Il n’est pas aisé, pour le propriétaire d’un local commercial de se séparer de son preneur.
Le statut des baux commerciaux a en effet une légère tendance à protéger, pour ne pas dire surprotéger, le preneur.
Pour pouvoir lui donner congé, le bailleur devra soit lui verser une indemnité d’éviction, dont le montant sera souvent prohibitif, soit être en mesure d’invoquer à l’encontre de son preneur un motif grave et légitime tel que, pour ne citer que le motif plus évident, le non-paiement du loyer.
Mais là encore, le preneur aura toujours la possibilité de demander au Juge des délais de paiement.
Le Juge pourra non seulement les lui accorder, mais il pourra également suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant autorité de chose jugée.
En d’autres termes, pour éviter au preneur de se retrouver à la rue, le Juge pourra aller à l’encontre du contrat en rendant la clause résolutoire dépourvue d’effet.
Qu’en est-il de la marge de manœuvre du bailleur lorsque son preneur décide de céder son droit au bail ?
- Le rôle joué par le bailleur à l’acte de cession
En matière de bail commercial, le droit pour le locataire de céder le bail constitue le plus souvent un élément essentiel du fonds de commerce qu’il exploite.
C’est la raison pour laquelle l’article L145-16 alinéa 1er du Code de commerce dispose :
« Sont également réputées non écrites, quelle qu'en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu'il tient du présent chapitre à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise ».
Ainsi, le bailleur ne peut interdire au preneur de céder son bail à celui qui rachètera son fonds de commerce.
Attention cependant : ne pas pouvoir interdire ne signifie pas n’avoir aucun droit de regard !
Les clauses venant limiter ou aménager le droit du locataire de céder son droit au bail étant admises en Jurisprudence, le bailleur pourra, par exemple, restreindre le choix de l’acquéreur en ne lui permettant de céder son droit au bail qu’à l’acquéreur de son fonds de commerce ou encore, à un successeur dans le commerce (en d’autres termes, à un commerçant exerçant une activité identique à la sienne).
Sont également admises les clauses subordonnant la cession à l’autorisation du bailleur.
Ainsi, et c’est heureux, le bailleur pourra refuser tel ou tel candidat à l’acte d’acquisition du droit au bail.
Le bailleur ne devient pas pour autant partie à la cession ; il reste tiers au contrat.
Afin de ne pas trop s’affranchir de la sacro-sainte protection du locataire, le législateur a prévu un moyen de contourner l’éventuel refus d’agrément du bailleur : dans cette hypothèse, le locataire pourra demander au Juge d’ordonner la cession.
Une telle limitation apportée au droit de regard du bailleur suppose cependant que le locataire soit en mesure de rapporter la preuve du caractère infondé du refus de bailleur.
Ainsi, dans une affaire où un bailleur avait refusé à son locataire de céder son droit au bail à un tiers qui exerçait une activité de sandwicherie et de saladerie, en invoquant une clause du bail excluant toute pratique d’une activité bruyante et malodorante, la Cour d’appel de BOURGES a considéré qu’au regard de l'environnement dans lequel se situait l'immeuble (rue commerçante et bruyante) et de l’absence d’utilisation dans les établissements de la marque du cessionnaire de matériels de cuisson tels que grils ou friteuses, il ne pouvait être considéré que la clientèle de la sandwicherie serait génératrice de nuisances sonores.
Le refus du bailleur a donc été qualifié d’injustifié et la cession du bail au profit de la sandwicherie a été autorisée (Cour d'appel, Bourges, Chambre civile, 2 Juillet 2015 – n° 15/00127)
S’il est avéré que le refus du bailleur d’agréer le cessionnaire est discrétionnaire et qu’il ne revêt pas de caractère légitime, le juge pourra aller jusqu’à le condamner à verser au cédant des dommages et intérêts (voir en ce sens : C. cas, civ.3ème, 9 mai 2019, n°18-14540).
