En ce 3 octobre 2024, et alors que l’été n’est plus qu’un lointain souvenir et que l’avis de la deuxième chambre civile rendu ensuite d’une demande d’avis formulée par le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris (Civ. 2e, avis, 11 juill. 2024, n° 24-70.001), est à peine digéré, voici que la deuxième chambre doit à nouveau se prononcer sur le contrôle des clauses abusives et leurs conséquences sur les voies d’exécution mises en œuvre par un créancier, établissement bancaire en l’espèce.

Les faits :

Un crédit immobilier est consenti à deux emprunteurs personnes physiques, M. et Mme [D], suivant acte authentique du 15 juin 2004.

Face à la défaillance des emprunteurs, la banque, porteuse d’un titre exécutoire, met en œuvre une procédure de saisie immobilière aux fins de recouvrer sa créance.

Les débiteurs sont régulièrement assignés à l’audience d’orientation. A cette occasion, ils allèguent que la créance n’est pas exigible, la déchéance du terme n’ayant été prononcée qu’à l’égard de l’un d’eux.

L’argument est balayé par le juge de l’exécution.

La cour d’appel de Rennes est saisie, statuant sur renvoi après cassation (2e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-19.269)[1].

Les époux [D] reprochent alors à la cour d’appel de Rennes de n’avoir pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, après avoir dit que la clause d'exigibilité immédiate stipulée au contrat de prêt constituait une clause abusive qui devait être réputée non écrite, que la déchéance du terme ne pouvait donc reposer sur cette clause, peu important l'envoi par la banque d'une mise en demeure.

Ce faisant, ils considèrent que la cour d’appel de Rennes a violé l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ainsi que l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008.

L’affaire est à nouveau soumise à l’examen de la deuxième chambre civile.

La réponse de la deuxième chambre civile :

La solution ici dégagée repose sur les dispositions de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ainsi que l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008.

Ainsi, et plus particulièrement en vertu de l’article L132-1 précité, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Les clauses abusives sont réputées non écrites.

La créance de la banque est fixée, à l'égard de M. [D], à la somme de 115 759,75 euros, motif pris que si le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf stipulation expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d'une mise en demeure restée sans effet et précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.

Pour ce faire, la banque a donc envoyé, à l’adresse commune des époux débiteurs, une mise en demeure préalable à la déchéance du terme ne mentionnant uniquement que M. [D].

Or, si la déchéance du terme a été valablement prononcée à l’encontre de M. [D], tel n’est pas le cas à l’encontre de son épouse faute de mise en demeure préalable.

La deuxième chambre de considérer que la clause d'exigibilité immédiate stipulée au contrat de prêt constitue une clause abusive devant être réputée non écrite.

En conséquence, la déchéance du terme ne pouvait reposer sur cette clause, peu important l'envoi par la banque d'une mise en demeure.

Que retenir de cet arrêt ?

Outre le fait qu’il s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence particulièrement fournie de la Cour de Justice de l’Union Européenne ainsi que la deuxième chambre civile, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt fixant la créance de la banque à l'égard de M. [D] entraîne la cassation des autres chefs de dispositif, à l'exception de ceux disant que la clause d'exigibilité prévue au contrat de prêt présente un caractère abusif et doit être réputée non écrite et disant que la banque ne justifie pas que la déchéance du terme a été valablement prononcée à l'égard de [X] [V], épouse [D], qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

La Cour de cassation casse partiellement l'arrêt, notant que la cour d'appel a admis que la clause d'exigibilité était abusive et non écrite, ce qui rendait la créance non exigible. Elle maintient cependant les constatations sur le caractère abusif de la clause et l'absence de mise en demeure pour Mme [D].

En d’autres termes, en présence d’une clause de déchéance du terme réputée non écrite, la banque ne peut plus se fonder sur cette clause pour prononcer la déchéance du terme et mettre en œuvre une quelconque voie d’exécution au risque d’une rude censure du juge de l’exécution.

 


[1] Dans ce précédent arrêt, M. et Mme D… ont formé un pourvoi contre le premier arrêt de la cour d'appel de Rennes, qui a confirmé le jugement d'orientation rejetant leur contestation sur l'exigibilité de la créance. Ils soutenaient que l'aveu fait dans une instance précédente ne constituait pas un aveu judiciaire, violant ainsi l'article 1356 du code civil. La Cour de cassation a cassé l'arrêt, notant que l'aveu en question n'avait pas les effets d'un aveu judiciaire, et a renvoyé l'affaire devant une autre formation de la cour d'appel. La banque CIC Ouest a été condamnée aux dépens.