Introduction

L’expropriation pour cause d'utilité publique est une procédure au terme de laquelle une personne publique (État, collectivités territoriales : Commune, département, région, collectivité à statut particulier, etc.) va porter atteinte à votre droit de propriété en vous forçant à céder une partie ou la totalité d'un ou plusieurs de vos bien immobiliers à son profit, dans le but de réaliser des constructions ou des aménagements ayant une utilité publique..

La procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique prévoit le paiement d’une indemnité au propriétaire exproprié qui doit être « juste et préalable ». La procédure comprend souvent deux temps : une première phase administrative préparatoire au cours de laquelle la personne publique doit démontrer l'utilité publique de son projet, et une seconde phase judiciaire quand elle s'impose, servant à garantir le transfert de propriété à la personne publique et le paiement de l'indemnité.

Ces procédures sont bien plus complexes qu'il n'y paraît. Je vous propose quelques clés pour comprendre les phases judiciaires (il n'y en a pas qu'une !), assurément les plus complexes et délicates.

 

Plantons le décor.

On supposera, pour le présent exercice, que vous avez décidé d'acheter il y a 25 ans, des terrains vagues dans votre commune pour réaliser un bon investissement d'avenir pour vos enfants et petits enfants. Vous réalisez alors ce que j'ai appelé un acte "d'anticipation patrimoniale". Mais voilà... 25 ans après, votre commune convoite vos terrains car ils se trouvent, malheureusement, très bien situés par rapport à son développement : ils sont proches d'une nouvelle zone d'habitation qui prend de l'essor et se poursuit par une zone commerciale non loin de là.

Alors, la commune revoit son plan local d'urbanisme et créé une zone d’aménagement concerté (ZAC), moyen le plus courant pour réaliser des opérations d’aménagement, ou une zone d’aménagement différé (ZAD) qui délimite le périmètre de futures opérations d’aménagement afin de lutter contre la spéculation foncière, par la mise en œuvre du droit de préemption. Cette zone inclut vos terrains, ce qui a pour effet d'en "geler" la valeur. La commune poursuit alors la construction de son projet d'aménagement futur, procède aux consultations publiques nécessaires et, tel un rouleur compresseur, vous vous retrouvez à l'ultime stade où l'autorité publique vous signifie votre expropriation et vous propose une indemnité destinée à compenser la perte financière de vos biens immobiliers.

Le montant de l'offre financière de l'autorité publique est basée sur un prix au mètre carré de vos terrains, censé en refléter la valeur. Mais voilà, ce prix est bien souvent bien inférieur à ce que peuvent imaginer les expropriés qui se trouvent projetés immédiatement dans des procédures judiciaires sans l'avoir jamais voulu.

Les critères d'évaluation soumis au juge.

Pour parvenir à une évaluation du prix des terrains juste et équitable, il faut préalablement procéder à la qualification des terrains expropriés. C'est notamment l'article L322-3 du Code de l'expropriation qui donne les critères d'évaluation :

« La qualification de terrains à bâtir, au sens du présent code, est réservée aux terrains qui, un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L. 1 ou, dans le cas prévu à l'article L. 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois: 1° Situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l'absence d'un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d'une commune ; 2° Effectivement desservis par une voie d'accès, un réseau électrique, un réseau d'eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l'urbanisme et à la santé publique l'exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d'assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu'il s'agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l'objet d'une opération d'aménagement d'ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l'ensemble de la zone. Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l'article L.322-2. »

La date indiquée en gras est ce qu'on appelle la "date de référence". Il faut donc dans un premier temps déterminer cette date, puis évaluer la consistance des terrains de l'exproprié à cette date, la valeur étant appréciée par le juge lors du jugement à venir.

On regarde d'abord quel est le zonage des terrains en cause. Les 4 grandes zones de classification dans un PLU sont : U pour une zone urbaine, AU pour une zone à urbaniser, A pour une zone agricole et N pour une zone naturelle, avec les sous-catégories applicables. Dans notre exemple, imaginons que vos terrains se situent en zone 2AU : ils se trouveraient donc dans une zone d'urbanisation future où les terrains ne sont pas encore constructibles.

On regarde ensuite quels sont les réseaux qui sont construits dans et autour des terrains en cause (la valeur fixée par l'autorité publique doit tenir compte de ces équipements) et si les terrains en cause se trouvent "en situation privilégiée". L'appréciation ne s'arrête pas au seul usage effectif des terrains ; il s'agit de déterminer une valeur qui leur est propre et pour un terrain situé dans une zone 2AU, il faut déterminer une valeur médiane entre celle d'un terrain constructible et celle d'un terrain agricole.

Les expropriés se défendent donc devant le tribunal en procédant à cet examen minutieux pour convaincre le juge que le prix fixé par l'autorité expropriante (évaluation financière réalisée à la date du jugement de première instance) n'est pas suffisant : croissance économique de la zone alentour, importance de l'agglomération, nombre d'habitants, croissance économique et présence d'entreprises, dynamisme du bassin d'emplois, dynamisme économique, etc.

L'administration, par l'intermédiaire du commissaire du gouvernement, se défend pour maintenir le prix proposé, en produisant des "termes de comparaison" qui ne sont ni plus ni moins que le prix des ventes immobilières réalisées alentour. Tout est examiné : la nature du terrain (constructible ou non), l'existence d'une zone naturelle en bout de ce terrain, l'enclavement éventuel de la parcelle, sa superficie, l'existence d'arbres remarquables, etc.

