Les violences conjugales d’un point de vue pénal

EMILIE GARCIA, AVOCAT

 

Introduction

 

Les violences conjugales ont fait l’objet, depuis le début des années 2000, d’une attention soutenue de la part des pouvoirs publics.

Afin que des violences soient sanctionnées pénalement, il faut réunir plusieurs critères :

  • Une victime
  • La réalisation d’un acte positif, à savoir :

o   Soit des coups (contact brutal avec la victime)

o   Soit des violences légères > absence d’incapacité totale de travail (ex en jurisprudence : le fait de cracher sur quelqu’un, de le secouer légèrement, de tenter d’ouvrir la portière d’un véhicule au cours d’une altercation entre automobilistes,…)

o   Soit une voie de fait (ce qui est considéré comme pouvant impressionner une personne raisonnable) : exemples : des appels téléphoniques multiples et agressifs (malveillants), une attitude menaçante (avancer avec un couteau, tirer un coup de feu en l’air pour effrayer la victime), l’envoi de lettres anonymes, le fait de laisser une personne enfermée dans un bâtiment, etc …

Nous avons tendance à penser uniquement aux coups mais il y a aussi les violences psychologiques ou sexuelles, de plus en plus sanctionnées, même si c’est encore difficile du fait de la difficulté de rapporter la preuve des faits… Ilf faut en effet prouver :

  • l’existence d’un lien de causalité entre l’acte et le préjudice de la victime
  • L’intention malveillante 

 

D’une infraction résultent :

  • Des poursuites pénales (Une enquête, une décision de justice,…)
  • Une sanction (rôle double en matière pénale : punir et éviter la réitération : prévention)
  • Une réparation (dédommagement de la victime)

En matière pénale, il y a eu une évolution importante: avant il fallait être marié pour être victime de violences conjugales

Désormais :

  • On peut être pacsés ou concubins
  • On peut être séparés ( ex-conjoint  ou concubin)

 

1-    Les textes applicables (nationaux et internationaux)

 Le code pénal et le code de procédure pénale :

 Texte général : circonstance aggravante : Article 132-80 CP :

« Dans les cas respectivement prévus par la loi ou le règlement, les peines encourues pour un crime, un délit ou une contravention sont aggravées lorsque l’infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité.

La circonstance aggravante prévue au premier alinéa est également constituée lorsque les faits sont commis par l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Les dispositions du présent alinéa sont applicables dès lors que l’infraction est commise en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime. »

A-     Sur les violences physiques : Articles 222-7 à 222-16-3 :

  • -227-7 : violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner : 15 ans de réclusion criminelle MAIS :
  • -222-8 4 ter : 20 ans si commis sur le conjoint, les ascendants ou les descendants en ligne directe ou sur toute autre personne vivant habituellement au domicile des personnes
  • -222-9 : violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente : 10 ans d’emprisonnement (et amende) MAIS :
  • -222-10 : 15 ans si sur conjoint
  • -222-11 : violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours :3  ans d’emprisonnement MAIS
  • -222-12 : 5 ans si sur conjoint
  • -222-13 : violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à 8 jours ou aucune incapacité de travail : 3 ans d’emprisonnement (+amende) si sur conjoint notamment (sinon ce n’est plus un délit mais une contravention passible du tribunal de police)

Mais encore :

  • -Article 222-14-4 (Créé par la loi du 5 août 2013 : harmonisation de nos règles nationales avec celles de l’Union européenne et à des engagements internationaux) : sanctionne le fait, dans le but de contraindre une personne à contracter un mariage ou à conclure une union à l’étranger, d’user à son égard de manœuvres dolosives afin de la déterminer à quitter le territoire de la République : puni de 2 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende
  • -222-16 : Les appels téléphoniques malveillants réitérés, les envois réitérés de messages malveillants (communications électroniques) ou les agressions sonores en vue de troubler la tranquillité d’autrui : 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende

 

B-      Sur les violences psychologiques : articles 222-33-2 à 222-33-2-2 

Parallèle à faire avec les textes relevant de la section du Code relative au « harcèlement moral »

L’article 222-33-2-1 du code pénal évoque spécifiquement le cas du conjoint ou ancien conjoint victime

Harceler comment ?

