La décision n° 422922 du 5 février 2020, a donné l'occasion au Conseil d’Etat de rappeler et de préciser les pouvoirs de suspension dont dispose le Directeur d'un centre hospitalier à l’égard des professeurs des universités - praticiens hospitaliers (PUPH). La solution que la Haute Juridiction a dégagé a vocation à s'appliquer non seulement aux professeurs des universités - praticiens hospitaliers mais également à l'ensemble des praticiens hospitaliers exerçant en tout ou partie leur activité dans un établissement public de soins.

 

Les praticiens hospitaliers, à l'instar de tous les fonctionnaires et agents publics, peuvent faire l’objet d’une suspension à titre conservatoire. La spécificité de leurs fonctions les placent, cependant, dans une situation particulière et sous l’autorité de plusieurs administrations.

C'est ainsi que les professeurs des universités - praticiens hospitaliers (PUPH) / ou les praticiens hosptaliers peuvent être suspendus de leurs fonctions par:

  • * Le Président de l’université: la suspension ne concerne alors que les fonctions d’enseignement, à l'exclusion des fonctions médicales (ne concernent donc que les PUPH, non les praticiens hospitaliers qui n'exercent pas de fonctions universitaires);
  • * Le Directeur général de l'agence régionale de santé (ARS):  le directeur général de l'agence régionale de santé compétent peut suspendre, sur le fondement de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique et en cas d'urgence, le droit d'exercer d'un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave;
  • * Le Ministre de tutelle:  en vertu de l’article 25 du décret n° 84-135 du 24 février 1984, en cas de procédure disciplinaire, les ministres de l’éducation et de la santé peuvent décider de suspendre le PUPH si « l'intérêt du service l'exige »;
  • * Le Directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière :
  • 1/ Sur le fondement de l'article R6152-77 du Code de la santé publique, il peut, dans l'intérêt du service, suspendre le praticien qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire;
  • 2/ Ou sur le fondement de l'article R. 6152-81 du CSP, lorsque l'intérêt du service l'exige, il peut suspendre le praticien qui fait l'objet d'une procédure d'insuffisance professionnelle en attendant qu'il soit statué sur son cas;
  • * Le Directeur du Centre hospitalier:
  • 1/ Sur le fondement de l'article R.6152-28 du CSP, si l'intérêt du service l'exige, le directeur de l'établissement peut, après avis motivé du président de la commission médicale d'établissement, décider de suspendre un praticien hospitalier de sa participation à la continuité des soins ou à la permanence pharmaceutique la nuit, le samedi après-midi, le dimanche et les jours fériés. Le directeur transmet alors sans délai sa décision au directeur général du CNG.
  • 2/ Bien qu'aucun texte ne le prévoit expressément, la jurisprudence administrative a également reconnu que le directeur d'un centre hospitalier qui exerce, aux termes de l'article L. 6143-7 du Code de la santé publique (CSP), son autorité sur l'ensemble des personnels de son établissement, peut, en cas d'urgence, et pour assurer la continuité du service et la sécurité des patients, décider de suspendre un praticien hospitalier de ses activités cliniques et thérapeutiques.

 

Dans l’affaire dont a eu à connaître le Conseil d’Etat, une professeurs des universités - praticienne hospitalière avait, à la suite de conflits avec d'autres praticiens et au vu d'un rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation, fait l'objet de plusieurs mesures de suspension de fonctions, émanant d'autorités différentes, plus précisément:

  • * Celle du président de l’université pour ses fonctions universitaires,
  • * Celle prononcée conjointement par les ministres de l’éducation et de la santé,
  • * Celle du directeur du centre hospitalier pour ses fonctions médicales, au motif de l'urgence, en vertu de la jurisprudence précitée.

L'intéressée a dirigé un recours en justice à l'encontre de ces trois décisions, afin d'en obtenir l'annulation. Si les deux premières ont été validées, la décision de suspension prise par le directeur du centre hospitalier a été  annulée.

Cette affaire a, ainsi, été l’occasion pour les sages du Palais Royal, de rappeler les règles de répartition des compétences entre les différentes autorités, notamment celles du directeur général de l’agence régionale de santé et du directeur de l’hôpital, ce qui lui permet de définir plus précisément les conditions d’intervention du directeur d’hôpital s'agissant de la suspension d'un praticien hospitalier.

 

La possibilité, fondée sur l’alinéa 4 de l’article L. 6143-7 du Code de la santé publique, , est un pouvoir que détient le le directeur d’un Centre hospitalier, de prononcer la suspension d’un praticien hospitalier et qui lui est reconnu sans fondement textuel, par suite d’une création prétorienne consacrée par l’arrêt du 15 décembre 2000, n°194807, Syndicat des professeurs hospitalo-universitaires.

 

Cette décision de suspension ne peut, néanmoins, intervenir que dans des cas bien précis.

 

Il semblerait, toutefois, que certains directeurs d'hôpitaux usent et abusent de ce pouvoir - ce qui a conduit le Conseil d'Etat a, à maintes reprises, rappeler les limites de ce pouvoir :

  •   Considérant que le directeur d'un centre hospitalier qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, lorsque la situation exige qu'une mesure conservatoire soit prise en urgence pour assurer la sécurité des malades et la continuité du service, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné » (CE, 7 décembre 2011, Centrehospitalier intercommunal Eure-Seine, n° 337972 ; CE, 30 mars 2011, Centrehospitalier d’Arras, n° 318184 ; CE, 24 juillet 2009, M. Marc A., n° 296641).

