Bref commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018 validant, entre autres, les dispositions instaurant un barème d'indemnisation du préjudice consécutif au licenciement sans cause réelle et sérieuse. (décision n°2018-761)

L’article L1235-3 du Code du travail modifié par l’ordonnance du 22 septembre 2017 (Dite « Ordonnance MACRON ») prévoit que :

 

« Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous. »

 

L'article L. 1235-3 du code du travail prévoit que, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et en l'absence de réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie à ce dernier une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des minimums et des maximums fixés par ce même article. Ces minimums et maximums varient en fonction de l'ancienneté du salarié. Par ailleurs, les minimums diffèrent selon que l'entreprise emploie onze salariés ou plus ou moins de onze salariés. Dans une entreprise employant au moins onze salariés, l'indemnité minimale va de zéro à trois mois de salaire brut ; dans une entreprise de moins de onze salariés, elle est comprise entre zéro et deux mois et demi de salaire brut. L'indemnité maximale est comprise entre un et vingt mois de salaire brut. Ces indemnités sont cumulables avec les indemnités prévues en cas d'irrégularité de procédure dans la conduite du licenciement ou en cas de non-respect de la priorité de réembauche, dans la limite des montants maximaux précités. 

 

Dans sa décision du 21 mars 2018 (N°2018-761), interrogé sur la constitutionnalité des barèmes déterminant le niveau d'indemnisation versée au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le Conseil constitutionnel estime qu'ils ne méconnaissent pas les principes fondamentaux du droit de la responsabilité pour faute.

 

Cette décision est intéressante en ce qu'elle offre une approche des conséquences du licenciement sans juste motif sous l'angle du droit de la responsabilité. Une fois n'est pas coutume ... 

 

En effet, en mettant un terme au contrat de travail sans motif ou sans juste motif, l'employeur se rend coupable d'une faute susceptible d'engager sa responsabilité et de donner lieu à l’indemnisation du salarié (et donc à réparation) à la condition, en principe, que le salarié établisse subir un préjudice réparable. En effet, à ce jour (une réforme est toutefois à l’étude), par principe, le droit de la responsabilité civile n'ouvre droit à allocation d'indemnités qu'en cas de préjudice. C’est la fonction réparatrice de la responsabilité civile qui, en cela, se distingue de la responsabilité pénale qui poursuit un but punitif (elle a pour unique objectif de punir un comportement fautif indépendamment de l'existence d'un tout préjudice).

Ce préjudice peut revêtir différentes formes : économique ou moral.

Dans le cadre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les indemnités allouées par le Conseil des prud'hommes au salarié doivent donc, en principe, répondre à un objectif de réparation, et non de sanction (apanage de la seule responsabilité pénale). Cette fonction réparatrice impose une appréciation du préjudice in concreto, c’est-à-dire au cas par cas.  L'indemnistation n'est donc, en principe, pas systématiquement acquise, notamment si le salarié a immédiatement retrouvé une activité professionnelle.

 

Or en fixant des barèmes avec un minimum et un maximum, le législateur déroge à ces règles et impose une indemnisation en prévoyant, qu'à défaut de réintégration,  "le juge octroie" une indemnité. 

 

Premièrement, en fixant un minimum, le législateur, présumant irréfragablement de l’existence d’un préjudice, donne presque un caractère punitif à l'indemnité (qu'elle n'est pas censée avoir) puisqu'il dispense le salarié d'avoir à prouver un préjudice qui est de facto évalué sans prise en compte de la réalité de sa situation.

Ce point ne faisait toutefois pas réellement l'objet de reproche des parlementaires ayant saisi le Conseil constitutionnel. Il faut dire qu’un minimum s’imposait déjà, sous l’empire des anciens textes. Il était de 6 mois de salaires, sous réserve que le salarié justifie 2 ans d'ancienneté dans une entreprise de plus de 11 salariés.

Le Conseil constitutionnel prend toutefois soin de justifier la démarche du législateur et précise qu’« en fixant un référentiel obligatoire pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le législateur a entendu renforcer la prévisibilité des conséquences qui s'attachent à la rupture du contrat de travail. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. »

 

Deuxièmement, en fixant un maximum, le législateur se voit, en substance, reprocher de contrarier le principe de la réparation intégrale in concreto en limitant l'indemnisation qui ne tient pas compte de toute l'étendue du préjudice.

 

En réponse à cet argument le Conseil constitutionnel retient que : « la dérogation au droit commun de la responsabilité pour faute, résultant des maximums prévus par les dispositions contestées, n'institue pas des restrictions disproportionnées par rapport à l'objectif d'intérêt général poursuivi. »

 

Il prend également soin de rappeler que le juge conserve tout de même un pouvoir de modulation suivant les circonstances de la cause puisqu’il lui appartient « dans les bornes de ce barème, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu'il fixe le montant de l'indemnité due par l'employeur. » 

 

La prévisibilité des conséquences qui s'attachent à la rupture du contrat de travail, érigée en « objectif d'intérêt général », vient donc valider ces dérogations (majeures) au droit de la responsabilité.

 

Le Conseil constitutionnel valide donc ces nouvelles dispositions. (Sans réelle surprise puisque le principe de l’indemnisation forfaitaire avait déjà fait son entrée devant le bureau de conciliation, avec la loi du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi, sans qu’il soit toutefois prévu de minimum et de maximum mais une indemnité fixe suivant l’ancienneté du salarié)

 

Pour ce faire, le Conseil constitutionnel prend soin de rappeler solennellement que suivant « l'article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Il résulte de ces dispositions qu'en principe, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle. Toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée. Il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs. » 

 

La messe est dite …

 

Rappelons que le droit social connait déjà de telles dérogations dans le cadre de l’indemnisation du préjudice consécutif à un accident de travail ou à une maladie professionnelle. En effet, dans cette hypothèse, la victime perçoit une indemnisation forfaitaire (sous forme de rente ou de capital versés par la sécurité sociale), ne comprenant pas l’indemnisation des souffrances physiques et morales, préjudices esthétiques et d'agrément, préjudices résultant de la perte ou de la diminution de vos possibilités de promotion professionnelle, qui ne sont donc pas indemnisés, sauf faute inexcusable de l’employeur.

 

Il s’en suit qu’un accident de la vie courante (notamment lorsqu’il est d’une certaine gravité) est bien souvent mieux indemnisé qu’un accident identique d’origine professionnelle …

Exit le principe de la réparation intégrale …. Mais aussi le principe d’égalité ….

 

Sans parler de la différence de traitement de la victime d’un accident imputable à une personne publique, qu’il s’agisse d’un accident de travail dans la fonction publique ou d’un accident de la vie courante mettant en cause une personne publique, en sorte qu’un fonctionnaire est souvent moins bien indemnisé qu’un salarié et qu’un usager du service public l’est moins bien qu’un client du secteur privé ...

 

Conséquence de la répartition (obsolète ?!) entre droit privé et juridiction de l’ordre judiciaire, d’un part, et droit public et juridiction administrative, d’autre part, ….  

Il s’agit là d’un autre sujet …. Vaste sujet !