1. Le prélèvement à la source à l’étranger

Contrairement à une idée répandue, les pays comparables à la France n’appliquent pas tous la retenue à la source pour l’imposition de l’ensemble des revenus. En outre, là où la retenue à la source est utilisée, le concept de « foyer fiscal » a beaucoup moins d’effets sur le taux moyen d’imposition que dans le modèle français, basé sur un « quotient familial », mode de calcul qui influe profondément sur la progressivité de l’impôt. Pour ces deux raisons, l’anticipation de l’impôt final est plus simple, et les corrections finales moins sensibles pour le contribuable.

Aux États-Unis, l’impôt fédéral sur le revenu (Federal Income Tax) n’est payé à la source (withholding tax) essentiellement que pour les salaires et accessoires au salaire (intéressement au chiffre d’affaires, indemnités de licenciement). À l’inverse, les impôts sur les revenus indépendants (revenus d’entrepreneur individuel, intérêts, dividendes, plus-values, loyers etc.) sont réglés directement par le contribuable, par le biais d’acomptes trimestriels (estimated tax).

De plus, s’agissant de la retenue à la source, le calcul est d’autant plus proche de l’impôt final que la taxation par foyer fiscal n’est qu’optionnelle outre-Atlantique. Et même dans ce cas, aucun système de quotient ne modifie en profondeur la progressivité de l’impôt.

Au Royaume-Uni, l’impôt sur le revenu (income tax) est essentiellement individuel, tandis qu’en Allemagne (Einkommensteuer) les contribuables mariés peuvent opter pour une imposition séparée ou commune. Même dans ce dernier cas, il n’y a pas de quotient familial, mais l’application d’un abattement forfaitaire et d’un barème différent selon la situation.

 

2. Une source de tensions et de contentieux pour les « foyers fiscaux »

Tel qu’envisagé, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu (IR), par essence individuel, serait appliqué en France à un impôt intrinsèquement familial, ce qui ne devrait pas manquer de susciter certaines difficultés, voire des conflits au sein des ménages, surtout lorsque les revenus des conjoints sont inégaux. De même il sera source de contentieux supplémentaire entre époux, lorsqu’intervient une séparation.

L’IR étant familial, sa progressivité varie largement en fonction du nombre de parts déterminant le quotient familial, tandis que l’impôt sera retenu à la source sur les revenus de chacun des membres composant la famille (les conjoints, mais aussi leurs enfants mineurs, ou rattachés au foyer fiscal).

Nombreuses sont les familles où un conjoint gagne beaucoup moins que l’autre. Cette situation se produit souvent au détriment des femmes, dont le salaire moyen est inférieur de 19% à celui des hommes (statistique : INSEE). Et encore cette moyenne ne reflète qu’imparfaitement l’écart de revenus entre conjoints, qui est souvent encore plus large. Quel sera le taux d’imposition appliqué dans le cas de deux personnes, dont l’une gagne 4.000 € par mois, et l’autre 2.000 € ? Dans le cas de salariés, s’ils étaient célibataires et donc imposés séparément, l’impôt 2016 était de 7.315 € pour le premier (taux moyen 16,93%), et de 1.666 € pour le second (taux moyen 7,71%). Dans le cas où ces deux personnes sont mariées, l’impôt commun était de 8.151 € (taux moyen 12,58%).

Qu’en sera-t-il avec le prélèvement à la source ? Toujours dans le cas de célibataires, l’impôt prélevé mensuel sera d’environ 610€ pour le revenu le plus élevé, soit un salaire net de 3.390 €. Pour le salaire de 2.000 €, le prélèvement mensuel sera de 139 €, soit un revenu net de 1.861 €. Si ces deux personnes sont mariées, le prélèvement sur le revenu le plus important sera réduit de plus de 25 %, à 454 € (gain de 156 €), tandis que celui des deux conjoints ne gagnant que 2.000 € verra son impôt augmenter de 63 %, et prélever 88 € de plus que s’il était célibataire, soit 227 € par mois.

L’exécutif a déjà indiqué que les membres d’un couple pourront, à leur demande, être imposés à des taux différents, ce qui créera une surcharge de travail pour les services des Finances Publiques qui devront émettre de nouveaux titres de prélèvement à transmettre aux employeurs, et qui aura un coût de gestion accru pour les entreprises qui se verront obligées d’appliquer ces variations.

Il y a là en outre, au sein du foyer fiscal, au moins un risque de discorde. Qu’en sera-t-il si le plus faible revenu des deux au sein d’un ménage considère qu’il paie trop, et que son conjoint refuse de demander une modulation des prélèvements ? Ainsi, comment s’appliquera le principe visé à l’article 214 du Code civil selon lequel : « Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. » Il y a là un risque que le conjoint qui considère supporter une trop lourde charge de l’impôt sur le revenu du ménage, saisisse le juge aux affaires familiales.

Et en cas de rupture, la déclaration étant souscrite a posteriori, la question du remboursement du trop perçu, ou du règlement des sommes restant dues, risquera d’être rendue encore plus difficile et conflictuelle que dans le système actuel.

