CORONAVIRUS et Droit du travail : Arrêt AMAZON : Ou comment concilier maintien de l’activité de l’entreprise et protection de la santé des salariés ?

 Cour d’appel de VERSAILLES du 24 avril 2020 : Amazon France Logistique c/ Union Syndicale Solidaires.

L’analyse de l’arrêt de la cour d’appel peut se révéler particulièrement utile pour préparer efficacement la reprise d’activité de toute entreprise.

 

A l’origine de ce contentieux, des salariés avaient fait usage leur droit de retrait, considérant que les mesures prises par l’employeur pour les protéger n’étaient pas suffisantes.

L’exercice du droit de retrait ayant été contesté par l’employeur, certains salariés avaient saisi les conseils de prud’hommes territorialement compétents afin d’obtenir la reconnaissance de la légitimité de l’exercice de ce droit.

Des salariés avaient même porté plainte au pénal pour mise en danger de la vie d’autrui, laquelle plainte avait été classée sans suite le 20 avril dernier.

Les DIRECCTE concernées avaient adressé des mises en demeure visant à contraindre l’employeur à mettre en œuvre des mesures de prévention du risque Coronavirus.

C’est dans ces circonstances que l’Union Syndicale Solidaires a engagé un référé devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour obtenir :

  • A titre principal l’arrêt de l’activité des entrepôts en raison du rassemblement de plus de 100 personnes en un même lieu clos de manière simultanée ;
  • A titre subsidiaire l’arrêt la vente et la livraison de produits non essentiels de façon à ce que le nombre de salariés présents en un même lieu ne dépasse pas 100 par entrepôt, et ce sous astreinte tant que n’auront pas été mis en œuvre une évaluation des risques professionnels spécifiques au Coronavirus ;

Par ailleurs l’union syndicale sollicitait qu’il soit ordonné à l’employeur de procéder à une évaluation des risques professionnels spécifiques au Coronavirus et de mettre en œuvre, au regard des résultats de cette évaluation, les moyens de protection adaptée.

Par ordonnance de référé du 14 avril 2020 le Tribunal Judiciaire de NANTERRE avait ordonné à la société AMAZON France Logistique de procéder à l’évaluation des risques professionnels spécifiques au coronavirus sur l’ensemble de ses sites, et lui avait ordonné, dans l’attente, de restreindre son activité à la réception de marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux, sous astreinte d’un million d’euros par jour de retard et par infraction constatée.

Suite à l’appel interjeté par AMAZON, la Cour a confirmé la décision des premiers juges en ce qu’elle a ordonné à l’entreprise de procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des risques professionnels spécifiques au coronavirus sur l’ensemble de ses sites, ainsi qu’à la mise en œuvre des mesures prévues à l’article L. 4121–1 du code du travail.

Pour le reste la décision des premiers juges a été infirmée et la Cour d’appel a ordonné à l’employeur dans l’attente de la mise en œuvre des mesures précitées, dans les 48 heures de la notification de l’arrêt, de restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules opérations de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes des produits, tel que figurant sur le catalogue de la société à la date du 21 avril 2020, suivants :

  • High-tech, informatique, bureau
  • « Tout pour les animaux » dans la rubrique maison, bricolage, animalerie
  • « Santé et soins du corps », « homme », « nutrition », « parapharmacie » dans la rubrique beauté santé et bien-être
  • Épicerie, Boissons et Entretien

La Cour a ramené le montant de l’astreinte, de 1 million d’€ à un montant de 100 000 €.

 

Que doit-on retenir de cette décision ?

Fort heureusement, la Cour d’appel a confirmé la décision des premiers juges en ce qui concerne les rassemblements de plus de 100 personnes.

L’Union Syndicale Solidaires soutenait qu’AMAZON dont les entrepôts mettent en présence simultanée près de 500 salariés, violait l’interdiction issue de l’arrêté du 14 mars 2020 et du décret 2020-293 du 23 mars 2020 de rassembler en un même lieu plus de 100 personnes.