 

En d’autres termes, la décision de suspension ne peut être prononcée que dans la mesure où :

  • * Le Directeur se trouve face à une situation d’urgence ;
  • * Des circonstances exceptionnelles sont réunies ;
  • * Le Directeur en réfère sans délai aux autorités compétentes.

Dans la décision prononcée en date du 05 février 2020, le Conseil d'Etat vient clarifier encore davantage sa jurisprudence, en posant le principe selon lequel un directeur d’hôpital ne peut suspendre un médecin hospitalier, sur le fondement des dispositions de l’article L. 6143-7 du Code de la santé publique, que dans descirconstances exceptionnelles:

« 6. S'il appartient, en cas d'urgence, au directeur général de l'agence régionale de santé compétent de suspendre, sur le fondement de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, le droit d'exercer d'un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave, le directeur d'un centre hospitalier, qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du même code, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut toutefois, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider lui aussi de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné.

7. Il ressort des pièces du dossier qu'eu égard aux faits reprochés, à leurs conséquences sur l'activité du service et à la nature des responsabilités exercées par Mme B... qui avait été, ainsi qu'il a été dit, déchargée de ses fonctions de cheffe du pôle médico-judiciaire pour se voir confier la seule unité médico-légale, la poursuite de l'activité hospitalière de l'intéressée n'était pas de nature à caractériser une situation exceptionnelle mettant en péril, de manière imminente, la continuité du service de médecine légale où elle exerçait ou la sécurité des patients. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que le directeur général du CHU de Bordeaux a, en la suspendant de ses fonctions thérapeutiques et cliniques, fait une inexacte application des principes rappelés au point 6. Elle est par suite fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de sa requête, à demander l'annulation de la décision du 8 juin 2018. » (CE, 5ème - 6ème chambres réunies, 05/02/2020, n°422922).

 

Il ressort des considérants précités que, par principe,  le directeur général de l’agence régionale de santé est compétent, en cas d’urgence, pour suspendre « le droit d’exercer d’un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave », au terme de l’article L. 4113-14 du code de la santé publique.

Par suite, la possibilité, fondée sur l’alinéa 4 de l’article L. 6143-7 du Code de la santé publique, reconnue sans texte, par suite d’une création prétorienne consacrée par l’arrêt du 15 décembre 2000, n°194807, Syndicat des professeurs hospitalo-universitaires, pour le directeur d’un Centre hospitalier, de prononcer la suspension d’un praticien hospitalier ne peut qu’être exceptionnelle.

La Haute Juridiction précise ce qu’il convient d’entendre par « circonstances exceptionnelles » : « dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients » ; et rappelle que ce pouvoir s’exerce « à condition d’en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné ».

Autrement dit, la suspension à l’initiative du Directeur d’un Centre hospitalier ne peut intervenir que dans des hypothèses extrêmement limitées, lorsque trois conditions cumulatives sont réunies :

  •        * Une mise en péril imminente de la continuité du service,
  •        * Une mise en péril imminente de la sécurité des patients,
  •        * Une information immédiate des autorités de nomination.

Dès lors, le directeur de l'hôpital ne peut mettre en oeuvre son pouvoir de suspension qu'en cas d’extrême urgence, si un médecin constitue un réel danger et qu’il n’est pas possible d’attendre que les autorités compétentes à l’égard de ce médecin aient pris une décision le concernant.

Dans l'espèce qui était soumise à l'appréciation des magistrats du Palais royal,  il a été jugé que les faits reprochés à la praticienne (faits de harcèlement moral ayant occasionné une dégradation du climat de travail, qui a affecté la planification des activités universitaires et le déroulement des enseignements) n'étaient pas de nature à caractériser une situation exceptionnelle mettant en péril, de manière imminente, la continuité du service et la sécurité des patients.

Par suite, le Conseil d'Etat a estimé que le directeur du CHU qui employait la praticienne avait commis une erreur de droit en la suspendant de ses fonctions thépareutiques et cliniques et a annuler la décision de ce directeur.

 

Conclusion:

Le pouvoir de suspension du Directeur d'un Centre hospitalier ne peut être mis en oeuvre que dans des situations exceptionnelles, d'extrême urgence, où sont en péril, de façon imminente, la continuité du service et la sécurité des patients. Les services des ressources humaines des établissements de santé devront, désormais, veiller scrupuleusement à motiver précisément l'arrêté de suspension et à ce que celui-ci soit pris sans délai à compter de la connaissance des faits litigieux.

Cette mesure étant vocation n'intervenir que dans des situations extrêmes, il semble plus prudent de privilégier l'engagement de poursuites disciplinaires ou d'une procédure pour insuffisance professionnelle, avec mise en oeuvre, parallèlement, d'une suspension. Cette prérogative appartient au seul Directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, à qui devra donc s'adresser la direction de l'hôpital, mais apparaît beaucoup plus sécurisante juridiquement.

 

Par Elodie DUCREY-BOMPARD, avocat associé de la SCP ALPAVOCAT, société d’avocats inscrite au barreau des Hautes-Alpes, à GAP

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Avocat associé

 

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