En matière de construction, tous les cocontractants du constructeur ne sont pas d'office bénéficiaires de la responsabilité civile décennale.

Tel est le cas par exemple du locataire (Civ. 3e, 23 octobre 2012, n° 11-18.850).

Mais qu'en est-il de l’usufruitier ? c'est-à-dire de la personne utilisant le bien immobilier d'autrui et en percevant les revenus éventuels, sans en être propriétaire, mais qui y fait des travaux ?

la Cour de cassation répond à cette interrogation dans un arrêt du 13 avril 2023 (n° 22-10.487).





Dans cette affaire, un maître d’ouvrage est usufuitier d'un terrain. Il y fait réaliser une piscine à ses frais. En raison de désordres survenus après réception, la SCI assigne les constructeurs et leurs assureurs. 

La SCI est déboutée de son action par la cour d’appel de Douai, le 2 décembre 2021, considérant qu'elle n'était pas en droit d'agir en justice, faute d'avoir la qualité de propriétaire du bien objet du litige.

La SCI se pourvoit alors en cassation, en indiquant d'une part qu'en vertu de l'article 552 du Code civil, la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. En effet, l'accession opère de plein droit au profit du propriétaire du sol qui acquiert immédiatement la propriété des constructions.

D'autre part, la SCI soutient qu'en cas de partage de propriété entre nu-propriétaire et usufruitier, c’est le nu-propriétaire qui dispose de la qualité de maître d’ouvrage, quand bien même ce serait l’usufruitier qui aurait ordonné la construction de l’ouvrage.

La Cour de cassation ne partage pas cet avis et rejette le pourvoi au motif que le droit d’accession du nu-propriétaire du fonds sur lequel l’usufruitier édifie une construction nouvelle est régi, en l’absence de convention contraire, par l’article 555 du même code et n’opère qu’à la fin de l’usufruit (Cass. civ. 3, 19 septembre 2012, n° 11-15.460).

Par conséquent, la construction ayant été effectuée sur l'ordre de l’usufruitier, elle apartient à ce dernier, qui est alors seul en droit d’agir sur le fondement de la décennale.

Toute la différence réside entre le droit de jouissance et le droit de propriété, seul le second permet de se prévaloir de la décennale.

La solution aurait été différente si :

  • l'usufruit avait pris fin et que le propriétaire du fonds avait décidé de conserver la propriété de la contruction. Dans ce cas, la garantie décennale lui aurait été transmise.  
  • l'usufruitier avait fait réaliser des travaux sur un ouvrage existant et dont il n'avait pas la propriété (Civ. 3e, 16 novembre 2022, n°21-23.505 : l'usufruitier fait réaliser des travaux de couverture sur  un bâtiment existant et appartenant au nu propriétaire)

En résumé, l'usufruitier, bien que titulaire du droit de jouir de la chose comme le propriétaire, n'en est pas le propriétaire. Il ne peut donc pas exercer l'action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l'ouvrage et non à sa jouissance.






Me Grégory ROULAND - avocat au Barreau de PARIS

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