La Cour confirme ainsi que si le législateur a souhaité restreindre la liberté de réunion des citoyens pour réduire la propagation du Covid-19, il n’a pas pour autant voulu interdire la poursuite de l’activité des entreprises (sauf celles visées par l’article 8 du décret 2020-293 : musées, salles de spectacles, restaurants ect…), y compris lorsque leur fonctionnement aboutit à mettre en présence plus de 100 personnes simultanément.

 

Mais c’est surtout sur la question de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés que cette décision est importante.

L’Union Syndicale Solidaires reprochait à AMAZON de ne pas avoir procédé à une évaluation ordonnée et systématique des risques liés au coronavirus pour chaque poste de travail.

Elle indiquait que l’entreprise avait finalement pris des mesures au fil des jours, et sans associer les représentants du personnel.

L’Union Syndicale considérait que les mesures prises étaient largement insuffisantes au regard non seulement de l’augmentation de l’activité de livraison qui avait induit l’embauche de nombreux intérimaires, mais aussi du caractère hautement anxiogène de la situation.

AMAZON se retranchait derrière la mise en place de mesures permettant une évaluation des risques basée sur 3 actions journalières (contrôle de l’équipe de sécurité, visites auxquelles étaient conviés les représentants du personnel, réunions téléphoniques avec les fonctions support des sites).

Par ailleurs AMAZON indiquait avoir mis à jour son document unique d’évaluation des risques depuis le début de l’épidémie, et soutenait que cette action ne nécessitait pas la consultation du CSE.

La Cour a rappelé certaines dispositions issues d’une circulaire n°6 DTR du 18 avril 2002 qui avait été éditée à l’occasion de l’arrivée dans notre législation du document unique d’évaluation des risques professionnels.

Selon cette circulaire, l’évaluation des risques professionnels doit être menée en lien avec les institutions représentatives du personnel afin de favoriser le dialogue social.

Mais surtout la Cour juge que la contagiosité particulièrement importante du Covid-19 ainsi que la complexité de la gestion des déplacements des salariés dans un entrepôt qui abrite des activités diverses (réception, stockage, expédition de colis) entraînent une modification importante de l’organisation du travail.

Dès lors en vertu des articles L.2316-1 3° et L.2312-8 4° du Code du travail, le Comité social et économique central devait impérativement être consulté quant aux mesures d’adaptation, s’agissant d’aménagements importants modifiant les conditions de santé et de sécurité des salariés ainsi que les conditions de travail.

Par ailleurs la Cour a relevé un élément important qui est à mon sens l’aspect fondamental de cet arrêt : les organisations syndicales avaient fait état du désarroi des salariés, confrontés non seulement à la crainte d’une infection par le coronavirus, mais aussi au bouleversement de leurs conditions de travail.

La Cour fait état, à juste titre, du climat anxiogène de la situation inédite créée par le coronavirus dans un contexte de travail déstabilisant non seulement en raison de l’injonction de « rester chez soi » mais aussi de la « modification substantielle des conditions de travail » induite non seulement par les mesures visant à protéger les salariés mais aussi par l’augmentation de l’activité de l’entreprise (recrutement d’intérimaires).

La Cour rappelle que des salariés avaient fait part de leur détresse à leur hiérarchie quand d’autres avaient fait valoir leur droit de retrait.

Elle en déduit qu’AMAZON n’avait pas évalué les risques psycho-sociaux particulièrement élevés en raison non seulement du risque épidémique mais aussi des réorganisations induites par les mesures mises en place pour prévenir ce risque.

Il s’agit là d’un élément essentiel à ne pas négliger : si l’entreprise doit adapter son organisation afin de contrecarrer le risque épidémique, elle doit aussi avoir conscience du fait que la modification de son organisation induite par l’obligation d’éviter la propagation du virus peut aussi constituer un bouleversement dans le quotidien des salariés.

En définitive le Covid-19 constitue donc un risque non seulement pour la santé physique des salariés, mais aussi pour leur équilibre psychologique en raison du stress induit non seulement par la pandémie mais aussi par la modification de l’organisation de l’entreprise.

Dès lors l’adaptation du document unique d’évaluation des risques ne peut se limiter à la liste des gestes barrières : ce dernier devra aussi prendre en considération les risques psychosociaux induits par la situation actuelle.