Les époux sont en effet solidairement responsables de leurs dettes fiscales. Mais à qui, ou dans quelles proportions, seront restitués les trop perçus, dans un système de prélèvement à la source ? Le calcul au prorata des revenus sera le plus simple, mais il sera socialement injuste, tandis que toutes les autres solutions seront complexes à mettre en œuvre, et même difficiles à être acceptées et comprises par les contribuables concernés.

Dans le cas de partenaires d’un PACS, l’article 515-4 du Code civil dispose : « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une (…) aide matérielle et une assistance réciproques. Si les partenaires n’en disposent pas autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives ». Comment seront conciliées la progressivité de l’impôt commun des partenaires d’un PACS, et l’obligation d’aide matérielle proportionnelle à leurs facultés respectives ?

 

3. Un impôt plus élevé pour se prémunir d’anticipations économiques moins fiables ?

L’impôt sur le revenu (IR) étant dû jusqu’à présent sur les revenus de l’année n-1, l’État doit consentir des étalements, des délais, voire des dégrèvements aux personnes dont la situation financière s’est détériorée au moment de devoir payer l’impôt.

En taxant les revenus au moment de leur réalisation par le prélèvement à la source, ce risque n’existera plus, ce qui constitue une meilleure garantie pour la rentrée de ses recettes budgétaires, votées par le Parlement. En outre, cette réforme rapproche les conditions de prélèvement de l’IR de celles de la CSG.

En revanche, au niveau de la préparation du budget de la Nation, le prélèvement à la source risque de compliquer la tâche des services en charge de l’élaboration de la partie « recettes ». Car il faudra désormais anticiper, dans un contexte de croissance volatile, les recettes fiscales de l’IR, non plus avec la relative lisibilité des revenus dont on dispose pour l’année en cours, mais uniquement à partir de prévisions macroéconomiques, dont certaines à plus d’un an. Ce manque de visibilité risque d’inciter à accroître encore à la marge la pression fiscale. 

Dans le système actuel, les barèmes et taux d’imposition à l’IR sont votés par le Parlement pour s’appliquer aux revenus de l’année qui s’achève. Ces éléments sont votés en fin d’année, dans le cadre du projet de loi de finances pour l’année suivante, en prenant donc en compte les revenus de l’année durant laquelle le ministère en charge des comptes publics prépare le projet de budget.

Ainsi, le budget de l’État pour 2016 a été préparé par le gouvernement au cours du printemps 2015. Les derniers arbitrages sont intervenus en juillet et août, et le législateur a adopté la loi de finances 2016 au cours de l’automne 2015, adossé sur les revenus générés également au cours de 2015.

Les taux d’imposition sont, dans le système actuel, établis en fonction de l’estimation des recettes qu’ils peuvent procurer, donc également à partir de l’estimation des revenus qui auront été perçus au cours de l’année sur laquelle portera l’IR (année n-1). Grâce à ce calendrier, l’État peut avoir une idée assez précise de la masse des revenus qu’il imposera.

Concrètement, les services préparant le budget disposent, au cours de la phase d’élaboration du projet, des statistiques sur les grandes masses de revenus distribués au cours du premier trimestre de l’année sur laquelle portera l’IR qui sera perçu l’année suivante. Ils disposent également déjà d’estimations fiables pour les deuxième et troisième trimestres, et enfin des prévisions pour le quatrième trimestre.

Qu’en sera-t-il lorsque les fonctionnaires en charge de la préparation du projet de budget de l’année à venir ne disposeront plus que de prévisions, nécessairement moins affinées que les chiffres officiels et les estimations, malgré la qualité des statistiques de l’INSEE ? Ainsi, dans l’hypothèse d’un prélèvement à la source dès 2018, le budget pour cet exercice devra être élaboré au printemps et à l’été 2017 à partir de l’image, relativement plus imprécise compte tenu des fluctuations de la croissance, des revenus qui seront distribués en France en 2018.

De plus, les déclarations s’effectuant alors sur les revenus effectivement perçus au cours de l’exercice fiscal précédent, les corrections d’écarts entre l’impôt réellement dû et le total des prélèvements effectués seront soldées sur l’exercice fiscal de l’année n+1 (2019 en l’espèce pour la première application du prélèvement à la source) ce qui ajoute, pour l’État, à la complexité des évaluations macroéconomiques. Compte tenu du taux de prélèvement fiscal rapporté au PIB, une variation de seulement 0,1% en plus ou en moins de la croissance influe très fortement sur le volume des rentrées fiscales.

La croissance est actuellement suffisamment erratique pour que les prévisions à plus d’un an restent relativement imprécises, ce qui oblige d’ailleurs l’INSEE et le FMI à devoir réévaluer en cours d’année leurs prévisions pour la France.

Alors que les déficits budgétaires restent importants et que l’objectif de réduction de la dette constitue un enjeu fondamental pour les finances publiques, il pourrait s’avérer nécessaire de donner un « coup de pouce » vers le haut aux taux d’imposition (ou de ne pas actualiser les barèmes des tranches, ce qui revient finalement au même), augmentant d’autant la pression fiscale, pour éviter un risque d’aggravation des déficits au cas d’une conjoncture plus morose que prévue.

Ainsi, la plus grande complexité pour évaluer la « masse » imposable pourrait conduire à devoir appliquer une « prime de risque » au taux d’imposition.

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