  • par des propos ou comportements répétés
  • conséquences : une dégradation des conditions de vie de la victime ;

laquelle ? une altération de la santé physique ou mentale de la victime

  • sanctions maximum encourues:
    • 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende si l’incapacité temporaire totale (ITT) est inférieure ou égale à 8 jours ou aucune incapacité
    •  5  ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende si ITT supérieure à 8 jours

 

C-      Sur les violences sexuelle : articles 222-23 à 222-26 

  • Viol = 15 ans de réclusion criminelle en principe MAIS 20 ans sur conjoint
  •  Mutilation, excision,…

 

  • Les autres textes (nationaux et internationaux) :

o   Circulaire n°2014/0130/C16 relative à la lutte contre les violences au sein du couple 

Lutte contre les violences conjugales = Priorité de politique pénale nationale

Le Parquet (services du Procureur de la République) doit désormais faire de la prévention et donc travailler avec les autres acteurs locaux comme le milieu associatif (associations d’aide aux victimes), assistantes sociales, hôpitaux,…

Volonté de dépistage des situations conjugales violentes : demande de dénonciation de ces situations et désignation d’un magistrat référent (et ,dans les parquets assez « grands », d’un pôle « mineurs-famille »)

But :

  • traitement rapide et efficace
  • prise en charge rapide des mineurs ayant pu assister à des violences conjugales (voire être victimes eux-mêmes)
  • solution d’hébergement d’urgence (problématique de : est ce à la victime de partir et se reloger… aller en foyer… avec les enfants..  ? ou à elle de demeurer dans le domicile conjugal et à l’auteur d’en partir ? )
  • meilleure communication parquet/JAF/Juge des enfants/JAP/JI/PJJ/SPIP… recherche d’harmonie des décisions relatives à une même famille…(il est suggéré qu’un Juge d’instruction ou un juge des libertés se renseigne auprès du juge des enfants sur une éventuelle mesure d’assistance éducative en cours pour adapter le contrôle judiciaire…ces pistes ne sont pas encore très effectives en pratique)
  • sensibilisation des OPJ (exclure les mains courantes au profit des plaintes+enquête en cas de violences conjugales, les Parquets peuvent donner des PV types et des trames d’audition, favoriser et améliorer l’examen médico-légal (conséquences physiques mais aussi psychologiques à ne pas négliger !),traitement en tps réel des procédures avec information régulière du Procureur par les enquêteurs, éviction de l’auteur des faits du domicile conjugal en cas d’alternative aux poursuites avec retour aux enquêteurs pour s’assurer de l’effectivité de la sanction,…))

Cette circulaire met notamment en place le système de télé-assistance pour les personnes « en grave danger » (la loi du 4 août 2014 a officialisé son utilisation et complété le code de procédure pénale à cet égard)

 

o   LOI n°2010-769 du 9 juillet 2010 – art. 32

« relative aux violences faites spécifiquement aux femmes , aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants »

Ajoute la répression spécifique des violences conjugales :

  • Contre une personne en raison de son refus de contracter un mariage ou de conclure une union
  • Dans le cas où un crime contre un conjoint est commis à l’étranger à l’encontre d’une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation
  • Contre une personne afin de la contraindre à contracter un mariage

 

o   La loi n°2014-873 du 4 août 2014

pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes

(les violences conjugales sur les hommes sont expressément visées…)

Ce texte AJOUTE :

  • en cas de violences conjugales : la voie de la médiation MAIS :
    • uniquement si la victime en a fait expressément la demande.
    • l’auteur des violences fait également l’objet d’un rappel à la loi
    • si après la médiation de nouvelles violences sont commises : nouvelle médiation impossible (Dans ce cas, composition pénale ou poursuites envisageables)

 Modification du code de procédure pénale :

  • le procureur de la République recueille ou fait recueillir, dans les meilleurs délais, l’avis de la victime sur l’opportunité de demander à l’auteur des faits de résider hors du logement du couple

en principe cette mesure est prise si les faits sont susceptibles d’être renouvelés et que la victime la sollicite.

Le procureur peut préciser les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement pendant une durée qu’il fixe et qui ne peut excéder six mois.

