait l’arrêt en affirmant que « la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence ».
Voilà comment notre garagiste obtenait l’annulation de l’accord !
Au-delà de ces évocations, restait à savoir comment les juges allaient s’emparer de cette nouvelle cause de nullité contractuelle !
- Un premier arrêt de la Cour de Cassation sur la notion de violence économique
Finalement, il n’aura pas fallu attendre bien longtemps avant que la Cour de Cassation soit confrontée à la notion de violence économique.
C’est l’objet de son arrêt du 9 juillet 2019 (pourvoi n°18-12680).
Dans cette affaire opposant deux grandes entreprises du secteur de transport aérien, la Cour devait déterminer si l’accord relatif à l’augmentation des prix du prestataire, donné par un client sous pression économique, était vicié pour cause de violence.
Dans cette affaire, la société Transavia confiait à la société Derichebourg Atis, la maintenance de sa flotte d'avions, en janvier 2011.
En janvier 2013, Derichebourg informait l'ensemble de ses clients d'une augmentation de ses tarifs, ou à défaut, de la résiliation des contrats de maintenance en expliquant qu'elle les exécutait à perte.
Le 21 février 2013, Derichebourg envoyait à Transavia un projet d'avenant comportant une augmentation des tarifs de 20 % pour l'ensemble de la flotte et intégrant deux avions supplémentaires, en précisant qu'à défaut d'acceptation de cet avenant avant le… 1er mars, elle mettrait fin au contrat et cesserait d'exécuter ses prestations dans un délai de soixante jours.
Transavia signait cet avenant le 26 février 2013.
Dès le lendemain, Transavia adressait un courrier par lequel elle exprimait son mécontentement sur les méthodes employées pour augmenter les tarifs de manière comminatoire et arbitraire et indiquait avoir signé l'avenant sous la contrainte puisque les délais très courts ne lui permettaient pas de disposer d'une solution alternative pour la prise en charge, par un autre prestataire.
Transavia a ensuite appliqué un abattement de 20 % sur le paiement des factures de Derichebourg, puis lui a indiqué, le 19 septembre 2013, qu'un tiers lui succéderait à compter du 1er novembre 2013.
Le 14 octobre 2013, la société Transavia assignait Derichebourg pour voir annuler l'avenant du 26 février 2013 sur le fondement de la violence économique.
La Cour d’appel de Paris, par un arrêt en date du 20 décembre 2017, faisait droit à la demande de Transavia et jugeait que la violence économique était caractérisée puisque la compagnie aérienne n’avait en pratique pas d’autre alternative que d’accepter l’augmentation de prix.
En effet, il ne lui était pas possible de trouver un autre prestataire de services, qui plus est agréé par la direction de l’aviation civile, dans les délais impartis.
Si Transavia ne signait pas l’avenant contesté, elle ne pouvait pas intégrer à sa flotte, les 2 nouveaux avions qu’elle attendait (et dont la maintenance conditionnait la mise en circulation).
Derichebourg formait un pourvoi en cassation.
La Cour de Cassation cassait l’arrêt d’appel en retenant qu’il n’y avait là aucune violence économique :
« qu’en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi le risque de devoir retarder l’exploitation d’un seul avion, le temps de trouver un prestataire de maintenance pour sa prise en charge, l’aurait conduite à rompre ses contrats et aurait eu des conséquences économiques telles qu’il aurait placé la compagnie Transavia dans une situation de dépendance à l’égard de [Derichebourg] la contraignant à signer l’avenant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Les magistrats de la Haute Cour ont donc jugé que la menace d’une cessation de la prestation de services dans les 60 jours n’était pas suffisante.
La Cour de Cassation donne ici aux plaideurs une première indication : la violence économique sera entendue de façon … très restrictive !
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