Quid du bailleur, dont l’accord est demandé par le locataire pour la cession, qui ne la refuse pas expressément mais reste taisant ? Peut-on considérer que son acceptation est tacite ?
La réponse doit se faire par la négative : en effet, la jurisprudence ne se satisfait pas de la simple absence de réaction du bailleur qui a eu connaissance de la cession (Cass. Ass plén., 14 février 1975, Gaz Pal. 17 mai 1975).
La ratification suppose un acte positif (Cass. 3è civ.,10 mai 1989, n° 87-17504).
Le bailleur ne peut impunément refuser de se prononcer sur le cessionnaire proposé par le preneur : il a été jugé que le bailleur, qui s’était abstenu délibérément de répondre aux nombreuses demandes d’agrément d’un cessionnaire qui lui avaient été envoyées par le preneur avait commis une faute qui l’empêchait d’invoquer l’irrégularité de la cession et de demander la résiliation du bail (Cass. 3è civ. 5 janvier 2012, n°10-20179).
Le plus souvent, il est prévu au contrat de bail que le bailleur sera appelé à l’acte de cession et ce, même s’il n’en est pas partie.
- La cession du bail en cas de procédure collective
L'article L. 145-45 du Code de commerce pose le principe selon lequel le redressement et la liquidation judiciaires pas, de plein droit, la résiliation du bail commercial.
Toute clause contraire serait réputée non écrite.
Conformément à l’article L. 641-12, al. 5 du Code de commerce, le mandataire judiciaire peut prendre la décision de poursuivre le contrat de bail, et ce, afin de pouvoir procéder à une cession de celui-ci.
La cession du bail devra être autorisée par le juge-commissaire (article L. 642-19 du Code de commerce).
Dans une telle situation, les clauses du bail afférentes à la cession devront être respectées, qu’il s’agisse de la clause d'agrément, du pacte de préférence (Cass. com., 13 févr. 2007, n° 06-11.289), ou encore de la clause imposant le consentement préalable et par écrit du bailleur ainsi que la rédaction d’un acte authentique en présence de ce dernier.
- Le droit de préemption du bailleur
Il arrive souvent que le bail commercial contienne une clause réservant un droit de préemption au bailleur en cas de vente du fonds.
Ce type de clause est considéré comme valable par la Jurisprudence (Cass. Civ.3è, 12 juillet 2000, n°98-22000).
Dès lors que le droit de préemption du bailleur ne limite pas la possibilité pour le preneur de vendre son fonds de commerce et de céder son droit au bail, on imagine difficilement qu’une telle clause puisse être considérée comme illicite.
Si le preneur ne respecte pas un tel droit de préemption, il s’agit d’une faite grave qui peut entraîner la résiliation du bail sans droit à une quelconque indemnité d’éviction (CA Paris, 16è Ch. Section A, 1er février 2006, n°04/22425 : AJDA, mai 2006, p.378).
Lorsque le preneur fait l’objet d’une procédure collective, le liquidateur judiciaire qui a été autorisé par le juge commissaire à céder le fonds de commerce, doit respecter la clause du bail prévoyant un droit de préemption du bailleur (Cass. Civ.3ème, 13 février 2007, 06-11289).
En présence d’une clause restrictive, mais licite, à laquelle le cédant ne se serait pas conformé, le bailleur pourra faire constater la nullité de la cession. Il pourra aussi solliciter la résiliation judiciaire du bail auprès du Tribunal ou opposer au preneur un refus de renouvellement sans indemnité d’éviction pour motif grave et légitime.
En conclusion, en cas de cession du droit au bail par son preneur, le bailleur doit être particulièrement attentif car il aura peut-être une occasion de récupérer son local à moindre frais.
Ces occasions ne se présentant que très rarement en matière de baux commerciaux, il est vivement conseillé au bailleur qui se voit notifier un projet d’acte de cession de se faire conseiller par un avocat pour s’assurer que ses droits soient bien respectés et pour, s’il le souhaite, faire jouer son droit de préemption et récupérer son local.
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