Les parties échangent des « conclusions » devant le juge de l'expropriation, défendant leurs arguments. L'exproprié demande une meilleure indemnisation (une indemnité principale, une indemnité accessoire, et d'éventuelles demandes accessoires). Le juge se déplace sur les lieux et rend un jugement qui tranche en faveur de l'un, de l'autre, ou un peu des deux. L’estimation de la valeur des terrains peut varier fortement. Dans le dernier dossier pour lequel j'ai été saisi, l'autorité expropriante proposait une valeur au mètre carré de 11,40 € alors que l'expropriée en demandait 66 € le mètre carré, soit un rapport de 1 à 6 !

Comme dans tout litige, il y a un gagnant et un perdant. Si le perdant est l'exproprié, il y a de grandes chances qu'il aille devant la Cour d'appel pour essayer de faire juger à nouveau son dossier.

Une procédure complexe devant la Cour d'appel.

En cette matière, il n'y a aucune procédure simple. Déjà, au stade de l'enquête publique, il faut que vous soyez accompagné par un avocat qui vous expliquera pas à pas comment contrer l'administration. Au stade du litige devant le tribunal, la présence d'un avocat devient obligatoire, ce d'autant qu'il faut examiner toutes les valeurs des terrains et cela demande du travail. Et devant la Cour d'appel, la procédure est encore plus complexe puisqu'il existe de nombreuses chausse-trappes procédurales : appel par voie électronique, conclusions à forme spécifique, règles de présentation des demandes...

La Cour d'appel juge à nouveau l'affaire, tant en droit qu'en fait. On peut donc discuter de toutes les erreurs en droit commises par le tribunal : mauvaise date de référence, comparaisons imprécises, mauvaise analyse de la nature des terrains, etc.

Les autres recours.

Une fois que la Cour d'appel a rendu sa décision (un "arrêt"), un pourvoi en cassation est possible. Mais attention, à ce degré de juridiction (le plus haut degré de juridiction en France), la Cour de cassation n'examine plus la situation en fait, mais uniquement en droit : elle vérifie que la Cour d'appel a correctement appliqué la règle de droit, et rien de plus. Ce n'est donc pas devant la Cour de cassation que vous pouvez demander une meilleure indemnisation, car cela relève d'une appréciation de fait qui n'est possible que devant une juge du premier (première instance) ou second degré (appel).

Une fois l'arrêt de la Cour de cassation rendu, vous avez épuisé tous les recours internes en France. Mais tout n'est pas perdu. Certains saisissent la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) devant laquelle vous pouvez reprendre l'intégralité de vos demandes, en exposant pourquoi les juridictions françaises se sont trompées. Devant cette Cour, la représentation par avocat n'est pas obligatoire. Mais d'expérience, ceux de mes clients qui ont voulu essayer de mener cette procédure seuls se sont fourvoyés sur la technicité du travail à effectuer, ne serait-ce que pour passer le stade de la recevabilité du recours et sont revenus vers moi pour effectuer ce travail.

Quelles règles devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme ?

Sur le plan procédural, la forme de la requête est régie par l'article 47 du règlement de la CEDH. Tous les arguments doivent être suffisamment résumés pour tenir dans les encadrés prévus dans le formulaire qui comprennent un nombre de lettres maximum et obligent le respect d'une forme bien précise sur l'exposé des fondements juridiques qu'il faut connaître ! D'expérience encore, cette procédure est un enfer de bureaucratie.

Sur le fond des dossiers, l'une des difficultés les plus récurrentes est l'analyse de la valeur vénale des terrains au regard de la date de référence qui analyse la consistance des terrains. Les textes rappellent que la valeur d'un terrain ne peut pas être fixée en fonction de sa valeur future ; il est donc théoriquement impossible de soutenir que les terrains, une fois bâtis, auront une valeur de 3000 € au mètre carré et demander l'indemnité correspondante si, à la date de référence, votre terrain n'était pas bâti. Mais les expropriés se trouvent confrontés au fait, par exemple, que l'instauration d'un périmètre de ZAD a pour effet de geler la valeur des terrains qui s'y trouvent à la date de référence. Pendant plusieurs années donc, alors que le projet public se structure, la zone autour de votre terrain se construit avec les projets menés par l'autorité publique : par exemple, construction d'un hôpital, arrivée d'entreprises sur des terrains déjà vendus, viabilisations des terrains, assèchement des marais, détournement des cours d'eaux, etc. C'est donc le prix qui est fixé à cette date "dans le passé", à des prix volontairement bas, qui ne tiennent pas compte de l'évolution du prix des terrains. Et ce décalage peut poser un sérieux problème.

En effet, l'article 1 du Protocole n° 1 de la Convention Européenne des Droits de l'homme dispose que  :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.»

Dans plusieurs cas, la CEDH a prononcé la violation de cet article. C'est le cas notamment lorsque l'aménagement d'utilité publique n'est toujours pas construit 15 ans après l'expropriation. C'est également le cas lorsque les biens constituaient l'outil de travail de l'exproprié. C'est à nouveau le cas lorsque l'aménagement n'a finalement pas l'utilité publique qui était pourtant la cause de l'expropriation. D'autres articles sont susceptibles de changer la physionomie juridique de votre dossier et la stratégie procédurale à adopter.

Toutefois, attention : le nombre de requêtes retenues par la CEDH relatives aux expropriation en France depuis 1994 est seulement de 16 cas et seule la moitié ont conduit à l'affirmation d'une violation de l'article 1 du Protocole 1. Il y a évidemment d'autres décisions d'expropriation contre d'autres États membres de l'Union, mais leurs législations internes et le contexte des expropriations peuvent être très différents. C'est à votre avocat de savoir tirer parti de tous ces éléments.

Maître Frédéric CUIF, à la tête du bureau LX AVOCATS de Bordeaux, vous aide et vous conseille sur la stratégie procédurale dans vos dossiers d'expropriation, tout au long du processus jusqu'en CEDH. Faites valoir vos droits en vous faisant accompagner.