  • En cas de grave danger menaçant une victime, le procureur peut attribuer à la victime, pour une durée renouvelable de six mois et si elle y consent expressément, un dispositif de téléprotection lui permettant d’alerter les autorités publiques. Cela :
    • permet sa géolocalisation au moment où elle déclenche l’alerte
    • n’est possible qu’en l’absence de cohabitation
    • et si il y a une interdiction judiciaire d’entrer en contact avec la victime (découlant d’une ordonnance de protection, alternative aux poursuites, composition pénale, contrôle judiciaire, assignation à résidence sous surveillance électronique, condamnation, aménagement de peine,…).
  •  Ajout d’un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes :L’auteur des violences doit accomplir à ses frais un stage de responsabilisation

 Le Procureur peut demander une sanction permettant d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction et/ou de contribuer au reclassement de l’auteur

Avant décision sur l’action publique et même par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire (OPJ), un délégué du procureur (en maison de justice) ou médiateur (médiation pénale)

 

  • Formation des professionnels :

Les différents professionnels concernés (médecins, magistrats, avocats, agents de l’état civil, enseignants, policiers (même municipaux), gendarmes, agents de la préfecture délivrant les titres de séjour, de l’OFPRA, du personnel d’animation sportive, culturelle et de loisirs, …) doivent être formés quant aux violences intrafamiliales.

 

o   La convention d’Istanbul ratifiée le 4/7/14

Elle est entrée en vigueur en France le 1 novembre 2014.

Elle a été envisagée du fait du volume croissant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui établit des normes importantes en matière de violence à l’égard des femmes.

Le préambule indique notamment : :

« Reconnaissant que la violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation »

« Reconnaissant que les femmes et les filles sont exposées à un risque plus élevé de violence fondée sur le genre que ne le sont les hommes »

« Aspirant à créer une Europe libre de violence à l’égard des femmes et de violence domestique »

Buts :

  • Protection des individus
  • Concevoir un cadre global de lutte pour les différents pays, une harmonisation
  • Favoriser la coopération internationale
  • Que les pays qui n’ont pas encore pris de mesures législatives suffisantes le fassent
  • Que les pays qui n’ont pas accordé un budget à cette lutte le fassent
  • Que les pays désignent un organe officiel de coordination des mesures mis en place dans les différents secteurs (école, justice, santé,…)
  • Que les pays se communiquent leurs statistiques et fassent de la recherche sur l’efficacité des sanctions, etc…
  • Que les pays fassent des programmes de sensibilisation, forment les professionnels, mettent en place une permanence téléphonique gratuite, des mesures de protection et de soutien des enfants témoins, des procès, des systèmes d’indemnisation, etc…

Définit la violence domestique comme une violation des droits de l’homme au sens générique

 

 

o   Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Convention internationale

De 1950 (avec des évolutions par des protocoles postérieurs)

But : protéger les droits de l’homme et libertés fondamentales par un contrôle judiciaire du respect de ces droits.

Le protocole n°7 affirme par exemple l’égalité entre époux.

Les violences sont bien sûr bannies par tous les pays signataires.

 

2-    Quelques statistiques

De nombreux critères intéressants :

  • femmes-hommes
  •  évolution chronologique
  • secteur urbain/rural
  • France/autres pays
  •  nombre de décès
  • récidive
  • peines prononcées,…

 

L’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) publie depuis 2007 une étude sur les « violences physiques ou sexuelles au sein du ménage ».

nombre de victimes de violences physiques ou sexuelles au sein du ménage : 943 000

=  soit 2,2% des personnes entre 18 et 75 ans entre 2008 et 2010 en France

663.000 femmes et 280.000 hommes

Pour les 2 : environ 90% de victimes de violences physiques et 15-20% de violences sexuelles (+ pour les femmes)

La moitié des hommes a subi une seule atteinte

Mais seules 35 % des femmes ont subi une seule atteinte

L’OMS publie des statistiques mondiales

48 enquêtes de population réalisées dans le monde

10 % a`69 % des femmes déclarent avoir été agressées physiquement par un partenaire intime de sexe masculin à un moment de leur vie.

Le pourcentage de femmes agressées par un partenaire dans les 12 mois précédant l’enquête varie :

  • de 3% ou moins en Australie, au Canada et aux Etats-Unis
  • a 27% au Nicaragua
  • à 38% en Corée
  • à 52 % des Palestiniennes actuellement mariées en Cisjordanie et dans la bande de Gaza

 

NB : Les violences conjugales : problème préoccupant particulièrement l’Espagne

***

Globalement :

  • + de femmes que d’hommes
  • peu de faits déclarés
  • 2010-2013 : 16% de taux de plainte
  • vls sexuelles : 10% de taux de plainte
  • En 2014, 134 femmes ont été tués par leur compagnon ou ex-compagnon
  • 31 hommes
  • 86.000 femmes victimes de viols ou tentatives / an = dans 38% des cas c’est le conjoint…

