La Cour de cassation a rendu une décision (n°23-24.005) le 18 septembre 2025, qui renforce la protection du preneur d’un bail commercial : il pourra suspendre le paiement des loyers dès que les locaux sont inutilisables, sans devoir mettre son bailleur en demeure au préalable. Attention toutefois : l’activation de ce mécanisme présente des risques réels à défaut de prendre les précautions nécessaires car il existe des moyens de riposte, côté bailleur.

La Cour de cassation a jugé que le locataire d’un bail commercial peut suspendre le paiement du loyer dès que les locaux sont rendus impropres à l’usage contractuel pour cause imputable au bailleur, sans avoir à délivrer de mise en demeure préalable.

La motivation de la cour suprême est riche d’enseignements.

"La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée, d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. (...) Il en résulte que le preneur peut se prévaloir d’une exception d’inexécution pour refuser, à compter du jour où les locaux sont, en raison du manquement du bailleur à ses obligations, impropres à l’usage auquel ils étaient destinés, d’exécuter son obligation de paiement des loyers sans être tenu de délivrer une mise en demeure préalable. (...) En statuant ainsi, en exigeant une mise en demeure, la cour d’appel, qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas, a violé les textes susvisés".

Quelles sont les conséquences pratiques de cette décision pour le bailleur et le preneur ?

Conditions et précautions pour le locataire.

Toute suspension du paiement sans cause sérieuse expose à un risque réel de condamnation et d’expulsion. Le locataire devra :

  • Réunir des preuves formelles et incontestables : expertises, constats, attestations, démontrant l’impossibilité totale d’exploitation du local,
  • Préférer, au moins pour la sécurité juridique, d’informer le bailleur des désordres observés, même si la notification préalable n’est plus légalement exigée,
  • Veiller à agir de manière mesurée, car le bailleur pourra immédiatement déclencher une procédure d’expulsion ou activer la clause résolutoire en cas de contestation ou d’abus.

Ripostes du côté bailleur.

Le bailleur ne doit pas rester passif. Si la suspension est injustifiée ou mal documentée, il dispose de plusieurs leviers :

  • Réunir les preuves d’une jouissance possible ou d’un défaut de gravité dans les désordres invoqués,
  • Activer la clause résolutoire du contrat pour non-paiement, à condition d’établir la mauvaise foi ou l’excès du locataire,
  • Engager rapidement les travaux ou diligences nécessaires pour mettre fin au litige ou limiter l’exposition au risque judiciaire.

Conseils stratégiques.

Cette décision incite preneurs et bailleurs à repenser leurs pratiques contractuelles :

  • Toujours privilégier la transparence et le dialogue comme premier réflexe,
  • Documenter la situation dès les premiers signes de troubles graves d’exploitation,
  • Envisager une expertise contradictoire ou une médiation avant la suspension des loyers pour éviter tout blocage judiciaire.

La suspension immédiate des loyers est désormais une option puissante, mais implique une méthodologie et une anticipation des risques - car une erreur de stratégie peut coûter cher, tant au preneur qu’au bailleur.

Guillaume Leclerc Avocat au Barreau de Paris en contrats et contentieux commerciaux Fondateur de www.victorisavocat.com