(10% ont déposé plainte- et certaines retirent ensuite leur plainte…)

 

  • 53.000 femmes en 2004 avaient subi des violences sexuelles ; 9 sur 10 excisées avant l’âge de 10 ans

 

De nombreuses sources :

Chaque année, la délégation aux victimes du Ministère de l’Intérieur  réalise une étude pour quantifier et décrire les homicides perpétrés entre conjoints, en France

  • Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) : rapport annuel 2013.
  • Direction de la recherche, des études, des évaluations et des statistiques (DRESS) du Ministère de la Santé
  • INSEE
  • UNICEF
  • INED : recul des mariages forcés (Institut national d’études démographiques)
  • Enquêtes locales : observatoire régional,…

 

Conséquences sur la santé : ces violences conjugales :

  • Affectent durablement la santé physique et mentale
  • Multiplient par 2 le risque de fausse couche
  • Augmentent de 17% le risque de naissance prématurée
  • Augmentent de 26% le risque de faire un tentative de suicide dans l’année suivant les violences

 

Sur 224 victimes de violences conjugales :

  • 25 enfants étaient présents
  • 110 sont devenus orphelins (de père, mère ou les 2)
  • 60 auteurs se sont suicidés

 

 

o   Causes

L’OMS a réussi à lister une série d’événements responsables de la violence conjugale : ex :

  • ne pas obéir à l’homme
  • lui répondre
  • ne pas avoir préparé le repas à temps
  • ne pas bien s’occuper des enfants ou du foyer
  • interroger l’homme sur des questions d’argent ou au sujet de petites amies
  • aller quelque part sans l’autorisation de l’homme
  • refuser de coucher avec l’homme
  • l’homme soupçonne la femme d’infidélité

selon l’OMS, des facteurs de risque :

  • la pauvreté familiale pendant l’enfance et l’adolescence
  • de mauvais résultats scolaires
  • une délinquance agressive à l’âge de 15 ans
  • la consommation d’alcool chez les hommes
  • et les troubles de la personnalité

 

A-    Les différentes étapes possibles des procédures pénales

  • Main courante (rôle) / Plainte (la plainte est favorisée par loi 2010)
  • Garde à vue éventuelle
  • Alternative aux poursuites :
    • Composition pénale (en maison de justice)
    • Rappel à la loi
    • Médiation pénale (si victime ok)

 

  • Tribunal de police (contravention)
  • Tribunal correctionnel / comparutions immédiates (délit)
  • Cour d’assises (crime)

 

B-    Les différentes Peines encourues

Mesures provisoires :

 Expulsion de l’auteur des violences du domicile conjugal par  le juge des libertés et de la détention (JLD) si contrôle judiciaire ou par le Procureur de la République (alternative aux poursuites)

Placement sous contrôle judiciaire  (obligations comme  le fait de résider hors du domicile conjugal, ne pas s’y présenter, ne pas entrer en relation avec la victime, se soumettre à une obligation de soins…)

Assignation à résidence sous le régime de la surveillance électronique en cas de violences aggravées (rare)

Placement en détention provisoire du partenaire violent

 

 Mesures définitives :

Eloignement du conjoint violent :

Emprisonnement et/ou amende

Sursis

Mise à l’épreuve

suivi socio-judiciaire

stage de responsabilisation pour la prévention des violences conjugales

+  téléphone « grand danger » (pour contacter directement une plateforme spécialisée en cas de danger, qui alertera la police ou la gendarmerie si nécessaire. géolocalisation possible) : attribué par le Procureur pour 6 mois renouvelables en cas d’éloignement du conjoint violent (cas les plus graves)

+ suivi de la victime par une association désignée par le Procureur

+ Action du Procureur en nullité de mariage : en cas d’absence du consentement des époux ou de l’un d’entre eux (et non plus seulement à l’initiative des époux ou de l’un d’entre eux)

 

Conclusion

En fin de parcours, des phases sont importantes, même si douloureuses, pour la victime :

  • la constitution de partie civile dans le procès pénal – indemnisation
  • rôle réparateur du procès (malgré l’épreuve qu’il représente)
  • Associations d’aide aux victimes – avant et après jugement
  • Indemnisation par le biais de la saisine de la CIVI ou du SARVI (avec ou sans décision pénale) en cas de faits avérés et d’auteur insolvable notamment